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Les magistrats de l’ordre judiciaire

Dans le document Le droit comparé et le droit suisse (Page 111-117)

La désignation des magistrats en France

2. Les magistrats de l’ordre judiciaire

a) Le recrutement et la formation aa) École nationale de la magistrature (ENM)

Les magistrats professionnels de l’ordre judiciaire, tant ceux du « siège » que du

« parquet », sont principalement recrutés par le biais de l’École nationale de la ma-gistrature (ENM). Il s’agit d’un établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle du garde des sceaux. Elle a son siège à Bordeaux35.

La mission principale de l’ENM est d’assurer la formation des futurs magistrats, appelés « auditeurs de justice ». L’École organise également les concours d’accès et veille à la formation continue des magistrats en fonction ainsi qu’à la formation initiale et continue des juges non professionnels36.

ab) Un recrutement principalement sur concours

Pour être admis à l’École nationale de la magistrature, les aspirants juges doivent s’astreindre à préparer un concours. Le nombre de places offertes à celui-ci est dé-terminé, chaque année, par le ministère de la Justice, en fonction des besoins prévi-sionnels en magistrats et également en raison d’impératifs budgétaires37.

En réalité, il n’y a pas un concours, mais trois concours distincts : le premier concours (dit aussi « concours étudiants ») est la voie principale d’accès à l’ENM38.

33 PERROT, no 40, p. 37.

34 Pour un aperçu général de l’organisation générale des juridictions françaises, voir GUINCHARD

et al., no 354, pp 444 ss.

35 PERROT, no 353, pp 283-284.

36 Art. 14 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22/12/1958.

37 <http://www.enm.justice.fr/?q=Devenir-magistrat-etudiants> (dernière consultation : 22.11.16).

38 Lors de la promotion 2016, près de 67% provenaient de ce concours. Voir ENM, Programme pédagogique, p. 5.

Il est réservé aux candidats âgés de 31 ans au plus et titulaires d’un diplôme universitaire ou d’un certificat d’un institut d’études politiques (ci-après : IEP)39 ; le deuxième concours (dit aussi « concours fonctionnaires ») est ouvert aux fonctionnaires justifiants de quatre années de service40; enfin, un troisième concours (dit aussi « concours professionnels ») est ouvert pour des personnes qui ont exercé une activité professionnelle pendant huit ans au moins41.

Les concours comprennent d’abord des épreuves d’admissibilité, qui sont écrites.

Une fois ces épreuves réussies, le candidat peut se présenter aux épreuves d’admission, qui sont majoritairement orales et comportent, notamment, des entretiens avec le jury42.

Les concours ont lieu annuellement. Aucun candidat ne se peut se présenter plus de trois fois pour chaque concours43. Les concours sont très sélectifs puisque moins de 10 % des inscrits sont admis44.

Parallèlement, peuvent accéder directement à l’ENM, sans devoir passer de concours, les personnes, âgées entre 31 et 40 ans et titulaires d’une maîtrise en droit et justifiant de quatre années d’activité dans le domaine juridique, économique ou social ainsi que des docteurs en droit. Le nombre d’auditeurs nommés par ce biais ne peut dépasser le tiers du nombre des auditeurs issus des concours45.

ac) La formation auprès de l’ENM

Les auditeurs de justice bénéficient d’une formation poussée et axée sur la pratique judiciaire. Sa durée est de 31 mois, subdivisée en deux phases. Une première phase, dite « généraliste », de 100 semaines qui consiste en l’accomplissement de divers stages au sein d’études d’avocat, d’organismes partenaires de la justice (services d’enquête, administration pénitentiaire) ainsi qu’au sein de tribunaux où l’auditeur de justice participe à l’activité juridictionnelle sous la responsabilité d’un magistrat en exercice. Une période d’études se déroule également au sein de l’ENM où sont dispensés des enseignements sur les techniques spécifiques que doivent acquérir les magistrats ainsi que sur la culture judiciaire (déontologie, éthique, etc.). Les

