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Des preuves pour la Veuve

LA FABRIQUE DES PEINES CAPITALES

II. Rassembler les preuves, effacer le doute

2) Des preuves pour la Veuve

Le rôle déterminant de l’aveu

Dans le cadre de l’« enquête officieuse », et même lors des premières comparutions devant le juge d’instruction, l’individu suspecté se trouve seul à devoir affronter les pressions policières et judiciaires, sans l’aide d’un avocat. L’objectif des policiers ou des gendarmes, à une époque où les méthodes de police scientifique sont encore relativement balbutiantes, est d’aboutir à la « reine des preuves » (si critiquée soit-elle) que constitue l’aveu68. Or, on

65 Robert BADINTER, L’Exécution, Paris, Le Livre de poche, 1976, p. 32. 66 Pierre DEVEY, Yves Maupetit raconte, op. cit., p. 156.

67 Frédéric CHAUVAUD, « Le sacre de la preuve indiciale. De la preuve orale à la preuve scientifique (XIXe-milieu du XXe siècle) », dans Bruno LEMESLE (dir.), La Preuve en justice de l’Antiquité à nos jours, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003, p. 222-223.

68 Renaud DULONG (dir.), L’Aveu. Histoire, sociologie, philosophie, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Droit et justice », 2001. Cf. également le travail en cours de Vincent Fontana à l’Université de Genève sur les institutions, acteurs, et pratiques de l’enquête judiciaire à Genève entre 1780 et 1820 : il montre que si le

considère que l’aveu a plus de chances d’être obtenu lors du premier interrogatoire, juste après l’arrestation, alors que le suspect n’est pas encore remis de ses émotions et n’a pas eu le temps d’élaborer un discours de défense structuré69. Dans bien des cas, des soupçons de forte pression,

de manipulation, de suggestion, voire de brutalités, montrent que les enquêteurs cherchent davantage à briser les résistances du suspect afin de lui extorquer des aveux qu’à aboutir à la vérité.

De nombreux dossiers mentionnent ainsi des rétractations. Certes, revenir sur ses aveux peut entrer dans un système de défense jouant sur l’imaginaire collectif, dans lequel « la torture voisine et cousine avec l’aveu en entretenant de louches parentés avec lui70 », et signaler que l’accusé a pris conscience de la gravité de son crime et du châtiment qui l’attend. La plupart du temps, ces dénonciations des conditions dans lesquelles on a arraché des propos accablants ne sont pas vraiment prises au sérieux71 : on se rapporte souvent au fait qu’un médecin n’a pas relevé de traces de coups sur l’accusé après l’interrogatoire, comme si seules des brutalités visibles étaient susceptibles de fausser les déclarations. L’autre élément permettant d’écarter les rétractations est souvent le caractère détaillé et circonstancié des aveux, laissant entendre que l’accusé a donné des éléments qu’il ne pouvait pas connaître s’il n’était pas sur les lieux du crime. La question de la suggestion est rarement abordée.

Le problème est cependant avéré, quand un gendarme, sur l’insistance d’un magistrat scrupuleux, court-circuite sa hiérarchie pour dénoncer les conditions d’interrogatoires auxquels il a participé, préférant mettre en péril sa carrière plutôt que de voir tomber la tête d’un innocent. Il dévoile sous un jour peu glorieux l’arrière-cuisine d’une enquête menant, dans la passivité générale, et sous la pression de la presse et de l’opinion publique, à une erreur judiciaire manifeste :

L’article du Midi libre a été la cause déterminante de l’attitude que [l’enquêteur Br…] adopte dès le matin du 8. Il est trop tard pour reculer, car reculer serait se déjuger aux yeux de la population.

système de la preuve morale instauré par le droit pénal moderne détrône théoriquement l’aveu de son statut de « reine des preuves » – tout moyen de preuve pouvant servir à forger l’intime conviction de l’instance de jugement –, dans la pratique judiciaire, la jurisprudence et une partie de la doctrine, l’aveu garde toutefois une force probante prépondérante pendant une bonne partie du XIXe siècle. L’importance de l’aveu dans un système de preuves légales par rapport à un système de preuves par conviction est l’une des données expliquant le maintien tardif de la « question préparatoire », ou torture.

