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Le principe de spécialité : quelles limites à l’utilisation du patrimoine

1. Problèmes généraux

1.1 Le principe de spécialité : quelles limites à l’utilisation du patrimoine

1.1.1 L’utilisation du domaine est encadrée par les missions de service public des Universités

Le Conseil d’Etat a pu affirmer, dans sa fonction consultative, que le principe de spécialité appliqué aux établissements publics signifie que « la personne morale,

dont la création a été justifiée par la mission qui lui a été confiée, n’a pas de compétence générale au-delà de cette mission. Il n’appartient pas à l’établissement d’entreprendre des activités extérieures à cette mission ou de s’immiscer dans de telles activités »34.

En d’autres termes, la personnalité morale de l’établissement public n’est attribuée que par rapport à un but particulier et sur le fondement d’un transfert de compétences effectué par la personne publique de rattachement, et l’établissement ne peut dès lors accomplir que les actes correspondant à son objet statutaire.

Pour mémoire, l’article L.123-3 du Code de l’Education énonce que « les missions

du service public de l'enseignement supérieur sont : 1° La formation initiale et continue ;

2° La recherche scientifique et technologique, la diffusion et la valorisation de ses résultats ;

3° L'orientation et l'insertion professionnelle ;

4° La diffusion de la culture et l'information scientifique et technique ;

5° La participation à la construction de l'Espace européen de l'enseignement supérieur et de la recherche ;

6° La coopération internationale. »

Les établissements publics que sont les Universités ont donc été institués afin de mener à bien ces missions spécifiques.

La jurisprudence a toutefois interprété le principe de spécialité de façon extensive, notamment au regard des établissements publics à caractère industriel et commercial. Dans son avis de 1994 précité, le Conseil d’Etat estime que :

« le principe de spécialité ne s’oppose pas par lui-même à ce qu’un

établissement public, surtout s’il a un caractère industriel et commercial, se livre à d’autres activités économiques à la double condition :

- d’une part que ces activités annexes soient techniquement et commercialement le complément normal de sa mission statuaire principale (…)

- d’autre part que ces activités annexes soient à la fois d’intérêt général et directement utiles à l’établissement public notamment par son adaptation à l’évolution technique, aux impératifs d’une bonne gestion des intérêts confiés à l’établissement, le savoir-faire de ses personnels, la vigueur de sa recherche et la valorisation de ses compétences, tous moyens mis au service de son objet principal. »

On retiendra que sont ainsi admises les activités annexes s’interprétant comme le « prolongement du service assuré », deux conditions étant posées : l’activité annexe constitue le complément de l’activité principale et est à la fois d’intérêt général et utile à l’établissement.

Si le Conseil d’Etat fait ainsi preuve de souplesse dans l’interprétation retenue du principe de spécialité pour les établissements publics à caractère industriel et commercial, il n’en va pas nécessairement de même dans le cas d’un établissement à caractère administratif comme les Universités.

Ces dernières ont donné lieu à deux jurisprudences :

- Une Université peut ainsi conclure, mais dans certaines conditions, une convention d’occupation du domaine public pour l’exploitation d’une librairie dans son enceinte sans porter atteinte au principe de spécialité (CE, 10 mai 1996, SARL La Roustane, Rec. Lebon p.168) :

« la création de ladite librairie était destinée à titre principal à améliorer la qualité des services proposés aux enseignants et aux étudiants, en mettant à leur disposition des ouvrages nécessaires à leurs activités d’enseignement et de recherche ; en décidant la conclusion d’une convention d’occupation du domaine public universitaire avec une personne privée permettant à celle-ci d’exercer une activité commerciale destinée à satisfaire les besoins directs des usagers du service public de l’enseignement supérieur dont elle peut constituer un complément, le conseil d’administration de l’université n’a fait qu’user des pouvoirs dont il dispose en vue d’un objet conforme à la mission dévolue audit service public ; que, par suite, la délibération contestée n’a pas méconnu le principe de

- Une Université peut autoriser des masseurs kinésithérapeutes à occuper un local afin d’assurer l’information et le suivi thérapeutique des étudiants et enseignants d’une unité de formation et de recherche d’éducation physique et sportive (CE, 12 décembre 1994, Colin, req. n°98455) :

