• Aucun résultat trouvé

La liberté religieuse de l’élève au sein de l’ecole publique

Dans le document Droit privé et religion (Page 71-79)

L’article 1er, al. 4 du décret du Président de la République n° 249 du 24 juin 1998, portant réglementation du statut des élèves de l’école secondaire pro-clame : « la vie dans la communauté scolaire se fonde sur la liberté d’ex-pression, de pensée, de conscience et de religion, sur le respect réciproque de toutes les personnes qui la composent, quels que soient leur âge et leur condition, dans le refus de toute barrière idéologique, sociale et culturelle. » Le 7e alinéa de l’article 2 de ce même décret dispose par ailleurs : « Les élèves

étrangers ont le droit au respect de la vie culturelle et religieuse de la commu-nauté à laquelle ils appartiennent. »

Mais, malgré ces textes, même dans le cadre scolaire, la liberté religieuse de l’enfant est aléatoire et peut parfois même se heurter à la présence de sym-boles religieux catholiques affi chés par les autorités scolaires.

La liberté religieuse conditionnée de l’élève

En Italie, la question du port du foulard n’a jamais posé de réel problème dans le cadre scolaire, sans doute en raison d’une conception du principe de laïcité indissolublement lié à celui de pluralisme, tel que l’a interprété la Cour constitutionnelle dans sa décision n° 508 du 13 novembre 2000. Pour elle, « en  vertu des principes fondamentaux d’égalité de tous les citoyens sans distinction de religion (art. 3 de la Constitution) et d’égale liberté devant la loi de toutes les confessions religieuses (art.  8 de la Constitution), l’atti-tude de l’État à l’égard de celles-ci ne peut qu’être d’équidistance et d’égalité. Cette position […] est le refl et du principe de laïcité que la Cour constitution-nelle a tiré des normes constitutionconstitution-nelles […], en marquant d’une empreinte pluraliste la forme de notre État, dans lequel doivent cohabiter, en condi-tion d’égale liberté, des croyances, des cultures et des tradicondi-tions différentes ». Le décret du  ministre de l’Intérieur du 23  avril 2007 approuvant la Charte des valeurs de la citoyenneté et de l’intégration affi rme la liberté de toute personne pour son habillement, dès lors qu’il est librement choisi, n’est pas contraire à sa dignité et ne lui couvre pas le visage, ce qui ferait obstacle à sa reconnaissance.

La décision de participer à un enseignement religieux dans le cadre sco-laire peut également représenter une manifestation du droit de liberté reli-gieuse pour certains élèves. L’accord du 18 février 1984, dit « accord de Villa Madame », qui modifi e le concordat du Latran du 11  février 1929 entre la République italienne et le Saint-Siège et abandonne le principe de la reli-gion catholique en tant que relireli-gion d’État, rend facultative l’assistance aux cours de religion catholique, autrefois obligatoire sauf demande de dispense. Aux termes de l’article 9.2), alinéa 1er de la loi n° 121 du 25 mars 1985 por-tant ratifi cation et exécution de cet Accord, et de son protocole additionnel : « La  République italienne, reconnaissant la valeur de la culture religieuse et tenant compte du fait que les principes du catholicisme font partie du patri-moine historique du peuple italien, continuera à assurer, dans le cadre des fi nalités de l’école, l’enseignement de la religion catholique dans les écoles publiques non universitaires de toutes catégories et tous degrés. » Les ententes conclues avec des confessions autres que la confession catholique prévoient

quant à elles la possibilité de demandes concernant l’étude du « phénomène religieux ». Dans ses décisions n°  203 du 12  avril 1989 et n°  13 du 14  jan-vier 199113, la Cour constitutionnelle a refusé un enseignement alternatif obli-gatoire à l’enseignement religieux, afi n d’éviter qu’il soit porté atteinte à la liberté de conscience de l’enfant. En revanche, réformant la décision n° 7076 du 17 juillet 2009 du tribunal administratif du Latium14, le Conseil d’État, dans un arrêt n°  2749 du 7  mai 2010, a jugé que des circulaires du ministère de l’Instruction publique permettant aux élèves assistant aux cours de religion catholique ou à des matières alternatives d’obtenir d’éventuels points supplé-mentaires dans l’évaluation de leurs parcours d’études au lycée n’entraînaient pas de discrimination par rapport aux élèves qui, librement, décidaient de ne choisir aucune activité religieuse ou alternative. Mais, dans une décision n° 924 du 1er février 2011, le tribunal administratif du Latium a annulé pour discrimination un règlement ministériel qui prévoyait que les enseignants dis-pensant des activités alternatives à l’enseignement de la religion catholique devaient se contenter de donner de façon préventive au conseil de classe – au cours duquel sont attribués d’éventuels points supplémentaires aux lycéens qui suivent l’enseignement de la religion catholique ou des enseignements alternatifs – une appréciation sur l’intérêt porté à leur enseignement et l’ap-port qu’en avait tiré chaque élève ; en revanche, les enseignants de religion catholique participaient quant à eux aux délibérations du conseil de classe.

