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La dimension locale de la tâche de distribution d’eau potable en Suisse

Dans le document Le droit comparé et le droit suisse (Page 137-141)

La tâche publique de distribution de l’eau en Suisse

2. La dimension locale de la tâche de distribution d’eau potable en Suisse

a) Le cadre légal général

En Suisse, l’eau potable fait l’objet d’un régime légal hétérogène. Ce système com-plexe en trois échelons de compétence compte tout d'abord, sur un plan fédéral, des réglementations en lien avec la tâche fédérale de protection de la santé et plus préci-sément sur l'utilisation des denrées alimentaires63, applicables dans le cadre de la dis-tribution d'eau potable. Au niveau cantonal, les infrastructures sont supervisées et une vérification de la qualité de l'eau potable est organisée, les cantons jouant un rôle d'or-gane de contrôle. Finalement, les distributeurs, troisième échelon, ont pour tâche d'assurer la distribution effective de l'eau auprès de la collectivité64. Les cantons titu-laires de la tâche publique, délèguent souvent cette tâche aux communes65 qui peu-vent, selon les cas, elles-mêmes la confier à des distributeurs privés ou publics. En effet, comme déjà souligné et en vertu de l'art. 76 al. 4 Cst., les cantons restent souve-rains de leurs ressources en eau et sont donc compétents pour organiser la distribution d'eau potable66.

La Suisse compte trois mille distributeurs67 de divers types ; il s’agit majoritairement d’entreprises de droit public68. Tout d'abord, la commune et le distributeur peuvent être une même entité seulement lorsque le réseau de la commune n'est connecté à aucun autre. Dans un second cas, la commune sera encore son propre distributeur mais pas pour l'entier de sa population, le territoire restant sera alors desservi par d'autres distributeurs. Elle peut, dans un tel cas de figure, vendre en gros de l'eau à une autre commune et aura alors son réseau connecté à des réseaux tiers. Le troisième cas envi-sageable est celui d'une commune qui alimente plusieurs communes à proximité, ceci n'étant envisageable que dans les cas où la collectivité publique, souvent une ville, dispose de ressources importantes et d'infrastructures suffisamment étendues pour lui

62 ROUILLER, p. 452.

63 En vertu de l’art. 118 Cst.

64 PANCHAUD, p. 235; BERGAMIN, p. 5.

65 GRISEL, p. 424; SOHNLE, Les agglomérations, p. 176.

66 Ibid., p. 183.

67 MAIRE, p. 463; BELLANGER /CAVALERI RUDAZ, p. 199.

68 WEISSBRODT, p. 3.

permettre d'approvisionner des communes voisines de manière à ne pas gaspiller d'eau en vendant le surplus de production69. Finalement des communes peuvent s'associer, en général sous la forme d'un syndicat intercommunal où elles restent chacune res-ponsable d'une partie de leur propre réseau, mais une délégation à une entreprise as-sure une quantité et une qualité globale pour le reste. Cette méthode permet de dimi-nuer les coûts liés à l'approvisionnement. Ces différents types de distribution sont ré-gis par des lois spécifiques à l'approvisionnement en eau présentes dans la plupart des cantons étudiés.

b) Les variations règlementaires cantonales

La précision de ces règles varie selon le canton. Si certains cantons ont adopté une règlementation détaillée, d'autres n'ont mis en place que des principes70.

Il existe ainsi des règles cantonales de rang constitutionnel définissant parfois un mo-nopole ou simplement le rôle des autorités publiques dans l'accomplissement de cette tâche. Le droit fribourgeois nous en donne un exemple. En effet, l'art. 77 de la Cons-titution fribourgeoise71 prévoit que les pouvoirs publics, soit l'État et les communes, garantissent un approvisionnement en eau mis en pratique par la Loi du 6 octobre 2011 sur l'eau potable72. Le préambule de la LEP renvoie en outre directement à l'art.

58 Cst-FR. qui traite de la création de monopoles cantonaux prévoyant que l'État ou les communes peuvent en créer lorsque l'intérêt public le commande. En l'espèce, et comme le rappelle le Message accompagnant la LEP73, le marché de réseau de distri-bution d'eau potable en Suisse relève d'un monopole naturel.

A Genève aussi, la Constitution traite de la question de la fourniture d'eau, en garan-tissant un approvisionnement en quantité et qualité suffisantes qui préserve et écono-mise la ressource74 tout en prévoyant un monopole cantonal à l'art. 168 al. 1 Cst-GE se démarquant ainsi de la majorité des cantons. Ce monopole (de droit) a été délégué

69 Comme l'exemplifie Julie BERGAMIN : « Le service des eaux de Lausanne alimente dix-sept communes au détail, dont Lausanne, c'est-à-dire jusqu'au compteur d'eau de chaque immeuble, ce qui représente 80% des ventes. Les 20% restant constituent les ventes en gros, auprès de 69 communes possédant leur propre réseau de distribution et alimentant elles-mêmes leurs abonnés.