39 Cf. art. 16-1° de l’ordonnance n° 58-1270 du 22/12/1958.

40 Cf. art. 17-2° de l’ordonnance n° 58-1270 du 22/12/1958.

41 Art. 17-3° de l’ordonnance n° 58-1270 du 22/12/1958, modifiée par la loi du 25 février 1992.

42 Pour les détails, voir

<www.enm.justice.fr/sites/default/files/publications/Depliant_1er_concours.pdf> (dernière consultation: 22.11.16).

43 < www.enm.justice.fr/?q=Devenir-magistrat-etudiants > (dernière consultation : 22.08.16).

44 ENM, Programme pédagogique, p. 6.

45 Art. 18-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22/12/1958.

gnements sont dispensés essentiellement par des magistrats détachés provisoire-ment à l’ENM. Au sein des juridictions, les auditeurs sont suivis par les coordonna-teurs régionaux de formation. Ces personnes évaluent l’auditeur tout au long de sa formation46.

A l’issue de cette première phase, les auditeurs de justice doivent se soumettre à un examen d’aptitude et de classement devant un jury. Ce dernier se prononce alors sur l’aptitude de chaque auditeur à exercer une fonction juridictionnelle puis l’assortit d’une recommandation et, le cas échéant, de réserves sur les fonctions pouvant être exercées par cet auditeur47. Le jury détermine également l’ordre de classement compte tenu de toutes les épreuves subies par les auditeurs. Ces derniers choisissent leurs premières affectations sur une liste proposée par le ministère de la justice.

Commence ensuite la deuxième phase de la formation, dite de « préparation aux premières fonctions », d’une durée de dix-huit semaines, qui se termine par un stage de pré-affectation en juridiction, dans les fonctions que l’auditeur sera appelé à oc-cuper48.

ad) Le recrutement latéral par intégration au poste

Il est possible, dans certains cas, d’accéder à la magistrature sans formation initiale auprès de l’École nationale de la magistrature. Ce recrutement dit latéral, qui vise à remédier à la pénurie des effectifs, permet en même temps d’« enrichir la magistrature d’apports extérieurs de grande qualité »49.

Il peut s’agir soit d’une intégration à titre définitif, soit à titre temporaire. Ce mode de recrutement concerne des personnes ayant déjà exercé des fonctions judiciaires administratives ou universitaires et justifiant d’un certain nombre d’années d’expérience dans ces postes50. Cette filière reste toutefois quelque peu anecdotique. Par ce biais, sont, en effet, recrutés chaque année, en moyenne dix à 30 magistrats51.

b) La nomination

A l’issue de leur formation et après que les nouveaux magistrats ont été affectés à leur nouveau poste, le garde des sceaux saisit, pour avis conforme, la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature (CSM)52. Suite à un examen

46 ENM, Programme pédagogique, pp 47 ss.

47 Art. 21 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22/12/1958.

48 PERROT, no 358, p. 287.

49 KERNALEGUEN, no 352, p. 218.

50 Cf. art. 22, 23 et 40 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22/12/1958.

51 PERROT, no 361, p. 289.

52 Art. 26 al. 2 de l’ordonnance du 22/12/1958, modifié par la loi du 5 mars 2007.

des dossiers des candidats, un vote a lieu au sein du CSM, puis un avis est adressé au garde des Sceaux53. Ce dernier proposera alors les auditeurs au Président de la République qui les nommera, par décret, aux postes de magistrat54.