69 Cf. François DUVERGER, Manuel criminel des juges de paix considérés comme officiers de police judiciaire et

comme délégués du juge d’instruction, Niort, Robin, 1835, cité par Hend GUIRAT, « La peine de mort en Tunisie… », op. cit., p. 206.

70 Frédéric DEBOVE, « L’aveu », dans Bernard TEYSSIE (dir.), Code pénal, livre du bicentenaire, op. cit., p. 348. 71 Ainsi le chroniqueur Geo London parle de « l’éternel conte des "brutalités de la police judiciaire" », Geo LONDON, Les Grands Procès de l’année 1928, Paris, Éditions de France, 1929, p. 215. Hend Guirat signale le même comportement des autorités en Tunisie. Hend GUIRAT, « La peine de mort en Tunisie », thèse citée, p. 209- 210.

En effet, depuis la veille au soir, deux clans se sont formés : le premier comprend [les enquêteurs O…, C…., V….] et moi-même qui voulons à tout prix arrêter cette course infernale dont la tête d’un homme que nous pensons innocent est le prix ; le deuxième est celui [des enquêteurs Br…. et Be….], dont la conviction n’est même pas assurée, mais qui pense que le sort de Boudou [le suspect] ne nous appartient plus et que les magistrats doivent prendre à leur tour des responsabilités. […]

Mais si on insiste, si on reprend phrase par phrase, il ponctue chacune d’elle par une onomatopée déconcertante qui donne à réfléchir sur la compréhension qu’il a de la lecture. Qu’il me soit permis d’affirmer que Boudou ne joue pas la comédie à ce moment-là. Il est absolument passif, comme emporté dans un rêve. Il n’a pas l’habitude de la phrase, de nos phrases. Son langage est beaucoup plus simple, plus dépouillé. Il abandonne vite parce qu’il ne comprend pas ou qu’il est incapable de suivre un raisonnement.

[La reconstitution] a été le type même de la suggestion si bien qu’une pudeur bien compréhensible nous a tenus, O…., C…, V… et moi-même, en dehors de ces actes pitoyables que Boudou a effectué comme un pantin.

On a condamné à mort par deux fois parce que les jurés ont été abusés par une enquête très nettement partisane, je dirai même passionnée. Il fallait une victime à jeter en holocauste, ne serait-ce que pour calmer la peur, ramener un peu de quiétude dans ce pays déshérité, obéir aux impératifs d’une Administration centrale qui poussait à la roue devant cette série de crimes restés impunis72.

On peut penser, à la lecture d’autres dossiers manquant cruellement de preuves matérielles, que des procédés similaires ont pu être utilisés ailleurs, même s’il n’appartient pas à l’historien de refaire les enquêtes à plus d’un demi-siècle de distance.

Les auditions menées par le juge d’instruction révèlent une tonalité différente de celles des interrogatoires policiers. L’avocat doit en théorie être présent, même s’il ne peut prendre la parole qu’avec l’autorisation du juge d’instruction73, mais il y a loin de la théorie à la pratique. Souvent, inconscients de leurs droits ou de la gravité de leur affaire, des suspects consentent à parler sans l’assistance d’un conseil74. Ils ont pu préparer leurs explications en mettant à profit le temps écoulé depuis l’arrestation, mais certaines explications confuses, fantaisistes et contradictoires s’avèrent souvent plus accablantes qu’utiles pour le suspect, dès lors regardé comme un bonimenteur à la recherche d’un « système de défense ». Rétractations et nouvelles déclarations sont scrupuleusement enregistrées par les juges d’instructions, et malgré le scepticisme qui peut les entourer, consciencieusement vérifiées. Une multitude de situations possibles se présente au moment où l’inculpé comparaît devant les assises : il y a ceux qui reconnaissent les faits, ceux qui les reconnaissent partiellement, ceux qui ont avoué, puis se

72 Lettre du gendarme Doissin au juge d’instruction Tensorer, datée du 18 mars 1957, transmise au Conseil Supérieur de la Magistrature, dossier 1 PM 57, AN, 4AG/678.

73 Cette réforme est introduite par la loi du 8 décembre 1897. En 1921, les parties civiles obtiennent les mêmes droits que l’inculpé. Cf. André LAINGUI, «Une révolution permanente… », art. cit.., p. 81 ainsi que René GARRAUD

et Pierre GARRAUD, Précis de droit criminel (1934), op. cit., p. 874.

