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Dans la littérature algonquiniste, certains chercheurs ont souligné l’importance du principe d’invitation et de rotation de l’exploitation des aires de chasse dans le modèle de gestion territorial algonquien (Speck 1914; 1915a; 1915b; [1935]1977, Cooper 1938; 1939, Speck et Eiseley 1942, Lips 1947, Hallowell 1949, Leacock 1954, Bishop et Morantz 1986, Flannery et Chambers 1986, Scott 1986; 2004, Feit 1991a, Poirier et Niquay 1999, Leroux et al. 2004, Scott et Morrison 2004, Leroux 2009). La recherche de Poirier et Niquay (1999) menée auprès des Atikamekw

Nehirowisiwok est sans doute celle qui approfondit et décrit le plus le principe d’invitation (wicakemowin) entre groupes de chasse familiaux et de leur importance dans le maintien des relations de réciprocité entre les familles et dans la transmission des savoirs territoriaux.

Dans le contexte contemporain chez les Atikamekw Nehirowisiwok les invitations sont normalement lancées ou acceptées par les ka nikaniwitcik des différentes familles. Dans le cas où des membres de la famille du kanikaniwitc, son fils ou son frère par exemple, désirent inviter quelqu’un sur le territoire de chasse familial, il fait part de son intention au ka nikaniwitc. Le ka nikaniwitc peut inviter des familles à venir chasser avec lui au sein de son territoire de chasse pour diverses raisons : pour venir en aide aux membres de la famille qui n’arrive plus à trouver de gibier sur son territoire ou tout simplement pour avoir de la compagnie et exercer une chasse collective (mamo atoskewin) lorsque le gibier est abondant (Poirier et Niquay 1999, Éthier 2014). Comme un aîné d’Opticiwan le souligne :

Ça a toujours été ainsi : ils s'invitaient à tour de rôle quand ils partaient sur le territoire de trappe. Ils passaient alors l'hiver ensemble jusqu'au printemps. Lorsqu'ils arrivaient à destination, c'est-à-dire au site principal de campement, le chef de territoire [ka nikaniwitc] indiquait à son invité ou à ses invités vers quelles portions de son territoire ils peuvent aller trapper. Il partageait ainsi son territoire avec ses invités. L'année suivante, il arrivait souvent que ce fût au tour de l’autre personne de lancer l’invitation à aller sur son territoire. La plupart du temps, celui-ci n'avait pas le choix d'accepter (…) Les gens s'invitent encore quand ils vont dans le bois, mais seulement sur une courte période. Sur de longues périodes, ça ne se fait plus à cause que les enfants vont à l'école maintenant (Opitciwani iriniw, juillet 2014)

d’invitation (wicakemowin) est une partie des droits et des responsabilités (tiperitamowina) du ka nikaniwitc. C’est aussi une partie des droits et des responsabilités (tiperitamowina) de la personne qui a été invitée. Le ka nikaniwitc a le droit, la responsabilité et le pouvoir d’inviter des gens au sein du territoire de chasse familial, de diriger ses invités au sein du territoire dont il a entretenu les sentiers et dont il connaît l’emplacement des ressources. Les invités, pour leur part, ont également des droits, des pouvoirs et des responsabilités auprès de leur hôte et au sein du territoire. Tout d’abord, ils ont le droit d’être invités, ils ont la responsabilité de suivre les recommandations de leur hôte, de lui indiquer leurs prises et d’en partager la moitié avec lui (tetawinamatowin). Éventuellement, ils ont aussi la responsabilité d’inviter leur hôte au sein de son territoire dans les années subséquentes (pas nécessairement l’année suivante).

Le principe d’invitation (wicakemowin), selon lequel des chasseurs peuvent être invités pour une période déterminée à chasser au sein d’un autre territoire familial, favorise à la fois le partage des savoirs territoriaux et familiaux et la préservation d’aires territoriales qui ne sont pas exploitées (Flannery et Chambers 1986, Poirier et Niquay 1999, Éthier 2014). Cette pratique permet d’assurer que l’ensemble des familles puisse subvenir à leurs besoins en viande sauvage, en plantes médicinales, en bois de chauffage et en matériaux d’artisanat (Poirier et Niquay 1999). Le principe d’invitation et le partage de la viande sont des pratiques essentielles au maintien du tissu social et représentent aussi une marque de respect envers l’animal chassé (Lips 1947).

Les chasseurs peuvent également reconnaître la présence d’« intrus » (mantew), de personnes non invitées au sein des territoires de chasse familiaux. Speck (1915a, 1915b) a fait mention de la pratique de sanctions liées à l’intrusion d’un

chasseur « non invité » au sein d’un territoire de chasse familial, sanctions pouvant mener à la mort (Speck 1915b). Ces cas, comme le mentionne Speck, sont toutefois très rares et ont été très peu documentés. En fait cette intrusion peut, selon mes interlocuteurs, être permise dans certaines conditions. Il semble que la chasse de subsistance (natohowin) exercé sur des territoires de chasse familiaux voisins n’est pas punie comme telle, pourvu que cette chasse vise à assurer la subsistance de la famille du chasseur et que le chasseur explique les raisons qui l’ont amené à effectuer cette chasse auprès des membres de la famille concernée. Un chasseur ayant exercé cette chasse de subsistance (natohowin) sans avoir été préalablement invité a le devoir et la responsabilité de partager une partie de la viande avec le groupe de chasse familial responsable du territoire. Autrefois, lorsque les chasseurs conservaient des produits de la chasse sur le territoire, dans des caches, d’autres chasseurs pouvaient s’y approvisionner dans des cas de nécessité. Encore une fois, la règle est ensuite d’aller avertir les responsables du territoire pour les informer de leurs actions (Speck 1933 :578-579). Ces pratiques normatives visent à assurer la survie des familles dans le besoin et un respect mutuel entre les familles de chasseurs. Il y a ici un principe d’assistance à la subsistance qui prime sur l’autorité territoriale et le principe d’invitation.

3.5.

Nehirowisiw opimatisiwin : Le principe d’ancestralité et la