En ce qui concerne les magistrats du siège, un avis non conforme fait obstacle à la nomination, ce qui signifie que le gouvernement ne pourrait pas nommer un juge contre l’avis du CSM55. En revanche, il peut passer outre l’opposition de cet organe – qui n’émet qu’un avis simple – pour nommer un magistrat du parquet. Ces dernières nominations sont dès lors susceptibles de revêtir un caractère plus politique que celles des magistrats du siège56.

c) Le déroulement de la carrière

aa) L’inamovibilité du magistrat du siège

Les magistrats du siège sont inamovibles. Ce principe est proclamé par la Constitution française, à son art. 64 al. 4, et repris dans l’art. 4 de l’ordonnance n°

58-1270 du 22 décembre 1958. Cela signifie, en pratique, qu’un juge ne peut pas faire l’objet d’une mesure individuelle telle que le déplacement, la suspension, ou la révocation, en dehors d’une procédure disciplinaire ni d’un avancement sans son consentement57. L’inamovibilité assure aux magistrats l’indépendence qu’ils ont besoin et constitue surtout une garantie de bonne justice pour les citoyens58. En revanche, notons que les magistrats du Ministère public ne bénéficient pas de cette garantie, en raison de leur rôle de garant de l’intérêt public qui les subordonnent, de fait, au pouvoir exécutif59.

ab) Le Conseil supérieur de la magistrature : composition et attributions Afin d’assurer l’indépendance de la justice, il a été mis en place un organe indépendant, le CSM, destiné à s’interposer entre le juge et le gouvernement pour les décisions importantes ayant trait à sa carrière, telles qu’une mesure disciplinaire ou un avancement60. Selon l’art. 64 de la Constitution, cet organe « assiste » le président de la République qui est le « garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire ».

53 MAHON/LIEVRE, p. 25.

54 Cf. art. 26 al. 2 de l’ordonnance du 22/12/1958, modifié par la loi du 5 mars 2007.

55 PERROT, no 52, p. 49 ; voir également l’art. 65 al. 4 et 5 de la Constitution du 4 octobre 1958.

56 MAHON/LIEVRE, p. 26.

57 PERROT, no 372, p. 298.

58 GUINCHARD et al., n° 111, p. 161.

59 Ibid., no 375, p. 300.

60 Ibid., no 48, p. 44.

Le CSM est composé de deux formations distinctes : une formation compétente à l’égard des magistrats du siège qui comprend le premier président de la Cour de cassation (qui en assure la présidence), cinq magistrats du siège et un magistrat du parquet élus par leurs pairs, un conseiller d’État, un avocat et six personnalités qualifiées qui n’appartiennent ni au Parlement, ni à l’ordre judiciaire, ni à l’ordre administratif. Ces personnalités sont élues par le Président de la République et les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat (chacun deux)61. L’autre, compétente à l’égard des magistrats du parquet, qui comprend le procureur général près de la Cour de cassation (président), cinq magistrats du parquet et un magistrat du siège élus par leurs pairs, ainsi que le Conseiller d’État, l’avocat et les six personnalités qualifiées mentionnées précédemment62. Depuis la réforme de 2008, les magistrats ne sont ainsi plus en majorité ; solution voulue afin de limiter l’emprise du corporatisme63.

Outre la nomination et la promotion des magistrats64, le CSM détient d’importantes attributions en matière disciplinaire65.

ac) L’avancement du magistrat : un système de grades

Comme pour tout corps de fonctionnaires, la carrière du magistrat français est or-ganisée selon un système de grades, par lequel il peut s’élever dans la hiérarchie.

L’auditeur qui devient magistrat est ainsi nommé dans le deuxième grade. Il a en-suite la possibilité d’accéder au premier grade ; il peut, le cas échéant, terminer sa carrière dans le groupe des magistrats hors hiérarchie66. Chaque changement de grade entraîne d’importantes conséquences pour le magistrat, avant tout salariales.