Les communes alimentées en gros sont classées en trois groupes selon leur niveau de dépendance. Par exemple, les communes de Pully et de Lutry, n'ayant presque pas de ressources en eau, sont fortement dépendantes. Morges, par contre ne fait appel à la ville de Lausanne qu'irrégulièrement, en cas de crise » in La tarification de l’eau en Suisse romande, p. 6.

70 SOHNLE, Les agglomérations, p. 183.

71 Constitution du canton de Fribourg du 16 mai 2004, RS-FR 10.1 (Cst-FR).

72 RS-FR 821.32.1 (LEP).

73 Message n° 262 du Conseil d’Etat au Grand Conseil accompagnant le projet de loi sur l’eau potable (LEP) du 5 juillet 2011, p. 7.

74 Selon l'art. 159 al. 1 de la Constitution de la République et canton de Genève, RS-GE A 2 00 (Cst-GE).

exclusivement aux Services industriels de Genève (SIG), établissement public du can-ton75, en vertu de l'art. 168 al. 2 Cst-GE et de la Loi sur l'organisation des Services industriels de Genève du 5 octobre 197376. La délégation porte touche le réseau pri-maire définit par l'art. 57 al. 1 LEaux-GE77 comme comprenant toutes les installations publiques des systèmes d'assainissement déclarées d'intérêt général par le Conseil d'État, tandis que le réseau secondaire comprend toutes les autres installations en vertu de l'art. 58 al. 1 GE et est propriété des communes selon l'art. 58 al. 2 LEaux-GE.

Les Constitutions bernoise, neuchateloise, vaudoise et zurichoise prévoient que cette tâche d'approvisionnement en eau respectueuse de l’environnement, économique et suffisante soit dévolue au canton et aux communes78. L'art. 5 Cst-NE79 précise, de plus, qu'il doit être diversifié80 ; un encouragement à favoriser les économies d'énergie et l'utilisation des ressources renouvelables doit aussi être relevé. La Constitution va-laisanne ne comporte aucune norme sur l'approvisionnement en eau.

Ces normes constitutionnelles ont pour la plupart étaient spécifiées dans des lois can-tonales. La loi fribourgeoise reconnaît, par exemple, l'eau comme un bien vital de première nécessité (art. 1 al. 1 LEP) et prévoit, de plus, une garantie d'accessibilité économique, en termes de distribution de la ressource et de quantité. Dans le même ordre d’idée, une priorité des besoins en alimentation de la collectivité81 de même que le respect du principe de développement durable sont prévus et constituent des avan-cées juridiques majeures. La garantie constitutionnelle de l'art. 77 Cst-FR obligeant l'État et les communes à garantir l'approvisionnement en eau, il est important d'empê-cher que l'eau potable82 ne devienne un objet de spéculation83. C'est pourquoi, en vertu de l'art. 4 al. 2 LEP, une privatisation de l'approvisionnement en eau est rendue im-possible. Comme le précise le message accompagnant la Loi sur l'eau potable84 : « les

75 Ibid., p. 190.

76 RS-GE L 2 35 (LSIG).

77 Loi sur les eaux du 5 juillet 1961, RS-GE L 2 05 (LEaux-GE).

78 Art. 5 let. l Cst. NE, art. 35 Cst. BE, art. 56 Cst-VD et art. 105 al. 2 Cst. ZH.

79 Constitution de la République et Canton de Neuchâtel du 24 septembre 2000, RS-NE 101, état au 30 novembre 2014 (Cst. NE).

80 Autrement dit, l’approvisionnement en eau doit être basé sur de multiples sources pour éviter un épuisement de la ressource.

81 Spécifiquement repris à l'art. 4 al. 1 LEP.

82 A propos de la notion d'eau potable, comme la plupart des autres lois cantonales étudiées (art.

118 al. 1 LPGE, art. 8 al. 1 LAEE et art. 1 al. 2 LDE) la LEP fait un renvoi aux règles relevant de la législation fédérale en matière de denrées alimentaires. Plus, précisément est considérée comme une eau potable, l’eau qui à l’état naturel ou après traitement, convient à la consommation, à la cuisson d’aliments, à la préparation de mets et au nettoyage d’objets entrant en contact avec les denrées alimentaires (art. 2 de l’Ordonnance du DFI sur l’eau potable, l’eau de source et l’eau minérale du 23 novembre 2005; RS 817.022.102). Cette notion est donc définie en fonction d’une notion qualitation de l’eau.

83 CONSEIL D'ETAT, Message numéro 262 du Conseil d'Etat au Grand Conseil accompagnant la loi sur l'eau potable (LEP), 5 juillet 2011, p. 16.

84 Ibid., p. 18.

expériences de privatisation de l'eau menées dans le monde ont généralement abouti à une augmentation des prix avec des implications sociales importantes selon les po-pulations touchées. Pour éviter que cette ressource vitale, pour l'heure commune à tous en Suisse, ne devienne un objet de convoitise et de spéculation, il est indispen-sable que la gestion de la ressource naturelle « eau publique » demeure durablement en mains publiques ».

