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Les progrès législatifs de la peine de mort

LA VOLONTÉ DE PUNIR

IV. Les traductions politiques des émotions : l’élargissement du champ de la peine capitale

3) Les progrès législatifs de la peine de mort

L’affaire Malméjac et la peine de mort pour les kidnappeurs

Le relatif désintérêt pour les questions sécuritaires masque donc un déplacement des objets sur lesquels l’opinion publique cristallise ses angoisses et manifeste un désir répressif accru. Une affaire retentissante survenue à Marseille en novembre 1935 montre comment les émotions populaires et leur mise en scène médiatique orientent les législateurs vers un élargissement du champ de la peine capitale. L’enlèvement du petit Claude Malméjac, 18 mois, fils d’un éminent professeur de la faculté de médecine, a lieu lors d’une promenade au parc Chanot. Une vieille femme emploie un subterfuge pour éloigner la jeune fille qui accompagnait l’enfant et s’en empare. La police alertée commence aussitôt son enquête, mais la ravisseuse s’est bel et bien évaporée avec sa proie. Que l’enlèvement soit le fait d’une femme éloigne l’hypothèse classique d’un crime sexuel. L’alternative semble se situer entre la possibilité d’une détraquée cherchant à assouvir ses instincts maternels, et celle, apparemment plus alléchante, d’un motif crapuleux, d’un enlèvement par une bande de gangsters, dont la kidnappeuse n’aurait été que l’instrument. Les jours suivants, le feuilleton se développe au rythme des fausses pistes et des lettres reçues. On fait appel à des chiens policiers, la vieille dame est vue un peu partout, on retrouve le landau abandonné. Des radiesthésistes se proposent pour aider les recherches.

L’émotion, en tout cas, est considérable à Marseille : dès le début de l’enlèvement, toute la ville ne bruisse que de rumeurs, et cette émotion ne cesse de croître. Elle gagne le reste de la France. On le voit par la place de plus en plus importante qui lui est consacrée dans les journaux, par les faux signalements qui se multiplient, par les innombrables lettres de soutien que reçoivent les parents. Evidemment, il y a une dramatisation visant à créer une identification des lecteurs avec les parents : « Toutes les mères de Marseille partagent aujourd’hui les affres et les

139 Frédéric CHAUVAUD, La Chair des prétoires, op. cit., p. 272-274.

140 Dépouillement mené sur deux répertoires de circulaires de la Chancellerie couvrant pour l’un les années 1925 à 1934, pour l’autre les années 1935 à 1945, AD 54, 1399 W 92.

douleurs de la mère du petit Claude Malméjac enlevé dans les conditions que l’on sait141 » La

presse rappelle aussi à cette occasion l’affaire Nicole Marescot, autre drame épouvantable de l’année 1935, où une petite fille est assassinée, et probablement violée, par un pédophile récidiviste, Gabriel Socley.

Les soupçons des journalistes quant à l’hypothèse d’un kidnapping à l’américaine sont très vite confirmés : le docteur Malméjac reçoit le 30 novembre une lettre fixant une rançon de 50000 francs142. La nouvelle ayant fuité dans la presse, les parents du petit Claude craignent un arrêt des négociations et lancent un appel émouvant dans plusieurs journaux. S’affirmant prêt à payer, ils s’adressent au bon cœur des ravisseurs et leur demandent d’abréger au plus vite leur supplice. Georges Mandel, ministre des PTT, autorise même le professeur Malméjac à s’exprimer sur la radio d’État pour renouveler cet appel.

Les journaux font le parallèle avec les enlèvements d’enfants tels qu’ils se pratiqueraient, de manière courante, aux États-Unis. L’affaire Lindbergh, surnommée le « crime du siècle », est encore dans tous les esprits. En mars 1932, le jeune fils (20 mois) de Charles Lindbergh, héros de l’aviation, célébrité mondiale, a été enlevé, ce qui avait entraîné des recherches à l’échelle nationale. Lindbergh avait payé une rançon de 50000 dollars mais son fils avait été retrouvé mort le 12 mai. Un mois plus tard, le Congrès américain votait une loi faisant du

kidnapping un crime fédéral passible de la peine capitale.