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le président de l’université a entendu, par la décision contestée, assurer l’information et le suivi thérapeutique des étudiants et du personnel enseignant de l’unité d’enseignement et de recherche d’éducation physique et sportive, en autorisant à cet effet des masseurs kinésithérapeutes à occuper un local de ladite université ; que si une telle décision n’entre pas dans le cadre de la mission de délivrance des enseignements de formation supérieure dévolue aux établissements universitaires, elle n’est pas contraire à la mission de service public assumée par l’université, ni au principe de spécialité des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel »

Enfin, nous signalons que la Direction des Affaires Juridiques (DAJ) du Ministère de l’enseignement supérieur a été consultée au sujet de l’implantation d’une agence bancaire au sein d’une Université35. Elle rappelle d’abord, l’utilisation en cause concernant le domaine public, que l’article L.2121-1 du CG3P énonce que l’utilisation des biens du domaine public doit être conforme à son affectation. Elle évoque ensuite le principe de spécialité et rappelle la jurisprudence précitée du Conseil d’Etat. Elle conclut que l’implantation d’une agence bancaire sur le domaine public de l’Université pourrait être considérée comme une activité accessoire, et donc être autorisée, si « le projet est caractérisé par la recherche d’un

lien entre le fonctionnement de l’agence et la formation dispensée par l’établissement : emploi d’étudiants, formation et encadrement, information sur les métiers de la banque ».

Par ailleurs, dans cette consultation la DAJ estime que l’implantation pourrait être envisagée plus aisément sur le domaine privé de l’établissement, pour lequel le principe de spécialité trouverait à s’appliquer moins strictement. Cette analyse est contestable : le principe de spécialité est lié à la nature juridique des Universités, celle d’établissement public, et non à la qualité de gestionnaire du domaine. En revanche, il est vrai que lorsque l’utilisation concerne un bien du domaine privé, celle-ci n’est pas soumise aux dispositions de l’article L.2121-1 du CG3P précité, visant à protéger l’affectation du bien.

Ainsi, lorsqu’une Université souhaite utiliser son domaine, public ou privé, à des fins ne relevant pas directement de sa mission liée au service public de

étrangère à sa mission première. Il n’est pas possible de donner une énumération exhaustive des activités pouvant ainsi être développées, celle-ci relevant bien évidemment du cas par cas.

Toutefois, il nous semble probable que le juge administratif ne viendrait pas censurer les utilisations suivantes du domaine qui peuvent être considérées, sans trop de difficulté, comme permettant d’améliorer les conditions générales de vie sur un campus, et comme étant en lien avec la qualité d’usager du service public de l’enseignement:

- l’aménagement d’appartements pour l’accueil de chercheurs étrangers, - l’exploitation de distributeurs de boisson ou de confiserie,

- l’exploitation d’un service de papèterie et/ou de reprographie, - l’installation d’une librairie ou d’un point presse,

- l’exploitation d’un distributeur automatique de billets.

Il est possible d’envisager d’autres utilisations dès lors qu’elles seront considérées comme complémentaires de l’activité d’enseignement. On peut penser notamment à l’implantation d’entreprises privées au sein des Universités, dès lors que leur activité présente un lien avec la recherche menée au sein de l’établissement.

1.1.2 Le cas particulier des activités industrielles et commerciales des Universités

Parmi les missions du service public de l’enseignement supérieur énumérées à l’article L.123-3 du Code de l’Education l’on trouve « la recherche scientifique et

technologique, la diffusion et la valorisation de ses résultats ». L’article L.123-5 du

même Code poursuit cette idée en indiquant que le « service public de

l’enseignement supérieur s’attache à développer et à valoriser (…) la recherche fondamentale, la recherche appliquée et la technologie ». A ce titre il « renforce les liens avec les secteurs socio-économiques publics et privés ».

