• Aucun résultat trouvé

L’interdiction suisse de la procréation post-mortem face au droit comparé

Dans le document Le droit comparé et le droit suisse (Page 196-200)

Introduction

La présente contribution1 traite de la procréation post-mortem en droit suisse et en droit comparé.

Actuellement, la question de la procréation post-mortem fait peu débat en Suisse.

Pourtant, avec l’élan d’ouverture face aux méthodes de procréation médicalement assistée (ci-après PMA)2 ainsi que les modifications possibles et éventuelles de la Loi fédérale du 18 décembre 1998 sur la procréation médicalement assistée (ci-après LPMA ; RS 810.11)3, la donne pourrait changer. La levée de l’interdiction de la conservation des embryons (infra III/2) nous rapproche d’ailleurs toujours plus de la problématique de la procréation post-mortem.

Dans cette optique, il s’avère donc utile d’étudier quelques législations étrangères et en particulier celles dont les solutions législatives diffèrent.

À titre de délimitation, il faut préciser que le but de cet écrit n’est pas de prendre position quant à la procréation post-mortem, ni de se prononcer sur la question de l’interdiction ou de l’autorisation de cette méthode de PMA en Suisse, mais bien plus de faire un état des lieux quant à la législation suisse et aux solutions étrangères.

1 Cette contribution fait suite au séminaire annuel du programme doctoral en droit CUSO des 27 et 28 octobre 2016. L’état de la législation et des sources est arrêté au 1er octobre 2016, date de reddition de la présente contribution aux éditeurs scientifiques.

2 Tant la société que la doctrine juridique se montrent de plus en plus ouvertes dans le domaine.

La dernière votation en la matière a d’ailleurs recueilli 62,4 % de oui en faveur de la modification de la loi en vue d’autoriser le diagnostic préimplantatoire (ci-après DPI) (FF 2016 p. 6559 ss).

3 Ce texte tient compte de la dernière modification du 12 décembre 2014, acceptée en votation populaire le 5 juin 2016. La date d’entrée en vigueur doit encore être fixée par le Conseil fédéral.

La structure du texte est la suivante : sont exposés premièrement, les différentes généralités relatives à la procréation post-mortem (infra I) et deuxièmement, les so-lutions légales retenues en la matière (infra II). Troisièmement, une réflexion est menée quant à l’avenir de la législation suisse dans le domaine (infra III).

Généralités

1. La définition et les méthodes

Par procréation post-mortem, il faut comprendre toute méthode de PMA effectuée à l’aide du patrimoine germinal (gamète [sperme ou ovule], ovule imprégné, em-bryon) d’une personne décédée.

Le décès de la personne intervient soit de manière subite, par exemple suite à un accident, soit après un certain temps, par exemple après une longue maladie. Selon la situation, la personne peut consentir ou pas à une éventuelle procréation post-mortem. Les gamètes peuvent être prélevés soit avant la mort (et congelés), soit sur la personne défunte, par intervention chirurgicale.

La procréation post-mortem relève de deux cas4 :

- l’insémination artificielle d’une femme au moyen du sperme d’un dé-funt (mari, concubin ou donneur) et

- le transfert, après le décès d’une personne dont les gamètes ont été utili-sés (membre du couple [homme ou femme5] ou donneur [homme ou femme]), d’embryons6 fécondés in vitro7.

Il faut ajouter que la procréation post-mortem après le décès d’une femme sous-tend un don d’ovule et/ou une maternité de substitution. Selon les pays, lesdites pratiques sont autorisées ou interdites8.

4 Il faut noter qu’un troisième cas atypique est parfois retenu : la femme enceinte meurt pendant la grossesse et il est décidé de soutenir artificiellement les fonctions vitales de celle-ci jusqu’à l’accouchement (voir : Avis no 28, p. 3 s. ;ROBERTSON, pp. 1027 et 1050 ss).

5 Situation également envisagée par FEUILLET-LIGER, p. 16 nbp 30.

6 Le pluriel sera toujours utilisé dans le présent travail, sachant que dans la majorité des cas, plusieurs embryons sont transférés afin d’augmenter les chances de succès.

7 La notion d’ovule imprégné n’est ici pas mentionnée, celle-ci étant une notion purement suisse (voir art. 2 let. h LPMA).

8 Au vu de la taille et de l’objet de cette contribution, il ne sera toutefois pas effectué de recherche comparée à ce sujet.

La procréation post-mortem nécessite en principe une cryoconservation, c’est-à-dire une congélation à très basse température. Les règles relatives à celle-ci diffèrent d’un pays à l’autre.

2. Les enjeux éthiques et juridiques

La procréation post-mortem soulève des problèmes à plusieurs niveaux.