Ce précédent (un fait divers odieux, suivi d’un durcissement de la loi) inspire les « entrepreneurs de morale ». Le kidnapping est perçu comme un symbole de cette nouvelle criminalité « à l’américaine », plus moderne, plus capitaliste et donc âpre au gain, sans l’ancien code d’honneur de la pègre. Même les fameux nervis marseillais seraient choqués par ce crime143. Cette nouvelle criminalité est vécue sur le mode de la contamination, de l’imitation.

Le Petit Parisien s’inquiète : « Serons-nous désormais dans les seuls domaines maudits, ceux du banditisme, à la remorque de l’Amérique et allons-nous connaître les “kidnappers”, ces odieux ravisseurs d’enfants dont l’enlèvement du petit Lindbergh synthétise les sinistres et épouvantables exploits144. » Le Petit Journal rajoute « Les mœurs abominables des gangsters d’Amérique vont elles s’implanter chez nous ? Voici qu’après les tragiques exploits des sinistres bandits en auto, une affaire d’enlèvement d’enfant vient aujourd’hui de provoquer une émotion considérable dans notre ville145. » Il faudrait lui opposer un barrage immédiat afin

141 Le Petit Parisien, 30 novembre 1935, p. 1. 142 Le Matin, 1er décembre 1935, p. 1.

143 Marius LARIQUE, « Halte au gang ! », Détective, 5 décembre 1935, p. 5. 144 Le Petit Parisien, 29 novembre 1935, p. 3.

d’éviter que le phénomène ne fasse tache d’huile. Détective déclare ainsi : « Bandits, vous avez voulu le crime à l’américaine ? Soit ! La guerre est déclarée…146 ».

Après plusieurs jours de recherches intenses et de multiples rebondissements, le dénouement a lieu le 2 décembre. Des policiers chargés de se renseigner sur certaines maisons suspectes se retrouvent nez à nez avec une dame dont le signalement ressemble à celui de la ravisseuse, ils entendent pleurer un enfant dans la maison, ils entrent, voient un jeune homme détaler à l’étage, se lancent à sa poursuite. Le jeune homme tient le bébé en joue avec une arme à feu, mais après plusieurs minutes de négociation, il accepte de se rendre. Le petit Claude est sain et sauf. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre, et c’est le « délire147 ». « Dans les rues […], des groupes se forment. On s’interpelle de voisin à voisin. La foule n’est plus anonyme. C’est une grande famille exultant de joie. » À la sortie de la maison des ravisseurs, une foule grondante conspue les ravisseurs, la mère et le fils Clément alias Rolland, avec des cris de mort. Les deux ravisseurs manquent à nouveau d’être lynchés devant l’hôtel de police de Marseille, où plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées. Lorsque M. Malméjac sort de l’hôtel de police avec son fils dans les bras, l’émotion est quasi-religieuse : « un silence complet s’établit dans la foule comme par enchantement. Ce fut alors une minute impossible à décrire. Des femmes pleuraient, des mains se tendaient vers le docteur et son petit que tout le monde voulait toucher comme pour s’assurer qu’il était bien là148. » L’hystérie collective ne se

calme que progressivement : le lendemain, les Rolland sont reconduits dans leur villa pour les besoins de l’enquête, la police doit dresser des barrages pour tenir à l’écart la foule, nombreuse malgré la pluie. Devant la maison du docteur sur l’avenue du Prado, plusieurs milliers de personnes attendent la moindre apparition de l’enfant au balcon. Dans les jours suivants, plusieurs centaines de personnes font encore le pied de grue devant la maison des Malméjac149.

Malgré ce dénouement heureux, les réactions médiatiques et politiques sont violentes, nombreuses et immédiates. Le Petit Journal est parmi les plus virulents :

L’opinion publique tout entière a partagé l’angoisse [des parents] du petit Claude Malmejac. Elle a partagé avec eux leur joie délirante, lorsque le malheureux gamin leur fut rendu. Elle partage maintenant leur juste colère, et réclame avec eux contre les ravisseurs des peines qui constituent un exemple salutaire. Et notre législation de ne prévoir, pour les voleurs d’enfants, que des peines de cinq à dix ans de réclusion150.

