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Enfances bouddhistes, enfance et bouddhisme

Dans le document Droit privé et religion (Page 117-120)

Les référents dogmatiques à propos de l’enfance dans le bouddhisme

Le bouddhisme parle bien peu d’enfance, ou alors le plus souvent de manière toujours indirecte. Le statut de l’enfance dans les référents scriptu-raires relève une dispersion qui signale que, dans le bouddhisme, du moins sous sa forme scolastique, il n’existe pas de théorie ni de norme unifi ée encadrant l’éducation non religieuse (à l’inverse, l’instruction religieuse est, elle, très codifi ée). L’absence de référent mythologique identifi é, ou d’enfant héros, de statut particulièrement sacré de l’enfance, qui n’est qu’une étape de l’existence en rien distinctive d’autres, et l’enfant n’est qu’un être « sensible » porteur d’une « graine » de réalisation spirituelle (en sanscrit : tathagata-garbha) qu’il s’agira de faire pousser dans un processus de maturation spi-rituelle offerte par le Dharma (l’enseignement), le Bouddha (le prophète) et le sangha (la communauté ascétique) – les « trois joyaux » (triratna) du boud-dhisme. Ainsi, l’enfance apparaît d’abord sous une forme scripturaire dans les textes anciens. D’abord dans la vie de Bouddha lui-même, puisque c’est dans l’enfance (et une naissance marquée par des signes surnaturels) que naît progressivement sa vocation, qui l’amènera à emprunter la voie du renonce-ment spirituel, et à fonder son propre enseignerenonce-ment – avec le succès que l’on connaît. Ensuite, dans les textes canoniques en pali, l’Ambalatthikarahulovada Sutta relate les conseils de Gautama à son fi ls Rahula (qui a rejoint l’ordre

monastique à l’âge de 7 ans) et sert généralement de principale source d’ins-piration pour l’ instruction bouddhiste dans les sociétés asiatiques.

Il existe d’autres expressions de l’enfance, nettement plus elliptiques. L’une des inscriptions (Kalinga I) qu’a fait rédiger l’empereur Maurya Açoka, qui s’était converti au bouddhisme, comprend la phrase suivante : « Tout homme est mon enfant. » Il s’agit là d’une référence allégorique à l’enfance qui fi gure l’image du rapport du souverain à ses sujets, moins comme géniteur et ascen-dant que comme bienveillant et protecteur. Açoka est en effet réputé pour avoir conquis de vastes étendues géographiques, mais au prix de bains de sang, de telle sorte qu’il aurait été pris de remord et se serait tourné vers le bouddhisme. Depuis sa conversion, il se serait également ouvert aux valeurs de l’amour (spirituel) et de l’altruisme, telles qu’elles sont formulées dans la « bonne loi » du Dharma bouddhiste5, et se serait évertué à les répandre par la suite dans son royaume et au-delà6. C’est, ensuite, dans le registre de l’esthétique religieuse que la fi gure de l’enfant se manifeste, mais là encore, de manière discrète et allégorique. La divinité Kariteimo (skt : Hariti) est par exemple une ancienne démone dévoreuse d’enfants chez qui le Bouddha a fait naître des sentiments meilleurs en cachant un de ses propres rejetons – elle est devenue une divinité protectrice de l’enfance, particulièrement populaire au Japon (dans la secte Nichiren).

En se cantonnant aux corpus offi ciels des écritures et des panthéons des traditions savantes du bouddhisme monastique, pèse néanmoins le risque de retrancher de l’analyse une large partie de la réalité. Car là où les textes anciens se contentent d’offrir des principes dispersés, quelques métaphores et de plus nombreuses ellipses, des littératures tardives et surtout populaires déclinent au contraire des registres plus précis concernant l’enfant, comme autant d’ajustements des doctrines bouddhistes aux contraintes de la survie de la communauté : le très beau livre d’Elizabeth Bopearachchi, L’éducation bouddhique dans la société traditionnelle au Sri Lanka7, montre bien comment les principes de la réclusion monastique, le célibat et l’interdiction de procréer auraient pu donner lieu à la formulation d’une théologie négative de l’en-fance, mais que la nécessaire existence d’un ordre laïque (sur lequel s’adosse

5. A. Dupont-Sommer, 1980, « Essénisme et bouddhisme », Comptes-rendus des séances de

l’Aca-démie des Inscriptions et Belles Lettres, 124 (4) : 698-715.