74 Parmi des exemples, à des époques assez différentes, on a ainsi les récriminations deGeorges Lhermitte lors d’une plaidoirie (« Le crime de la rue Rouelle », Revue des grands procès contemporains, 1909, p. 330) ; ou un exemple donné par Émile POLLAK, La Parole est à la défense, Paris, Robert Laffont, 1974, p. 39.

sont rétractés, ceux qui ont toujours nié, ceux qui ne comprennent pas vraiment ce que l’on attend d’eux. Mieux vaut, pour jouer la carte de l’acquittement, avoir été constant dans ses dénégations.

Si la place des aveux reste déterminante, elle décline, entachée par une réputation douteuse. Les enquêteurs sont conscients qu’ils ne suffisent plus toujours à recueillir une pleine adhésion, la doctrine s’en méfie, même si elle préfère dénoncer les aveux abusifs de certains inculpés (« aveux mensongers » des mythomanes, « aveux de jactance pour des crimes qui défrayent la curiosité publique75 ») plutôt que les aveux arrachés aux suspects récalcitrants. Il faut donc en théorie « contrôler l’aveu » : celui-ci n’est plus « garant de vérité », mais doit être lui-même soumis à des « épreuves de vérité76 ». L’aveu subit par ailleurs une concurrence avec la montée en puissance d’autres types de preuves, preuve indiciale et preuve par expertise. En 1934, cette dernière est censée « conditionner tous les autres modes de preuve77. » Ce « sacre » est cependant à relativiser. La place de l’aveu est en effet paradoxale, l’importance de cette thématique dans les réquisitoires définitifs (et son corollaire, à savoir la mention du manque d’aveu) contrastant, aujourd’hui encore, avec sa « faible performance dans l’optique d’une stabilisation d’une version unique des faits78 ». L’aveu continue de peser de manière décisive, que ce soit au procès, ou dans les dossiers de grâce, notamment parce qu’il est souvent considéré comme un premier signe du remords, de la capacité du criminel à admettre sa responsabilité et donc à pouvoir être réhabilité. L’absence d’aveux peut alors être invoquée comme la marque d’un être froid et lâche, incapable d’assumer la réalité de ses actes, dénué de conscience, et par conséquent particulièrement dangereux.

Le « contrôle de l’aveu » n’est pas toujours opéré de manière rigoureuse. L’avocat Émile Pollak cite comme une exception les scrupules du juge Sacotte qui, confronté à deux jeunes gens persistant à avouer sans se troubler le meurtre d’un policier, s’étonne d’une telle tranquillité, susceptible de les envoyer à l’échafaud. Il fait appel à des avocats, que les accusés n’avaient pas réclamés. Ces derniers, après discussion avec leurs clients, révèlent non seulement la façon dont les aveux ont été récoltés par un brigadier réputé pour ses méthodes « viriles », mais aussi l’existence d’un alibi qui n’a pas été vérifié et les met hors de cause. En ce qui concerne le juge Sacotte, « cette délicatesse de conscience est moins fréquente qu’on le souhaiterait, tandis que d’autres juges accélèrent la procédure et font des reconstitutions avant

75 René GARRAUD et Pierre GARRAUD, Précis de droit criminel (1934), op. cit., p. 843.

76 Odile MACCHI, « Le fait d’avouer comme récit et comme évènement dans l’enquête criminelle », Renaud DULONG (dir.), L’Aveu, op. cit., p. 184.

77 AD 75, D 2 U8 114-1881, cité par Frédéric CHAUVAUD, « Le sacre de la preuve indiciale… », art. cit., p. 222. 78 Odile MACCHI, « Le fait d’avouer… », art. cit., p. 188.

l’arrivée d’un avocat79 ». Critiqué par la doctrine, l’aveu reste le moyen le plus rapide de

conclure une investigation et de présenter des résultats à une opinion publique et une administration pressantes.

