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L’enfance, l’imaginaire et la médiatisation du bouddhisme

Dans le document Droit privé et religion (Page 120-123)

Fanstamagories bouddhophiles à l’épreuve

Dès lors que l’analyse se tourne vers l’enfance, comme représentation, celle-ci apparaît participer en première instance empirique, en l’occurrence dans le champ des signes et des symboles visibles, à la fabrique du boud-dhisme, et des sociétés qui l’ont adopté, comme utopie inscrite au cœur de l’orientalisme occidental. L’enfant bouddhiste, c’est l’enfant-moine, le futur maître de religion, dépositaire à lui seul de pouvoir paranormaux (quel-quefois) et des fondements philosophiques de la sagesse (le plus souvent). Les titres des fi lms qui ont connu le plus de succès sont dans ce registre des illustrations particulièrement signifi catives de cette emphase sur une enfance

9. Cf. Thubten Chodron, Buddhism for beginners, Ithaca : Snow Lion, 2001, pp. 133 et suiv. 10. « Comment dois-je enseigner le Bouddhisme à mes enfants ? », article daté du 12 avril 2010, sur le site Buddhachannel http://www.buddhachannel.tv/portail/spip.php?article12825.

fantasmée, qui ignore le plus souvent que l’enfant est loin d’être un héros mythique dans le bouddhisme et que la réalité de la vie infantile est bien plus dure dans les sociétés bouddhistes. Si L’enfant sacré du Tibet (M. Ritchie 1986) procédait d’une vision particulièrement fantasmagorique des pouvoirs surnaturels de l’enfant au Tibet, en sus, teintée d’une facétie dont on n’est pas sûr qu’elle soit intentionnelle, Little Buddha (B. Bertolucci 1993) ramenait le propos (lui aussi réécrit pour s’adapter au grand public) sur la trajectoire de vie de Siddhartha Gautama Shakyamuni, ou le Bouddha, en pointant bien du doigt, derrière la romance, l’apparition de signes prédictifs de sa vocation. Kundun (Scorcese 1997) et Sept ans au Tibet (J-J Annaud 1997) retracent quant à eux la jeunesse non pas du prophète du bouddhisme, mais l’une de ses fi gures contemporaines, le 14e  Dalaï-Lama, Tenzin Gyatso. Enfi n, Himalaya, l’enfance d’un chef (E.  Valli 1999) déplace encore la focale sur le parcours de vie (toujours exemplaire) d’un jeune bouddhiste. Ce groupe de productions cinématographiques met la focale sur l’exemplarité de la vocation religieuse qui se constitue à partir de l’enfance. L’enfance est un temps particulier de réalisation de cette vocation, mais n’illustre aucune singularité de l’enfant lui-même, conformément aux principes du bouddhisme, selon lesquels ce serait une simple phase préparatoire à la vie d’adulte, sans l’ensemble des traits dis-tinctifs (sur le plan psychologique, affectif et sociologique) qui lui confèrent une identité à part. Certes, on aura noté que l’ensemble des références citées ci-avant concernent les Tibétains et ne saurait être représentatif de la totalité des statuts des enfants dans les sociétés bouddhistes. Le cas des Tibétains est particulièrement intéressant dans le sens où le Tibet fut la seule société de l’histoire où le pouvoir religieux et la société ont entièrement fusionné (sous la forme d’une théocratie bouddhistes), et dans le sens où le sort réservé aux enfants refl ète certains paradoxes : les enfants tibétains, et enfants moines d’autres horizons culturels ou géographiques (de Chine, de Corée, etc.) ont rarement été seulement ces personnages de photographie affi chant un éternel sourire de bonheur.