D’un point de vue éthique, la question du respect ou non de la barrière de la mort doit notamment être formulée. En effet, en principe, le vivant crée le vivant. La procréation post-mortem a pour conséquence de donner la vie à un enfant qui n’aura qu’un seul parent, excepté le cas où c’est le donneur qui est décédé9. Il s’agit alors de « programmer la venue au monde d’un orphelin »10, qui correspondra certaine-ment à la continuation d’un projet parental et/ou au prolongecertaine-ment de l’amour pour un défunt d’un parent endeuillé11. En effet, cette démarche répond souvent « à une détresse vécue par un membre du couple qui perd subitement l’autre alors qu’ils ont déjà commencé le processus de réalisation de leur projet parental »12.Cela dit, ce n’est pas parce que cette situation arrive parfois accidentellement alors que la femme est enceinte, que cela devrait motiver un droit à aboutir à ce résultat13 voire un droit à avoir un orphelin14.À l’autre extrême, il est imaginable que le futur défunt envisage la procréation post-mortem comme le prolongement de soi au-delà de la mort15.

D’un point de vue juridique16, le législateur doit répondre aux interrogations rela-tives à l’interdiction ou l’autorisation de la pratique ainsi qu’à l’encadrement légal de celle-ci.

Dans l’hypothèse où la pratique est légale, il faut notamment établir si le consente-ment exprès du défunt est nécessaire et s’il l’est, quelles sont ses règles de validité, si un consentement tacite peut être pris en compte, si le défunt peut être donneur, si

9 GÄCHTER/SCHWENDENER, p. 15.

10 BINET/MIRKOVIC, p. 69. Cf. à ce sujet : Avis no 113, p. 7.

11 DANTAS/RAPOSO, p. 39. Pour un exposé des motivations des personnes concernées par la procréation post-mortem : Avis no 28, p. 4 s.

12

BINET/MIRKOVIC,p. 69.

13 HAUSER, Le sens du temps, p. 328.

14 MANAÏ, Biomédecine, p. 319.

15 HAUSER, Le droit à l’éternité, p. 94. D’un avis contraire : MASSAGER, pp. 443 et 460 s.

16 Des considérations plus générales en relation avec par exemple le droit à la vie (art. 2 CEDH), le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH), le droit d’être élevé par ses parents (art. 7 CDE) ne seront pas faites dans le cadre de la présente contribution. Voir notamment : VIACCOZ, pp. 662 ss et 678 s.

la procréation est limitée à un projet parental de couple, s’il y a des délais à respec-ter, s’il faut faire une différence entre les cas de procréation post-mortem, etc.

En outre, une fois que l’enfant est né à la suite d’une procréation post-mortem, des questions en relation avec la filiation et la succession viennent se greffer. Le débat relatif à la succession est d’autant plus complexe que les différentes législations ont souvent été rédigées en partant du principe que les héritiers ont été conçus au moins à la date du décès du de cujus17.

Les prestations sociales prévues pour les orphelins peuvent également entrer en ligne de compte dans le cadre de cette problématique18. En effet, il s’agit de déter-miner si la société doit assumer les frais de la naissance délibérée d’un enfant or-phelin de la même façon que lorsque cette circonstance intervient fortuitement19. À l’inverse, si la législation interdit la pratique, il faut définir la réglementation à appliquer quant au sort des embryons surnuméraires après le décès20, c’est-à-dire ce qu’il faut faire avec les embryons créés mais qui ne serviront en principe pas à une PMA. Il est envisageable que lesdits embryons soient donnés, détruits ou destinés à la recherche21.

En outre, le tourisme procréatif apparaît être l’une des conséquences de l’interdic-tion22. Dans ce cadre, un certain nombre de questions peuvent se poser quant à la restitution des gamètes et quant aux liens de filiation d’enfant né à l’étranger. Par ailleurs, le droit communautaire européen des échanges peut également faire une apparition lorsqu’il s’agit du transfert de gamètes d’un pays à l’autre23.

17 DANTAS/RAPOSO, p. 38.

18 Par exemple, Arrêt Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal vaudois AVS 21/14 du 29 octobre 2014 (insémination post-mortem en Belgique et demande de rentes d’orphelin et de veuve en Suisse).

19 Avis no 113, p. 8.

20 À ce sujet : VIACCOZ, p. 657 ss.

21 À ce sujet voir par ex. CourEDH, arrêt du 27 août 2015, Parrillo c. Italie, req. no 46470/11.

22 L’affaire « Mariana » a récemment occupé l’actualité (demande de transfert en Espagne des gamètes congelés à Paris afin de procéder à une insémination post-mortem). À ce sujet voir

notamment : L’Obs du 27 mai 2016, p.

« http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20160527.OBS1381/affaire-mariana-3-questions-sur-l-insemination-post-mortem.html ». Pour un cas similaire : Affaire « Fabienne Justel », Tribunal de grande instance de Rennes, décisions du 15 octobre 2009 (refus de restituer le sperme congelé du mari défunt en vue d’une insémination à l’étranger) et Cour de cassation de Rennes, décision du 22 juin 2010 (confirmation).

23 Par exemple, le cas Blood : Affaire Regina c. Human Fertilisation and Embryology Authority, ex parte Blood [1997] 2 AII ER 687, Court of Appeal (gamètes conservés au Royaume-Uni et procréation post-mortem envisagée en Belgique). À ce sujet : BERGÉ, p. 599 ss ; DANTAS/RAPOSO, p. 41 s. et réf. citées.

Les solutions légales en matière de procréation

Dans le document Le droit comparé et le droit suisse (Page 196-200)