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Les principes communs à la distribution de l’eau en France et en Suisse

Dans le document Le droit comparé et le droit suisse (Page 143-148)

Analyse comparée

2. Les principes communs à la distribution de l’eau en France et en Suisse

En France, le principe de l'égalité impliquerait que soit garanti « un accès pour tous à une quantité minimale d'eau de qualité, l'accessibilité étant entendue dans un sens autant territorial (individu isolé sur le territoire) que financier (individu en difficulté financière) »105. Or pratiquement, il peut être impossible pour des communes de répondre à ce principe du fait par exemple d'un territoire communal très étendu.

Ainsi, l'art. R. 111-9 C. urba.106 spécifie que « lorsque le projet prévoit des bâtiments à usage d'habitation, ceux-ci doivent être desservis par un réseau de distribution d'eau potable sous pression raccordé aux réseaux publics ». De plus, les communes se doivent d'arrêter un schéma de distribution d'eau potable déterminant les zones desservies par le réseau de distribution (art. L. 2224-7-1 C. G. C. T., issu de la LEMA)107. Les communes françaises doivent fixer les limites de leur réseau de manière à en assurer la pérénité et n'ont, de plus, pas l'obligation de fournir de l'eau sur l'entier de leur territoire108. Leur obligation de distribution s'applique dans le cadre du schéma de distribution et n'est donc pas absolue, le raccordement pouvant être refusé dans des cas de circonstances particulières, par exemple dans le cas d'un hameau éloigné de l'agglomération principale109 ; ces circonstances devant être appréciées à la lumière de la situation concrète110. Cette obligation de desserte s'applique cependant à l'ensemble des usagers présents dans la zone considérée, sauf cas particuliers111.

Une autre limite au principe de l'égalité doit encore être relevée. L'art. L. 210-1 C.

env. in fine spécifie que « chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d'accéder à l'eau potable dans des conditions économiques acceptables par tous ». Ainsi, le coût économique de l'approvisionnement doit pouvoir être supporté par toutes et tous. En effet, comme précité, le service de distribution d'eau potable est considéré comme un SIC, l'aspect économique jouant un rôle dans sa définition. En Suisse aussi, l'équilibre financier est une limite devant être prise en compte dans la problématique de la distribution d'eau potable.

105 GUYARD, p. 129.

106 Code de l’urbanisme, version consolidée au 15 août 2016 (C. urba.).

107 DROBENKO, p. 151.

108 GUYARD, p. 130; GRAINDORGE, p. 13.

109 Voir décision du Conseil d'Etat du 30 mai 1962, « Parmentier » in Recueil Lebon, p. 912 ainsi que Marie-Agnès Bordonneau, Regard juridique sur la double nature de l'eau, p. 762 n° 1749 et Stéphane Duroy, La distribution d'eau potable en France, p. 163 n° 246.

110 Voir la réponse du Ministère des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer in Journal Officiel Sénat du 24 août 2006, p. 2238.

111 Voir la décision du Tribunal administratif de Lyon du 7 mars 1995, Préfet de l'Ardèche c.

Commune de Gluiras, Recueil CE 1995, p. 686, pour un cas particulier non reconnu.

Ensuite, en matière de fourniture d'eau, le principe de continuité a pour but d'assurer aux usagers de pouvoir accéder en tout temps à de l'eau en quantité et qualité suffisante. C'est une obligation fondamentale à laquelle l'exploitant du réseau d'eau doit impérativement répondre112. Ainsi, l'eau doit être fournie en suffisance et avec suffisamment de pression pour répondre à la prestation promise. Une règle analogue existe, par exemple, en droit bernois qui prévoit que la pression de service doit être garantie pour les nouvelles installations (art. 8 LAEE).

La mutabilité du système de fourniture d'eau devrait être considéré comme un atout pour l'usager qui pourrait obtenir par ce biais un accès moderne et sûr à la ressource du fait de l'adaptation du réseau de distribution113. Mais en réalité, c'est un principe114 qui donne le droit à l'administration de modifier les règles juridiques applicables au service de manière unilatérale. Les usagers ne peuvent s'en prévaloir pour réclamer une amélioration des prestations et surtout pour obtenir un maintien du service115 sauf, selon la jurisprudence française, dans les cas d'un service public obligatoire prévu par la loi116. Or le service public de distribution d'eau défini par le droit français n'est pas reconnu comme tel117, contrairement au service d'assainissement ou d'élimination des déchets118. En corollaire, le maintien d'un SIC n'est pas un droit acquis comme le rappelle la jurisprudence119 qui ne touche pas directement la fourniture d'eau mais qui peut y être appliquée par analogie.

