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La désignation des juges en Suisse

Dans le document Le droit comparé et le droit suisse (Page 107-110)

1. Un aperçu

a) La désignation par un organe politique

Les juges de première instance sont élus, dans la très grande majorité des cantons, par un organe politique, à savoir le peuple, dans quinze cantons, ou le Parlement, dans neuf cantons. Les cantons de Vaud et du Valais font figure d’exceptions, leurs juges de première instance étant désignés par le Tribunal cantonal. La tendance est inversée s’agissant des juges de seconde instance, lesquels sont majoritairement élus par le Parlement (dans dix-huit cantons) ; huit cantons pratiquent, quant à eux, l’élection populaire8. Enfin, au niveau fédéral, c’est l’Assemblée fédérale, chambres réunies, qui élit les juges des différents tribunaux fédéraux9. La préparation de

6 PONTHOREAU, pp 118 ss.

7 Au niveau terminologique, nous utiliserons les formulations de « juge » plûtot pour la Suisse et de « magistrat » pour la France.

8 MAHON/SCHALLER, Élection, pp 4 et 15 à 19.

9 Voir les articles 168 de la Constitution fédérale (RS 101), 5 al. 1 LTF (RS 173.110), 5 al. 1 LTAF (RS 173.32), 9 al. 1 LTBF (RS 173.41), 42 al. 1 LOAP (RS 173.71) et 14 al. 1 PPM (RS 322.1).

l’élection est parfois confiée à un organe externe, chargé de sélectionner les candi-dats à l’élection10.

b) Une élection à durée déterminée

A l’exception de Fribourg – qui a opté, depuis le 1er janvier 2008, pour une élection à durée indéterminée11– dans tous les cantons, comme au niveau fédéral, les juges sont élus pour une durée déterminée. Tandis que les juges des tribunaux fédéraux sont élus pour un mandat de six ans12, les juges cantonaux sont élus pour une durée qui varie entre un et dix ans d’un canton à l’autre. A la fin de leur mandat, les juges helvétiques sont alors soumis à réélection – à l’exception des magistrats fribourgeois précisément – généralement selon la même procédure que pour la première désignation13.

2. Les limites du système

a) Le rôle fondamental des partis politiques

L’élection des magistrats helvétiques reste l’apanage des partis politiques. Pour pos-tuler à une fonction judiciaire, il faut, en effet, être membre d’un parti, ou, du moins, en être suffisamment proche au point d’accepter d’être présenté par celui-ci14. En outre, il est largement admis que le choix véritable des juges se fait, en pratique, sur la base d’un accord entre les partis politiques – qui intervient parfois même avant la mise au concours – lesquels se répartissent les postes selon leur force parlemen-taire15. Il en va ainsi surtout pour les juges du Tribunal fédéral et pour les juges cantonaux de deuxième instance16.

La conséquence inéluctable de cette pratique – laquelle est dénoncée en doctrine – est une limitation d’accès à la profession17. Elle réduit, en effet, pratiquement, à néant les chances d’un aspirant juge ne se reconnaissant dans aucun parti politique

10 MAHON/SCHALLER, Élection, p. 4.

11 Art. 121 al. 2, première phrase, Cst./FR.

12 Art. 145 Cst., 9 al. 1 LTF, 9 al. 1 LTAF ; art. 48 al. 1 LOAP. Quatre ans pour les juges du Tribunal militaire de Cassation (art. 14 al. 1 PPM).