De manière concrète, l’article L.711-1 du Code de l’Education prévoit ainsi :

« Dans le cadre des missions qui leur sont dévolues par le présent code et afin de faire connaître leurs réalisations, tant sur le plan national qu'international, ces établissements peuvent assurer, par voie de convention approuvée par le conseil d'administration dans les conditions fixées aux articles L. 712-3, L. 715-2, L. 716-1, L. 717-1 et L. 718-1, des prestations de services à titre onéreux, exploiter des brevets et licences et commercialiser les produits de leurs activités. Ils peuvent créer à cette fin des services d'activités industrielles et commerciales, dans les conditions prévues à l'article L. 123-5. Ils peuvent prendre des participations, participer à des groupements et créer des filiales dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. »

La partie règlementaire du Code de l’Education (articles D.123-2 et suivants)36vient préciser les modalités pratiques de ce mécanisme qui permet notamment la mise en place d’incubateurs d’entreprises37. Les prestations de service que peuvent ainsi offrir les Universités vont de « la mise à disposition de locaux, matériels et

équipements » à « la prise en charge ou la réalisation d’études de développement, de faisabilité technique, industrielle, commerciale, juridique et financière », en

passant par « toute autre prestation des services nécessaire à la création et au

développement de l’entreprise ».

Si les activités visées sont assez larges, il ne faut toutefois pas oublier que l’Université étant soumise au principe de spécialité des établissements publics, elles devront s’inscrire dans le cadre des missions qui sont reconnues par le Code de l’Education aux EPSCP.

C’est bien ce que rappelle l’article L.711-1 du Code de l’Education précité qui inscrit ces activités « dans le cadre des missions » qui sont dévolues aux établissements. Le texte ajoute d’ailleurs que ces activités doivent permettre de faire connaître les réalisations des établissements sur le plan national et international. En d’autres termes, si les textes autorisent l’Université à recourir à des procédés « marchands », la finalité de ces mesures reste désintéressée et répond à la mission de recherche des Universités.

Les dispositions réglementaires du Code précisent les bénéficiaires de ces mesures (créateurs d’entreprises, jeunes entreprises innovantes)38, ainsi que la durée limitée des conventions ainsi conclues. En outre, l’article D.123-7 indique que le montant maximal des prestations de services ne peut excéder 100.000 euros HT sur trois ans par entreprise39.

La loi n°99-587 du 12 juillet 1999 sur l’innovation et la recherche (loi dite « LIR ») a permis aux EPSCP de créer des services d’activités industrielles et commerciales (SAIC) afin de valoriser les résultats de la recherche. Deux décrets sont venus compléter les dispositions législatives : le décret n°2002-549 du 19 avril 2002 relatif

aux services d’activités industrielles et commerciales des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, et le décret n°2002-601 du 25 avril

2002 modifiant le décret n°94-39 relatif au régime budgétaire et financier des EPSCP. Cette structure, facultative, est crée par les établissements sous la forme d’un service commun, par décision du conseil d’administration. Ce service permet de regrouper la totalité des activités commerciales et industrielles de

36Introduits par le décret n°2000-893 du 13 septembre 2000 relatif aux conditions dans lesquelles les établissements

publics à caractère scientifique et technologique et les établissements publics d'enseignement supérieur peuvent fournir des moyens de fonctionnement à des entreprises ou à des personnes physiques.

l’établissement, à l’exception, précise le décret n°2002-549, de celles « assurées par

une société ou un groupement ». Le régime financier et budgétaire de ce service a

été précisé par le décret du 25 avril 2002 : le service bénéficie d’un budget annexe à celui de l’EPSCP. Enfin, il convient de préciser que la mise en place d’un SAIC permet de clarifier la situation fiscale des activités industrielles et commerciales des Universités qui se trouvent ainsi centralisées au sein d’un même service, ce qui en facilite le traitement comptable et fiscal.

Rappelons enfin que l’article L.711-1 du Code de l’Education prévoit la possibilité pour les établissements de prendre des participations, de participer à des groupements et de créer des filiales. Le décret n°2000-1264 du 26 décembre 2000

fixant les conditions dans lesquelles les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel peuvent prendre des participations et créer des filiales vient compléter les dispositions du Code.

De telles participations ou création de filiales peuvent être utilisées dans le cadre des activités citées à cet article (prestations de services à titre onéreux, exploitation des brevets et licences et commercialisation les produits de leurs activités), mais ne semblent pas limitées à celles-ci. Il est alors possible d’envisager de confier à ces filiales la gestion de biens immobiliers. La seule limite, là encore, sera le respect du principe de spécialité de l’établissement, qui implique que l’activité menée entre dans le champ des missions dévolues par le Code de l’Education.