En Suisse, ces principes d'égalité, de continuité et de mutabilité sont considérés différemment car comme exposé ci-dessus, la notion de service public n'est pas reconnue comme telle par le législateur même si certaines normes cantonales jouent parfois un rôle semblable. Généralement et en vertu des art. 3, 42 al. 1 et 43 Cst., la Confédération et les cantons ont une certaine liberté dans la mise en œuvre de ces tâches publiques, aucune limite quant au mode de gestion n'étant imposée par ces dispositions. D’autres normes (cantonales ou fédérales) peuvent toutefois les limiter, tout comme certains principes du droit constitutionnel ou administratif120. Un autre aspect à prendre en compte est le caractère obligatoire ou non de la tâche qui oblige l'Etat, dans un tel cas de figure, à garantir une offre de base, à l'exemple de l'exploitation des différentes infrastructures, telles que les routes, l'électricité ou le

117 Confirmé par l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Lyon du 12 mai 1992, Epoux Papureille, Gazette du Palais 1993 p. 557.

118 BORDONNEAU, n° 1785.

119 Ibid., n° 1787; Voir Conseil d’Etat, 11 décembre 1963, Syndicat de défense en vue du rétablissement de la voie ferrée Bort-Eygurande, AJDA 1964, p. 238; Conseil d’Etat, 18 mars 1977, La Rochelle, Belfort, Lille, Recueil, 1977, p. 153; Conseil d’Etat, 19 juillet 1991, Fédération nationale des usagers des transport, AJDA, 1991, p. 924.

120 MARTENET, p. 18.

réseau de soins121. La délimitation de l'obligation d'approvisionnement en eau variera en fonction des règlementations cantonales mais nous relevons que les législations cantonales examinées disposent tous d'une norme constitutionnelle ou législative définissant l'obligation communale de distribuer l’eau.

Conclusion

Le droit comparé, c’est-à-dire l’étude comparatiste de systèmes juridiques visant à mettre en exergue leurs points communs et différences, permet de « parfaire la connaissance du droit »122. En expliquant les attractions et divergences de différents droits nationaux, un regard critique est posé sur le système du comparatiste suisse aussi bien que sur le système étudié123.

De cette comparaison, on peut surtout tirer un regard critique sur notre propre système législatif, ce qui selon nous permet d’entamer par la suite des processus de perfectionnement. Autrement dit, en regardant ailleurs, il est possible d’améliorer la manière dont nous légiférons pour permettre une application plus homogène des principes de droit régissant par exemple la distribution de l’eau potable.

Dans le cadre de notre étude, ce mode d’analyse a démontré que les règles de la distribution de l’eau françaises et suisses ont certaines bases communes. Nous relèverons ainsi l’échelle fonctionnelle locale et la considération du rôle de l’autorité publique dans l’exécution de la tâche publique ou du service public. De même, sur les principes de droit commun que son l’égalité, la continuité et la mutabilité, les deux juridictions se font écho.

En revanche, le degré de théorisation de ces notions beaucoup est plus importante en France qu’en Suisse. De même, la jurisprudence tendant à délimiter cette compétence de l’autorité publique est beaucoup plus limitée dans notre pays que chez notre voisin français. Enfin, le manque de réflexion poussée sur la définition des tâches publiques empêche une délimitaiton claire des obligations étatiques relatives, dans notre exemple, à la distribution de l’eau potable et en particulier à son accès.

Dès lors, l’harmonisation des pratiques suisses dans la distribution de l’eau potable n’est pas d’actualité. Des distinctions entre les cantons et communes ont été relevées, que ce soit en termes de densité législative ou de reconnaissance de certains principes.

Or il semble clair que de telles dissensions représentent un risque environnemental

121 SPRUMONT, p. 184; MÜLLER, p. 69.

122 LAITHIER,p. 14.

123 LEGRAND, p. 3.

pour cette ressource limitée puisque celle-ci n’est alors pas prise en compte d’une manière globale, ce que nous ne pouvons que déplorer.

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