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La désillusion croissante sur l’efficacité des lois morticoles

LA VOLONTÉ DE PUNIR

IV. Les traductions politiques des émotions : l’élargissement du champ de la peine capitale

4) La désillusion croissante sur l’efficacité des lois morticoles

Une nouvelle loi contre les incendiaires

Le modèle « un fait divers = une loi » continue d’être appliqué après-guerre, sans qu’on puisse pour autant considérer la demande « populaire » ou médiatique comme prépondérante. La loi punissant de mort l’incendie volontaire ayant entrainé la mort, promulguée le 30 mai 1950, comble avant tout un vide juridique. En effet, tuer quelqu’un en commettant un incendie était déjà réprimé par la mort, seulement le code pénal indiquait que la victime devait se trouver sur les lieux du crime179. La nouvelle loi prévoit le cas de quelqu’un qui serait mort dans un incendie

177 Journal Officiel. Débats, 2ème séance du 1er octobre 1946, p. 4331

178 Vincent AURIOL, Journal du septennat, 1947, Paris, A. Colin, coll. « Journal du septennat », 1970, p. 643, mardi 23 décembre 1947.

179 Je souligne : « Art. 434 : Dans tous les cas, si l’incendie a occasionné la mort d’une ou de plusieurs personnes se trouvant dans les lieux incendiés au moment où il a éclaté, la peine sera la mort ». DALLOZ, Code d’instruction

en étant arrivé après coup sur les lieux, par exemple un pompier. Il s’agit de répondre au grand incendie qui a ravagé 50000 ha de la forêt des Landes du 19 au 25 août 1949, entrainant le décès de 82 personnes. L’hypothèse accidentelle a finalement été retenue, mais le fantasme du pyromane s’est développé à cette occasion.

Le ministère de la Justice met quelques mois à réagir en déposant son projet le 1er décembre

1949, sans lui donner une grande publicité. C’est un député MRP des Landes, Defos du Rau, qui est chargé de rapporter la loi. Defos du Rau se contente de recommander l’adoption du texte du projet, sans faire de modification, ce que la Commission de la justice et de la législation avalise sans discuter180. Le texte est voté par l’Assemblée sans débat le 31 mars 1950, il reçoit un avis conforme du Conseil de la République dans la foulée, et devient donc définitif. Aucune opposition ne s’est manifestée pour ce texte qui par ailleurs rencontre peu d’échos.

Le retour de la peine de mort pour les « crimes contre les biens »

Deux propositions de loi sont aussi déposées en 1949 visant à appliquer la peine de mort pour tout détenteur d’armes dans une affaire d’enlèvement ou d’attaque à main armée, « que la victime ait été tuée ou non, que le participant ait tiré ou non. » Il est vrai que l’époque est marquée par des séries de braquages, parfois sanglants181. L’inquiétude suscitée par ce nouveau banditisme justifie aux yeux de quelques députés un durcissement de la répression. Leur initiative reste cependant individuelle. Le ministère de la Justice est très critique vis-à-vis de ces propositions et souligne que cela ferait courir un grand risque aux protagonistes de ce genre d’attaques, les criminels n’ayant dès lors plus grand chose à perdre en éliminant les témoins ou en abattant des policiers. La Chancellerie promet également le dépôt d’un texte plus large pour lutter contre la délinquance armée.

Lorsqu’il se présente un an plus tard devant la Commission de législation, le rapporteur (et auteur d’une des propositions) Louis Rollin persiste, considérant que la Chancellerie « méconnait la psychologie du criminel182 », et que « l’exemplarité de la peine de mort lui paraît suffisante

pour permettre la répression efficace des attaques à main armée. » Il souligne que cela ne ferait que revenir à la loi antérieure à 1832, déplorant que l’humanisation du code « s’est traduite en fait par un accroissement du nombre des crimes. » Il s’agit pour lui de mettre un frein à l’« audace

Dalloz, 3e éd. revue, corrigée et augmentée., Paris, Bureau de la « Jurisprudence générale », coll. « Petite

collection Dalloz », 1906.