Le magistrat ne peut passer du deuxième au premier grade que s’il justifie d’une certaine ancienneté et s’il est inscrit sur un tableau d’avancement. Pour l’établir, la Commission d’avancement prend connaissance du dossier individuel du magistrat et notamment de l’évaluation de son activité professionnelle, par ses supérieurs hiérarchiques, et, en ultime ressort, par le premier président de la cour d’appel dont il dépend. La procédure est contradictoire. Le tableau d’avancement est ensuite transmis à chaque magistrat concerné. Dans un souci de transparence, il est affiché au siège de chaque juridiction; les magistrats qui n’y figurent pas peuvent ainsi demander leur inscription67.

61 Art. 65 al. 2 de la Constitution du 4 octobre 1958.

62 Art. 65 al. 3 de la Constitution du 4 octobre 1958.

63 PERROT, no 51, p. 48.

64 Art. 65 al. 4 et 5 de la Constitution du 4 octobre 1958.

65 Voir les art. 51 à 57 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958.

66 KERNALEGUEN, no 356, p. 220.

67 PERROT, no 382 s., pp 306 s.

ad) La mobilité de corps : avantage ou inconvénient ?

Ce système hiérarchisé implique pour le juge qui veut bénéficier d’un avancement de grade une obligation de mobilité tant géographique que fonctionnelle. L’idée est que le maintien d’un magistrat dans les mêmes fonctions trop longtemps engendre indéniablement un doute quant à son impartialité. Il est, en effet, susceptible de

« devenir la cible d’amitiés ou d’inimitiés locales de nature à entraver son indépendance d’esprit »68. C’est pourquoi la loi prévoit des règles limitant la durée de certaines fonctions ou prohibant les nominations dans certaines juridictions où le magistrat est déjà affecté depuis plusieurs années69.

L’exigence de mobilité géographique est aussi destinée à éviter que les magistrats s’installent dans une certaine routine. Les juges peuvent également, par un renouvellement régulier de leurs pratiques, acquérir de nouvelles expériences et se confronter à d’autres environnements professionnels ou sociaux. Une mobilité fonctionnelle peut aussi répondre à cette dernière exigence. Ces critères sont essentiels dans une perspective d’avancement professionnel et sont pris en compte par le Conseil supérieur de la magistrature lors des nouvelles nominations. Enfin, la mobilité géographique entend répondre à la nécessité de pourvoir des postes géographiquement peu attractifs70. Il en résulte qu’un magistrat évoluant jusqu’aux emplois hors-hiérarchie devra changer de juridiction cinq fois au moins71.

Dans le même temps, la mobilité géographique peut avoir des inconvénients pour le magistrat qui, notamment pour des raisons familiales, veut rester sur place. Il devra alors renoncer à un avancement de grade auquel il a droit s’il veut conserver sa fonction72. Ce système apparaît problématique, en particulier, pour les femmes en début de carrière73, qui, en raison de ces contraintes, accèdent ensuite plus rarement aux postes plus élevés74. Certains déplorent également une moindre compréhension des coutumes locales de la part des magistrats, appelés souvent à changer de juridictions.

ae) Les activités politiques et syndicales

La loi interdit au corps judiciaire « toute délibération politique » ainsi que, « toute manifestation d’hostilité au principe ou à la forme du Gouvernement de la

68 Ibid., no 378, p. 304.

69 Voir par exemple l’art. 2 de l’ordonnance du 22/12/1958, modifié par la loi n° 2007-287 du 25 juin 2001.

70 CSM, Rapport d’activité 2012, p. 197.

71 Ibid., p. 201.

72 PERROT, no 378, p. 304.

73 Or, la magistrature française est majoritairement féminine. A titre d’exemple, la promotion 2016 compte 75 % de femmes et reste stable depuis 2004. Voir, ENM, Programme pédagogique, p. 11.

74 CSM, Rapport d’activité 2012, pp 201 ss.

République »75. On relèvera néanmoins que la plupart des magistrats sont affiliés à un syndicat de magistrats. Ces syndicats, qui diffèrent selon leur couleur politique, n’hésitent parfois pas à entrer en conflit ouvert avec le Gouvernement pour des questions touchant à l’activité des magistrats76.

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