13 MAHON/SCHALLER, Réélection, nos 14 ss.

14 ZAPPELLI, Le juge, p. 89 ; GASS, p. 603.

15 AMOOS PIGUET, n° 45, BALMELLI, n° 6.

16 GASS, p. 602; ZAPPELLI, Le juge, p. 89.

17 AMOOS PIGUET, no 25.

d’accéder à la magistrature, et ce même s’il bénéficie par hypothèse de qualités pro-fessionnelles et humaines supérieures au candidat engagé politiquement18. Selon certains auteurs19, ce système serait ainsi discriminatoire.

b) La réélection périodique

Bien qu’en pratique les cas de non-réélection soient très rares20, le système de réélection des juges suisses alimente le débat depuis quelques années. Les auteurs qui le critiquent avancent ainsi, en particulier, la pression que les partis peuvent exercer sur les magistrats à travers la menace de non-réélection21. Ces risques sont d’autant plus d’actualité avec la tendance à la bipolarisation du système politique suisse et à la radicalisation des oppositions22. En effet, il arrive de plus en plus fréquemment que des jugements à résonances politique et médiatique élevées fassent l’objet de critiques par des représentants des partis politiques, ceux-ci allant jusqu’à menacer les magistrats de ne pas les réélire23. Ainsi, les juges peuvent obtenir de mauvais scores lors de réélections, comme en témoigne le dernier renouvellement intégral du Tribunal fédéral24.

En conséquence, bien que la réélection soit la règle et la non-réélection l’exception25, le fait pour un juge de se voir soumis à la réélection est susceptible de porter atteinte à son indépendance, puisqu’il pourrait être tenté, en particulier dans les mois précédant sa réélection, de rendre des décisions influencées par les forces politiques qui le soutiennent, ou au contraire, de s’abstenir d’en prendre afin de ne pas les offusquer, ceci dans le but d’assurer sa réélection26.

18 AMOOS PIGUET, no 25 ; BALMELLI, n° 7.

19 Avant tout BORGHI, p. 180.

20 ZAPPELLI, Le juge, p. 90.

21 MAHON/SCHALLER, Réélection, no 31; GASS, p. 287; KIENER,Wiederwahl, p. 40.

22 MAHON/SCHALLER, Réélection, no 41, MARTY, Tentatives, nos 2 ss.

23 Nous pouvons citer les menaces de non-réélection de juges fédéraux formulées par certains représentants de l’UDC suite au fameux arrêt du Tribunal fédéral à propos des naturalisations par les urnes (arrêt « Emmen », ATF 129 I 217) ou les critiques émises par des représentants de ce même parti contre l’arrêt de notre Haute Cour sur l’initiative populaire fédérale sur le renvoi des délinquants étrangers (ATF 139 I 16). Voir GRODECKI,no 20.

24 Le 24 septembre 2014, les juges appartenant à la deuxième Cour de droit public (compétente, notamment, en matière de droit des étrangers) ont tous été réélus avec des scores inférieurs à 200 voix, conséquence très probable de l’ATF 139 I 16 précité. Voir STEINMANN, p. 1.

25 ZAPPELLI, Le juge, p. 90.

26 MAHON/SCHALLER, Réélection, no 32 ; FONJALLAZ, p. 56.

c) L’absence de formation professionnelle initiale

Une autre particularité du système suisse est l’absence de pratiquement toute formation professionnelle initiale pour accéder à la magistrature27. Certains cantons exigent de leurs magistrats l’obtention d’une licence, d’un master ou d’un doctorat en droit, formation qui doit être complétée, parfois, par un brevet d’avocat ou de notaire. Une expérience professionnelle dans les domaines de compétence du tribunal peut également être requise28. Cependant, près d’un tiers des cantons ainsi que la Confédération n’exigent même pas, en théorie, une formation juridique puisque la seule condition d’éligibilité reste l’exercice du droit de vote29. Cela dit, dans la pratique, seuls les titulaires d’un diplôme universitaire peuvent accéder à une fonction de juge professionnel. Il en va ainsi, surtout, pour les postes de juges du Tribunal fédéral où ne sont élus que des juristes chevronnés, parmi les juges cantonaux, les professeurs d’université, les greffiers du Tribunal fédéral, les fonctionnaires fédéraux ou, plus rarement, les avocats au barreau30.

Cela dit, bien que la tendance soit partout à la professionnalisation du métier de magistrat, l’absence de formation spécifique initiale rend difficile de cerner de manière claire et uniforme des critères objectifs pour leur recrutement31.

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