C’est pourtant à partir des modèles tibétains que l’Occident s’est massi-vement (à défaut d’exclusimassi-vement) fondé une image du bouddhisme et un idéal de l’enfance bouddhiste : le rayonnement du 14e Dalaï-Lama y est pour beaucoup. Mais c’est aussi le système de ces enfants réincarnés, les tulkus, par lesquels les principes vitaux d’un maître de religion très avancé dans sa réalisation spirituelle sont « transférés » à un très jeune enfant, reconnu, après un examen rigoureux de ses aptitudes et de son identité, comme nouvelle corporéité du maître en question. Ce système, qui se fonde sur le principe de la métempsycose, a nourri la fascination des Occidentaux à l’endroit du boud-dhisme en général, et des traditions tibétaines en particulier. Et si c’est encore

l’enfance qui fait le fi l rouge, on quitte le domaine de l’imaginaire en rap-pelant que l’installation dans la durée du bouddhisme tibétain en Occident correspond également à la « découverte » du premier tulku occidental, le jeune lama Ozel (de son nom tibétain) né en Espagne en 1985, qui a été ensuite intronisé et installé en Inde pour sa formation monastique. C’est aussi d’une manière dérivée par l’enfance que se lisent les processus de diffusion et d’ institutionnalisation du bouddhisme en Occident.

Débats sur l’enfance : productions occidentales ?

Pour en revenir aux enfants des pratiquants occidentaux du bouddhisme, les initiatives visant à donner un cadre pédagogique à la transmission des valeurs bouddhistes dans le contexte familial viennent surtout des convertis eux-mêmes. Et dans cette perspective, les adeptes nord-américains ont une avance considérable sur les autres : le nombre de volumes consacrés à l’édu-cation bouddhiste est bien supérieur, signalant par là-même que la multipli-cation des centres de méditation et des temples dans le paysage américain, leur intégration dans la texture de la vie sociale et individuelle d’un nombre croissant de pratiquants et l’investissement toujours plus profond de ces der-niers dans leur religion d’élection, après avoir donné lieu à de multiples ajus-tements (de temps, de forme, voire de nature de l’activité religieuse pour une audience laïque déjà chargée du poids de ses obligations professionnelles), se heurte désormais aux obligations familiales de ces méditants, et de la prise en charge de leurs enfants11. Sur le mode du récit d’expérience personnelle, comme le fait Karen Maezen Miller12, sur une phraséologie plus pédagogique, avec Sarah Napthali13, voire explicitement didactique comme chez Myla et Jon Kabat-Zinn14. La revue bouddhiste américaine Tricycle a réservé des pages spéciales de son site Internet à l’éducation « bouddhiste » des enfants15. Une seule émission spéciale du programme télévisuel dominical et confessionnel « Voix Bouddhistes » a été jusqu’ici dédiée à la question de l’enfance et de l’éducation bouddhiste (6  janvier 2002). Et encore, le propos était structuré

11. R. Gross, 1993, Buddhism after Patriarchy. A Feminist History, Analysis, and Reconstruction of

Buddhism, Albany (NY), State University of New York Press : 238.

12. K. M. Miller, 2006, Momma Zen : Walking the Crooked Path of Motherhood, Shambhala. 13. S. Napthali, 2003, Buddhism for Mothers : A Calm Approach to Caring for Yourself and Your

Children, St Leonards, Allen & Unwin.

14. M. Kabat-Zinn et J. Kabat-Zinn, 1997, Everyday Blessings : The Inner Work Of Mindful Parenting, New York, Hyperion.

autour de deux topiques assez récurrentes : la première, l’altruisme boud-dhique, mais aussi l’altruisme à l’endroit des bouddhistes, exposait les condi-tions sociopolitiques dans lesquelles vivent actuellement nombre d’enfants d’Asie, en particulier les enfants tibétains (l’information traitait surtout d’eux et des systèmes d’aide et de parrainages) ; la seconde, celle de l’« approche bouddhiste » du développement psychoaffectif, évoquait la possibilité d’un traitement conforme aux valeurs du bouddhisme des processus et conditions d’apprentissage de l’humain. La réfl exion et les réponses se concentrent donc, de toute évidence, non seulement sur des principes généraux tirés d’un boud-dhisme scripturaire ou philosophique qui devrait se traduire en actes concrets, mais également sur le versant adulte du statut des enfants dans le boud-dhisme, via une approche par la transmission. Celle-ci ne dit rien de la manière dont les enfants réagissent effectivement à ces dispositifs de transmission.

Dans le document Droit privé et religion (Page 120-123)

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