Par ailleurs, aux termes de l’article 1er de la loi italienne n° 281 du 18 juin 1986, les élèves de l’école secondaire supérieure – l’équivalent du lycée en France – exercent personnellement, et non plus leurs parents, le droit de choisir de suivre ou non un enseignement religieux catholique ou conforme aux pré-visions d’ententes avec d’autres confessions. Cette loi institue donc une majo-rité religieuse limitée, qui concerne les élèves en moyenne à partir de l’âge de 14 ans, et s’inscrit parfaitement dans le mouvement législatif qui reconnaît au mineur doté d’une maturité suffi sante, généralement associée à un âge précis, la capacité pour exercer certains droits personnels tels que le consentement à son adoption, le mariage, la reconnaissance d’un enfant naturel, l’IVG, etc.

Mais, même dans le cadre scolaire, force est de constater que l’autonomie religieuse conférée à l’enfant n’est que très relative et encore soumise, en amont, aux décisions parentales.

13. Corte cost., 14 janv. 1991, n° 13 (Foro it., 1991 : 365 et s. avec note de N. Colaianni, « Ora di religione : “lo stato si non-obbligo” »).

14. Dir. fam. e pers., 2010 : 156-183, note de P. Cavana, « Insegnamento della religione e attribuzione del credito scolastico ».

En effet, seuls les parents, en vertu de l’article 1er, alinéa  5 de la loi du 18  juin 1986, peuvent faire la demande d’inscription de leur enfant mineur pour chaque classe de l’école secondaire supérieure. Or, c’est dans cette demande que doit fi gurer le document où l’élève déclare son choix de suivre ou non un enseignement religieux. Ce choix n’est donc pas à l’abri de toute infl uence. De surcroît, la liberté religieuse du mineur est subordonnée à la volonté de ses parents de demander ou non la création d’un cours de reli-gion, à l’exception des élèves souhaitant suivre l’heure de religion catholique puisque cet enseignement est en tout état de cause organisé au sein de l’école. Par ailleurs, les parents demeurent maîtres du choix de l’école.

D’autres limitations résultent de l’adoption d’un calendrier scolaire fondé sur la tradition chrétienne. Des dérogations au principe d’assiduité sont admises, notamment dans les ententes passées entre l’État et l’Union italienne des églises chrétiennes adventistes du septième jour et l’Union des commu-nautés juives italiennes, et des autorisations exceptionnelles d’absence sont généralement accordées aux élèves pour la célébration des fêtes religieuses de leur confession. Cependant, là encore, seuls les parents peuvent demander ces autorisations d’absence.

Enfi n, le maintien de signes de présence catholique à l’école publique rela-tivise encore les rares espaces d’autonomie religieuse offerts à l’élève.

La persistance de symboles de la religion catholique au sein de l’école publique

En Italie, l’élève, quelles que soient ses croyances, peut encore être confronté à la présence de signes de la religion catholique au sein même de l’école publique, en particulier le crucifi x, souvent accroché dans les salles de classe. Les juges italiens justifi ent de façon quasi unanime15 cette présence soit par des raisons culturelles, soit en se fondant – de façon paradoxale – sur le principe de laïcité16, marquant une très faible attention aux conséquences de la présence de ce symbole sur la libre formation de la conscience de l’ enfant. L’arrêt de chambre de la CourEDH du 3 novembre 2009 condamnant à l’una-nimité l’Italie pour violation de l’article 2 du Protocole no 1 consacrant le droit

15. Voir cependant les exceptions suivantes : trib. civil de L’Aquila, 23 oct. 2003 (C. Pauti, « L’affaire du crucifi x dans les écoles italiennes », AJDA, 2004 : 746-750) et Cass., section pénale, n° 439, 1er mars 2000 sur la présence de crucifi x dans un bureau de vote.