6. Puisque c’est sous le règne d’Açoka qu’a véritablement débuté l’expansion missionnaire du bouddhisme.

7. E. Bopearachchi, 1994, L’éducation bouddhique dans la société traditionnelle au Sri Lanka, Paris, L’Harmattan.

le premier pour sa survie) a supposé la rectifi cation de ces principes et la for-mulation d’une théologie positive, situant l’enfant au cœur d’un symbolisme bouddhique renouvelé par la pression de la société environnante.

Il existe toutefois un lien particulier entre l’exemplarité des virtuoses reli-gieux, et l’enfance. Car dans les littératures bouddhistes, l’enfance revêt fi na-lement trois statuts :

– comme locus de manifestation des signes de vocation ou de sainteté ; – comme topos à partir duquel se constitue l’adhésion et la fi délité

religieuses

(donc comme deux ingrédients de l’exemplarité, et les maîtres et moines sont d’autant plus légitimes que leur curriculum compte à la fois des traits cha-rismatiques relevant de l’un, et une formation justifi ant les bases de l’autre) ;

– comme allégorie des obstacles ou des facilités de la voie bouddhiste, dans une littérature à la fois savante et populaire.

Si le bouddhisme est malgré tout assez peu expressif quant à l’enfance, les bouddhistes, eux, sont en revanche nettement plus volubiles – même s’il apparaît que la thématique de l’enfance est relativement récente dans la litté-rature bouddhiste et semble en fait s’accélérer au cours de la confrontation des corpus théologiques bouddhistes avec standards philosophiques et juridiques internationaux, ceux des droits de l’Homme, et plus récemment, ceux des droits de l’enfant (tels que défendus en particulier par la Convention inter-nationale des droits de l’enfant de 1989). Dans les productions boud dhistes contemporaines, fécondées par ces modèles occidentaux d’exportation mondiale, le statut de l’enfant, les questions des conditions et fi nalités de sa socialisation, les enjeux entourant sa liberté de croire ou pas, etc., s’invitent désormais dans les débats ouverts ou alimentés par des intellectuels boud-dhistes. Mais d’emblée, une ligne de démarcation semble être saillante entre la manière dont les enfants font l’objet de traitements particuliers entre l’Asie et l’Occident8 : pour le dire simplement, il apparaît à l’évidence deux modèles différenciés, en vertu des différences de contextes (et de la trajectoire du sécu-larisme en Occident), mais aussi des institutions et enjeux sociaux entourant l’éducation religieuse.

Dans le contexte des sociétés asiatiques, ou du moins sous la reconstitu-tion narrative qu’en font ses observateurs, le bouddhisme offrirait pourtant

8. Cf. Rita Gross, 1996, « Child and Family in Buddhism », in H. G. Coward,P. Hilton Cook (Eds),

Religious Dimensions of Child and Family Life : Refl ections on the UN Convention of the Rights of the Child, Canada, University of Victoria : 79-98.

des ressources symboliques profi tables aux enfants et à leur développe-ment9. Dans le contexte occidental, les enfants élevés à la manière bouddhiste seraient de la même manière privilégiés et bénéfi ciaires d’un traitement parti-culier – que bien d’autres leur envieraient. Un des rares sites Internet qui traite – en passant – de la question de l’enfance dans le bouddhisme contient les édifi antes lignes suivantes : « Le conseil du Bouddha aux parents est simple : aidez vos enfants à devenir des adultes généreux, vertueux, responsables, adroits, et autonomes. Enseigner le Bouddhisme à ses enfants ne signifi e pas leur infl iger de longues conférences à propos de la coproduction conditionnée, ou les forcer à mémoriser des listes de l’octuple ceci, des dix machin-bidules, des dix-sept ci-et-mi du Bouddha. Ça signifi e simplement leur donner les techniques de base dont ils auront besoin afi n de trouver le vrai bonheur. Le reste prendra soin de lui-même.10 » Non seulement cette éducation permis-sive et souple est ici manifestement très embellie, quel que soit le contexte, mais l’enfance des bouddhistes est en outre loin d’être cette mièvre étape de vie baignée de bonheur. Avant d’en examiner plus avant les contre-exemples, il faut donc préalablement explorer la contexture de l’imaginaire dans lequel se moule cette image idéalisée de l’enfance bouddhiste.

L’enfance, l’imaginaire et la médiatisation

Dans le document Droit privé et religion (Page 117-120)

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