Dans un traité de droit criminel, l’auteur rapporte que les « anciens considéraient l’aveu comme la preuve par excellence […] la seule qui pût, dans un procès criminel, rassurer la conscience du juge et lui permettre, sans scrupule comme sans remords, de prononcer le châtiment capital80 ». On peut se demander si c’est grâce à la bonne conscience qu’il donne aux juges, montrant que l’accusé a reconnu sa faute et le châtiment qui lui est lié, que l’aveu continue de cristalliser l’intérêt. L’aveu n’est en théorie pas nécessaire pour ôter le doute, si d’autres éléments viennent étayer les présomptions, il n’empêche. Dans l’affaire Armand Casanova évoquée plus haut, à l’inverse du parquet et malgré la condamnation qui est censée avoir établi une « vérité » judiciaire, le président de la Cour d’assises recommande la grâce en l’absence d’aveu, en raison « du doute qui subsiste sur le point de savoir s’il a eu l’intention de tuer délibérément l’agent81 », doute qui n’a visiblement pas profité à l’accusé.

Preuves orales et preuves matérielles

Plus encore que les aveux, les témoignages sont tenus en suspicion, et sont censés n’être que des « preuves par défauts82 ». Pourtant, l’instruction préparatoire, comme le procès, ne peuvent s’en passer, même si les témoins n’ont rien vu, mais se font simplement l’écho de rumeurs. Les crimes pris en flagrance étant rares, c’est le plus souvent sur la base de renseignements fournis par des témoins qu’un suspect peut être appréhendé. Nombre de vagabonds sont ainsi signalés aux autorités après un crime, car ils constituent naturellement des individus louches. Pendant l’instruction, la défense a le plus grand mal à contrer les témoignages à charge, et doit souvent attendre le procès pour avoir une chance de confondre les témoins les plus fragiles83. Or, certains témoignages laissent circonspects, lorsqu’ils proviennent de co-accusés, d’indicateurs, de « moutons » (c’est-à-dire de codétenus placés dans la cellule du suspect pour recueillir ses confidences), ou lorsqu’ils sont recueillis dans des

79 Émile POLLAK, La Parole est à la défense, op. cit., p. 39.

80 René GARRAUD et Pierre GARRAUD, Précis de droit criminel (1934), op. cit., p. 841-842.

81 Rapport de grâce, 20 août 1955, p. 12, Direction des affaires criminelles et des grâces, rédigé par M. Veuillet,

dossier 23 PM 55, 4AG/674.

82 Frédéric CHAUVAUD, Justice et déviance, op. cit., p. 205-218.

83 « Il n’y avait pas dans la tradition juridique française de véritable « combat » entre la défense et les témoins » écrit Jean-Louis HALPERIN, « L’instrumentalisation de la preuve testimoniale par la procédure pénale », Benoît GARNOT (dir.), Les Témoins devant la justice, op. cit., p. 27.

conditions douteuses, sous la pression policière. Malgré la doctrine qui invite à se méfier de ce type de preuves, nombre de dossiers continuent de reposer principalement sur ces indications.

Enfin, la réputation de l’accusé n’est pas à négliger. Il ne s’agit pas d’une preuve en soi, cependant, les enquêtes de voisinage, dont les résultats sont désignés sous le terme générique de « renseignements », permettent de brosser des tableaux de « personnalités » dont les accusés ont souvent du mal à se défaire. La « société des voisins », « outil du contrôle social84 » au XVIIIe et au XIXe siècle, persiste dans ce rôle pendant une bonne partie du XXe siècle. Jean Belin témoigne des ravages de la médisance dans une enquête menée en 1919 où un pauvre homme en voie de clochardisation est accusé par la rumeur publique, ainsi que par un témoignage direct, du meurtre de sa mère :

Il avait entendu une violente dispute, puis un individu était sorti précipitamment de la masure. Le voisin, s’étant mis à la fenêtre, avait reconnu le fils de la victime. Il était prêt à en témoigner devant les Assises sous la foi du serment. J’allais chez le voisin. Je me mis à sa fenêtre. Je me reportai à ce qui s’était passé pendant la nuit précédente. La ruelle devait être pendant la nuit particulièrement obscure […] Néanmoins dans une affaire de ce genre, nous devons tenir compte de tous les témoignages, même s’ils sont faussés par une prévention particulière. […] Encore que ce vagabond ne m’inspirait pas grande sympathie, rien sinon une opinion publique menaçante à son égard, ne me permettait de conclure à sa culpabilité85.