des parents d’éduquer leurs enfants conformément à leurs convictions reli-gieuses et philosophiques, conjointement avec l’article 9 de la CEDH procla-mant la liberté de religion, faisait écho à son arrêt « Dahlab contre Suisse » du 15 février 2001, déclarant irrecevable la requête d’une institutrice d’école primaire qui jugeait contraire à l’article  9 de la CEDH l’interdiction qui lui avait été faite de porter le voile en classe face à ses jeunes élèves. En effet, dans son arrêt de 2009, la CourEDH rappelle l’importance de la neutralité de l’État dans le domaine scolaire car « le pouvoir contraignant de l’État est imposé à des esprits qui manquent encore (selon le niveau de maturité de l’enfant) de la capacité critique permettant de prendre distance par rapport au message découlant d’un choix préférentiel manifesté par l’État en matière reli-gieuse » (§ 48)17. Néanmoins, après que la demande de renvoi présentée par le Gouvernement italien a été admise, la Grande Chambre de la CourEDH, dans un arrêt défi nitif du 18 mars 2011, req. n° 30814/06, a jugé au contraire par 15 voix contre 2 qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 2 du Protocole n° 1 et qu’aucune question distincte ne se posait sur le terrain de l’article 9 de la CEDH. Dans son §  70, la CourEDH estime que « le choix de la présence de crucifi x dans les salles de classe des écoles publiques relève en principe de la marge d’appréciation de l’État défendeur. La circonstance qu’il n’y a pas de consensus européen sur la question de la présence de symboles religieux dans les écoles publiques […] conforte au demeurant cette approche ». Néan-moins, cette marge d’appréciation dont disposent les États lorsqu’il s’agit de concilier l’exercice des fonctions qu’ils assument dans le domaine de l’éduca-tion et de l’enseignement, et notamment l’aménagement de l’environnement scolaire comme c’est le cas en l’espèce, et le respect du droit des parents d’as-surer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques, ne peut aller jusqu’à des choix conduisant à une forme d’endoctrinement. Mais, la CourEDH estime, dans son § 71, que l’imposition du crucifi x dans les salles de classe des écoles publiques, bien qu’elle « donne à la religion majoritaire du pays une visibilité prépondérante dans l’environnement scolaire », ne traduit pas une telle démarche de la part de l’État défendeur. Au soutien de son analyse, elle souligne que « cette pré-sence n’est pas associée à un enseignement obligatoire du christianisme » et que « l’Italie ouvre parallèlement l’espace scolaire à d’autres religions » : notamment, « le port par les élèves du voile islamique et d’autres symboles et tenues vestimentaires à connotation religieuse n’est pas prohibé, des amé-nagements sont prévus pour faciliter la conciliation de la scolarisation et des

pratiques religieuses non majoritaires, le début et la fi n du Ramadan sont “souvent fêtés” dans les écoles et un enseignement religieux facultatif peut être mis en place dans les établissement pour “toutes confessions religieuses reconnues” (§ 39 ci-dessus) ». La CourEDH va même jusqu’à avancer l’étrange et fragile argument selon lequel « rien n’indique que les autorités se montrent intolérantes à l’égard des élèves adeptes d’autres religions, non croyants ou tenants de convictions philosophiques qui ne se rattachent pas à une religion » (§ 74)… Ces éléments, témoignant de certaines libertés ou tolérances accor-dées aux élèves, ne « neutralisent »18 néanmoins pas l’affi chage délibéré par les autorités publiques d’un État laïque d’un signe exclusif dont la CourEDH ne relativise pas la signifi cation religieuse. L’acceptation d’un certain pluralisme religieux dans le cadre scolaire ne peut en effet servir de prétexte au maintien d’un certain privilège confessionnel imposé par l’État dans ce même lieu.

S’agissant de la question du respect de la liberté de conscience de l’élève, la CourEDH se borne, dans son § 66, à affi rmer qu’« il n’y a pas devant la Cour d’éléments attestant l’éventuelle infl uence que l’exposition sur des murs de salles de classe d’un symbole religieux pourrait avoir sur les élèves ; on ne saurait donc raisonnablement affi rmer qu’elle a ou non un effet sur de jeunes personnes, dont les convictions ne sont pas encore fi xées ». Sans éléments concrets d’une infl uence nécessairement très délicate à évaluer, la CourEDH ne peut ainsi se satisfaire de « perceptions subjectives »19. Par ailleurs, à la dif-férence de la Chambre ayant statué dans son arrêt du 3  novembre 2009 en faveur d’un « signe extérieur fort » (§ 54), la Grande Chambre de la CourEDH s’attache dans son § 72 à la signifi cation passive du symbole du crucifi x, ce qui permet de ne pas « lui attribuer une infl uence sur les élèves comparable à celle que peut avoir un discours didactique ou la participation à des acti-vités religieuses ». On peut néanmoins s’étonner de la façon dont la CourEDH minimise l’impact éventuel de ce symbole, dont elle reconnaît « la visibilité accrue […] dans l’espace scolaire » (§  74), sur un public composé de jeunes « dont les convictions ne sont pas encore fi xées » (§ 66), et donc nécessairement plus malléables…

Aux termes de ces développements, c’est un constat plutôt pessimiste qu’il est possible de dresser du respect de la liberté religieuse de l’enfant en Italie,

18. Terme utilisé dans son opinion concordante par le juge Rozakis à laquelle s’est ralliée la juge Vajic.

19. « La perception subjective de la requérante ne saurait à elle seule suffi re à caractériser une violation de l’article 2 du Protocole n° 1. » (§ 66, CourEDH, 18 mars 2011)

dans sa famille ou au sein de l’espace scolaire, la récente décision de la Grande Chambre de la CourEDH, qui enlève tout espoir de protection de l’enfant au regard du crucifi x, confortant cette analyse. En effet, l’exercice effectif de cette liberté par l’enfant présente un caractère hautement aléatoire car il dépend en grande partie tant de la bonne compréhension qu’ont les parents de leur mission que de l’interprétation que retient l’État du principe de neutralité.

Dans le document Droit privé et religion (Page 71-79)

Outline

Documents relatifs