180 Procès-verbal de la Commission de la justice et de la législation, séance n°232, 22 février 1950, p. 17, AN, C/15393.

181 Cf. infra, chap. 5, p. 285 et suiv.

182 Procès-verbal de la Commission de la justice et de la législation, séance n°237, 22 mars 1950, p. 16, AN, C/15393.

toujours croissante des criminels183 ». La commission adopte à l’unanimité la proposition. La

proposition de loi est adoptée sans débat en première lecture à l’Assemblée, puis par le Conseil de la République qui durcit encore le texte en précisant qu’un accusé peut être condamné à mort s’il dispose d’une arme dans le véhicule motorisé qui l’a conduit sur le lieu du forfait, ou qu’il a utilisé pour assurer sa fuite. L’Assemblée nationale entérine sans difficulté cette modification et vote le texte le 16 novembre, toujours sans débat184.

Le monde judiciaire et la presse réagissent assez négativement à cette loi. Le barreau comme le parquet sont pour une fois unis pour considérer, reprenant les arguments de la Chancellerie, qu’il s’agit d’« un encouragement au crime185 » poussant à l’élimination des témoins. Surtout, l’exemplarité est critiquée, signe peut être que le regard sur la peine de mort commence à changer : « L’expérience démontre que les malfaiteurs ne sont pas arrêtés par la peine de mort, mais par le calcul de leurs chances d’impunité186. » La loi est de toutes manières jugée inapplicable : « Jamais, au demeurant, un jury français ne condamnera à mort un gangster qui aura opéré en laissant son revolver dans la voiture. » Pire, la peine de mort est vue comme un signe de faiblesse du gouvernement : « Le nouvel article 385 du code pénal demeurera lettre morte, donnant ainsi l’impression au monde du crime d’un pouvoir énervé qui veut se donner l’apparence de la force. » Et la presse de revenir sur l’échec des précédentes lois élargissant le champ de la peine capitale : « Un seul trafiquant au marché noir a-t-il jamais été condamné à mort ? 187»

La peine de mort contre les bourreaux d’enfants

En revanche, la dernière loi à être promulguée afin d’élargir le champ de la peine capitale est une réponse à une vague d’indignation soulevée en cette année 1950, décidemment féconde en innovations morticoles, et une fois de plus, à cause d’une affaire touchant à l’enfance. Le changement de regard sur les violences commises sur les enfants se poursuit, même si les violences sexuelles sont considérées de manière moins grave que d’autres formes de brutalités corporelles. Une campagne de presse est lancée à la suite d’un fait divers particulièrement atroce, l’affaire Lavenu, survenue le 18 avril 1950. Un enfant de trois ans et demi, maltraité depuis longtemps, a été tellement battu par son père qu’il est mort après une longue agonie. L’émotion

183 Proposition de loi n° 6149, rapport n° 9852, annexe au procès-verbal de la Commission de la justice et de la législation, séance du 23 mars 1950, AN, C/15941.

184 Journal Officiel. Débats de l’Assemblée nationale, 1ère séance du 16 novembre 1950, p. 7762. 185 Le Parisien libéré, 25 novembre 1950, p. 10.

186 Ibid. 187 Ibid.

est d’autant plus forte que ce fait divers vient s’ajouter à une longue série, donnant l’impression d’une multiplication de ce type de crimes188.La qualification des faits, dans cette affaire, devrait

être celle de « coups et blessures ayant entrainé la mort sans intention de la donner », or cela ne permet pas d’entraîner la peine de mort, au pire la peine des travaux forcés à perpétuité.

La presse réclame par conséquent une modification du Code pénal afin de pouvoir donner « la mort pour les tueurs d’enfants ». Dans ce concert, Le Figaro se distingue par sa modération : tout en affirmant que, sans être hostile à une extension de la peine de mort aux assassins d’enfant, fussent-ils fous, « la guillotine n’y fera rien et le rétablissement des tortures d’autrefois n’y ferait pas davantage » il préconise de s’attaquer aux causes du mal : l’alcoolisme d’abord, père de tous les vices, puis la prostitution, les taudis, la misère et la sous-alimentation189.