En droit bernois, une délégation de la tâche incombant aux communes à des organi-sations de droit privé est possible mais selon l'art. 6 al. 5 LAEE85, les personnes pri-vées ne peuvent pas disposer ensemble de la majorité des voix. D’une manière simi-laire, la loi neuchâtesoise à son art. 10 al. 1 LPGE86 précise que « La commune peut concéder l'exploitation de ses installations d'approvisionnement en eau potable à une autre commune ou à une entité en main publique ». La loi neuchateloise spécifie par ce biais que la maîtrise de la fourniture d'eau potable doit rester publique avec comme particularité de distinguer les zones d'urbanisation des autres zones. La distribution de l'eau potable en zone d'urbanisation est assurée par la commune, l'art. 11 LPGE est d'ailleurs intitulé « distribution en service public ». Des tiers ne peuvent donc devenir concessionnaires qu'en dehors de cette zone comme précisé par l'art. 11 al. 2 LPGE.

Nous pouvons en déduire une volonté que le réseau de distribution d’eau potable neu-châtelois reste en priorité en main publique.

En droit vaudois, la loi sur la distribution de l'eau87 prévoit à son article premier que ce sont « les communes qui sont tenues de fournir l'eau nécessaire à la consomma-tion »88. Cet approvisionnement doit être « suffisant, diversifié, sûr, économiquement optimal et respectueux de l'environnement » (art. 56 Cst-VD89). Il est assuré dans les zones où des bâtiments peuvent être construits (art. 2 LDE)90. En plus de ce minimum, les communes peuvent offrir une affiliation au réseau plus étendue mais leurs obliga-tions de base ne doivent alors pas en souffrir91. La qualité de l'eau est soumise, évi-demment, aux exigences de la législation fédérale en matière de denrées alimentaires.

Les autres cantons sur lesquels cette étude porte ont, pour la plupart, eux aussi un renvoi similaire dans leurs lois touchant à l'approvisionnement en eau potable de la population92. Concernant la distribution proprement dite, la loi vaudoise stipule que la fourniture d'eau est faite par la commune ou à travers une collaboration communale mais qu'une personne morale de droit privé ou public peut se la voir confier (art. 4

85 Loi sur l’alimentation en eau du 11 novembre 1996, RS-BE 752.32 (LAEE).

86 Loi sur la protection et la gestion des eaux du 2 octobre 2012, état au 1er juin 2015, RS-NE 805.10 (LPGE).

87 Loi du 30 novembre 1964, RS-VD 721.31 (LDE).

88 PANCHAUD, p. 236.

89 Constitution du Canton de Vaud du 14 avril 2003, RS-VD 101.01 (Cst-VD).

90 Ibid., p. 240.

91 Selon l’art. 1 al. 2 LDE.

92 Voir par exemple: art. 8 LAEE, art. 118 LPGE et art. 1 al. 2 LEP.

LDE)93. Elle se verra alors accorder une concession et sera surveillée avec diligence par la commune94.

En Valais, aucune mention de l'eau n'est faite sur un plan constitutionnel95 et c'est l'art.

5 al. 1 LcEaux96 qui donne aux communes la compétence d'approvisionnement en eau. Elles se doivent, en vertu de l'alinéa 2 de créer un règlement sur l'approvisionne-ment en eau et doivent tenir à jour (al. 3) l'inventaire des installations servant à l'ali-mentation en eau potable. De plus, un arrêté concernant les installations d'alil'ali-mentation en eau potable du 8 janvier 196997, semblant toujours en vigueur malgré l'abrogation de sa « loi-mère », précise certains éléments pertinents, tels que les obligations com-munales en matière de ravitaillement. En particulier, il délimite grossièrement la zone dans laquelle la commune se doit d'assurer une fourniture d'eau en suffisance soit les

« agglomérations habitées »98. De plus, il rend responsable les communes de la qualité de l'eau dans tous les cas de figure, y compris dans le cas de réseaux privés en vertu de son art. 11. Enfin, fait particulier, toute personne qui le souhaite peut demander une analyse microbiologique ou chimique de l'eau potable en prélevant un échantillon99. Cette délimitation de zone se retrouve dans un certain nombre d'autres lois cantonales à l'exemple de la loi neuchateloise (art. 111 LPGE), fribourgeoise (art. 13 LEP) ou encore vaudoise (art. 1 LDE) qui comporte une limitation en zone d'urbanisation res-pectivement en zone à bâtir. La définition classique d'aménagement du territoire doit alors être prise en compte et l'obligation communale de fourniture d'eau n'existe dès lors pas dans l'entier du canton, mais uniquement dans les zones habitées. Dans le canton de Berne, en plus, une obligation d'équiper des services des eaux existe en raison de l'art. 9 LAEE et une garantie de suffisance en termes de pression de service découlant de l'art. 8 LAEE est encore à souligner.

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