Le policier finit par laisser partir le suspect, et met la main sur le véritable meurtrier peu de temps après. Une mauvaise réputation pèse sur la crédibilité des propos de l’accusé et alimente le faisceau de présomptions, alors que les avocats ont beau jeu de dénoncer les ragots. Malgré les critiques, malgré aussi les transformations de la vie au village et des relations de voisinage au XXe siècle 86, la « réputation » d’un individu continue de peser dans le faisceau des charges et dans le tableau de la culpabilité.

Dans certaines affaires, ce phénomène est aggravé par la caisse de résonnance que constitue la presse. L’emballement médiatique entraîne une suspension de la règle qui veut que le doute profite à l’accusé. On a vu comment la parution d’un article dans Midi Libre fait

84 Karine LAMBERT, « La société des voisins : un outil de contrôle social ? Témoignages et criminalité féminine à travers des procédures judiciaires provençales (1730-1850), Benoît GARNOT (dir.), Les Témoins devant la justice,

op. cit., p. 361-372.

85 Jean BELIN et Henri DANJOU, « Mes plus beaux souvenirs ? Les arrestations que je n’ai pas faites », France

Soir, 23-24 novembre 1947, p. 2.

86 De ce point de vue, Frédéric Chauvaud souligne à juste titre que « certains immeubles, certaines rues offrent parfois la même familiarité que le village. Malgré la mobilité urbaine et les déplacements à l’intérieur de la vile, tout le monde connaît chacun ou presque. », dans Frédéric CHAUVAUD, « Le monstre de l’autre côté : l’effrayant voisin (1880-1930) », dans Judith RAINHORN et Didier TERRIER (dir.), Étranges voisins. Altérité et relations de

proximité dans la ville depuis le XVIIIe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 38. À notre

connaissance, il n’existe pas de travail sur l’évolution des relations de voisinage au XXe siècle, on peut se reporter cependant aux analyses des géographes et des sociologues, par exemple Jean-Pierre LE GOFF, La fin du village.

Une histoire française, Paris, Gallimard, 2012 (cette étude se concentre sur les mutations des trente dernières

dérailler l’enquête impliquant Boudou de manière vertigineuse. D’autres suspects en font les frais, comme Émile Buisson en février 1954, si l’on en croit son avocat. En l’occurrence, le dossier portant sur deux tentatives d’assassinats avec vol concomitant semble bien léger et les débats à l’audience apportent peu de nouveaux éléments. Dans l’attaque des bijoutiers qui lui est reproché (l’un d’eux étant resté invalide à 50%), les preuves se composent uniquement de témoignages d’indicateurs qui pourraient bien être mêlés à l’affaire, des témoignages des victimes et d’une étude balistique qui est loin d’être catégorique. Le chroniqueur note :« Pour les victimes, il ne peut y avoir aucun doute : c’est Buisson qui a fait le coup. Malheureusement, leur certitude a quelque peu varié tout au long du dossier87 » Plus encore,

l’accusation, il faut bien le dire, était en grande partie basée sur des déclarations d’indicateurs plus ou moins anonymes, […] plaidant d’après le dossier, Me Carboni rappela que les renseignements et le signalement donnés par les victimes et les témoins le lendemain de l’agression étaient vagues, contradictoires, et ne correspondaient en aucune façon à Buisson. La reconnaissance de son client n’eut lieu que trente mois après88.

La présence à l’audience du célèbre commissaire Chennevier, qui a enquêté sur d’autres affaires impliquant Buisson, le rappel de ces condamnations antérieures89, le fait qu’« on ne peut pas dire que Buisson, tout au long des débats, donna une impression d’innocence dans cette affaire » justifient une « impression » sur laquelle « l’avocat général Cunéo réunit toutes ses présomptions et réclama au terme de son réquisitoire le châtiment suprême90 », qu’il obtient. Alors qu’il n’y a pas eu mort d’homme dans cette affaire, il semble que les jurés ont voulu sanctionner l’« ennemi public numéro 1 » décrit par la presse.

Pour pallier les défauts de plus en plus avérés des preuves orales, la fin du XIXe et le début du XXe siècle sont marqués par l’essor de la « preuve indiciale », et notamment des expertises, avec les tentatives d’institutionnalisation de la criminologie, de la criminalistique et de leurs sciences annexes. Cependant, malgré un discours surabondant dans les thèses de droit, les revues et les manuels de sciences criminelles91, l’importance de ces nouvelles manières