Un conseiller municipal de Paris, M. Suzanne, avait déjà réclamé avant cette affaire au préfet de la Seine et au préfet de police d’intervenir auprès du gouvernement pour qu’un texte répressif mette fin au scandale des condamnations légères infligées à des parents meurtriers de leurs enfants190. La proposition qui entraine le plus d’échos dans la presse est issue du sénateur MRP Léo Hamon, qui la dépose à titre individuel. Il réclame la peine de mort pour les ascendants ayant provoqué par leurs sévices la mort de leurs enfants, soulignant que les parents ont sur leurs enfants des responsabilités particulières et qu’ils doivent donc être davantage châtiés. Il réclame par la même occasion la suppression de possibilité des circonstances atténuantes. Léo Hamon reconnaît lui aussi l’influence des facteurs sociaux dans ce genre de crime : « Mais ce vaste programme d’action, dont nous aimons à penser que l’on voudra bien le considérer comme aussi urgent que quelques autres débats, ne dispense pas d’une réforme pénale : nous voudrions qu’elle soit l’annonce de l’ensemble des mesures législatives et gouvernementales sus-indiquées191. »

Les députés suivent, par groupes entiers cette fois-ci, ce qui est une nouveauté. Charles Schauffler au nom du Parti républicain de la Liberté, dépose une proposition le 23 avril. Tout en reconnaissant dans l’exposé des motifs le rôle des facteurs sociaux et l’existence d’« enfants difficiles », le PRL demande le doublement des peines prévues jusqu’alors pour maltraitances et la suppression des circonstances atténuantes, mais pas la peine de mort. Plus durs, Mme Degrond et ses collègues de la SFIO proposent également le doublement des peines quand l’auteur a déjà été condamné pour ivresse, et la peine capitale lorsque les sévices ont provoqué

188 Un tableau les récapitule dans le Figaro du 25 avril 1950 pour les deux mois précédents, p. 8. 189 Nicolas PICARD, « La peine de mort... », mémoire cité, p. 166-167.

190 Le Parisien Libéré, 10 avril 1950, p. 4. 191 Proposition de loi n°9765, C/15521.

la mort. Mme Poinso-Chapuis et ses collègues du MRP demandent également la mort pour les coupables du meurtre d’un descendant de moins de quinze ans, ainsi que le jugement des crimes sur les enfants par les tribunaux pour mineurs. Ce dernier point provoque de nombreux débats et explique en partie la longueur du processus parlementaire, qui n’aboutit au vote de la loi qu’en 1954. Le gouvernement ne dépose pas de projet sur la question, mais recommande que ces propositions de loi soient fondues avec le projet du gouvernement visant à recriminaliser l’infanticide de nouveau-né, correctionnalisé par Vichy.

Le rapport sur ces différentes propositions est présenté par le député MRP Henri Gallet le 21 mars 1951, un an plus tard. Les députés soulignent que le premier facteur de prévention serait l’amélioration des conditions socio-économiques dans lesquelles vivent ces familles, avec la question du « taudis ». Néanmoins, personne ne fait obstacle à l’application de la peine de mort pour les parents ayant provoqué le décès de leurs enfants. La proposition est adoptée en première lecture à l’Assemblée avec une disposition visant à faire juger les auteurs de ce type de crimes par les tribunaux pour enfants. Le Conseil de la République refuse cependant d’entériner ce dernier point. Le texte revient donc à l’Assemblée en avril 1952, puis se perd dans les sables de la Commission de législation, ré-émergeant régulièrement sans que jamais la disposition portant sur l’extension de la peine de mort ne soit discutée. Lors du vote final, le 6 avril 1954, les débats ne portent pas sur ce sujet192. Cette loi n’a jamais reçu d’application devant une cour d’assises.

5) L’émergence de nouvelles cibles : la peine de mort pour