146 Marius LARIQUE, « Halte au gang ! », art. cit., p. 3. 147 « Après l’angoisse », Détective, 12 décembre 1935, p. 2. 148 Le Petit Journal, 3 décembre 1935, p. 5.

149 « Après l’angoisse », art. cit..

En réalité, les parents Malméjac n’ont jamais réclamé de châtiment particulier, ce qui n’empêche pas les journalistes de s’en faire les porte-paroles. Étant donné l’émotion soulevée, les cris de mort entendus dans la foule, les cinq à dix ans de réclusion pour « détournement de mineur », seule qualification à pouvoir être retenue, apparaissent très insuffisants.

Le 3 décembre, ce ne sont pas moins de quatre propositions de loi qui sont déposées à la Chambre, et un projet est mis à l’étude par le ministre de la Justice, Léon Bérard. Ces quatre propositions émanent de démarches individuelles, du radical Archimbaud aux députés de droite et de centre-droit Marcel Héraud, René Fayssat et Georges Pernot151, auxquelles viennent

s’ajouter peu après la proposition d’Henri Chatenet. Deux d’entre elles proposent d’instaurer la peine de mort en cas de kidnapping si l’enfant n’est pas retrouvé vivant, même si la mort n’était pas intentionnelle. Cette réaction rapide n’empêche pas la surenchère médiatique : il s’agit de maintenir la pression sur le gouvernement, ou bien de venir au secours de la victoire. Un conseiller de Paris, Lionel Nastorg, fait savoir qu’il a écrit au garde des Sceaux pour demander le bagne pour le kidnappeur et la mort si l’enfant a succombé ; l’Alliance nationale pour l’accroissement de la population française adresse une lettre allant dans le même sens.

Plusieurs demandes d’extorsion de fonds visant des enfants et de disparitions plus ou moins prolongées accréditent la thèse d’une multiplication du fléau de l’enlèvement. Alors qu’au début de l’affaire Malméjac on parlait du kidnapping comme d’une nouveauté, le Petit

Parisien affirme une semaine plus tard qu’il s’agit de rassurer des pères de famille attristés par

« de trop nombreux rapts d’enfants152 ». Le crime d’enlèvement est décrit comme le « pire des

crimes », non pas tant d’ailleurs, pour le préjudice qu’il cause aux enfants, mais à cause du « martyre moral » subi par les parents153. Il s’inscrit cependant dans une montée des

préoccupations vis-à-vis de l’enfance maltraitée.

Le garde des Sceaux Léon Bérard dépose son projet le 19 décembre 1935, le plus sévère parmi les textes proposés : il prévoit la mort pour le détournement ou l’enlèvement de mineurs de moins de 13 ans, les travaux forcés à perpétuité pour les mineurs de 13 à 16 ans. Pour encourager la restitution de l’enfant, la peine est ramenée aux travaux forcés à temps, si le mineur est retrouvé vivant avant la fin des débats. On peut penser que le ministère a pris en considération un cas comme celui de la petite Marescot, où le procès a failli avoir lieu sans que le corps de l’enfant n’ait été retrouvé et sans absolue certitude sur sa mort. Désigné par la Commission de législation comme rapporteur des différentes propositions et du projet, Georges

151 « On va enfin réprimer les crimes contre l’enfance », Le Petit Journal, 4 décembre 1935, p. 5. 152 Le Petit Parisien, 4 décembre 1935, p. 5

Pernot présente son rapport dès le 26 décembre. Le projet est adopté avec quelques modifications mineures154. À aucun moment, le principe de la peine de mort n’a fait l’objet

d’une objection au sein de la Commission, malgré la présence de députés socialistes, comme Félix Gouin.

La loi est votée sans débat et sans décompte de votes par la Chambre des députés155, puis

après un court échange entre le rapporteur et le Garde des sceaux, par le Sénat156. L’adoption définitive le 23 juin 1936 a lieu dans une indifférence quasi-générale, malgré le procès des ravisseurs du petit Claude, qui s’ouvre le lendemain à Aix-en-Provence. Ce procès suscite en revanche un très grand intérêt et fait la une tout le long des trois jours de débats. C’est une nouvelle fois l’occasion de fustiger le crime à l’américaine et le caractère monstrueux de l’atteinte à l’enfance « sacrée ». On sanglote abondamment lorsque le docteur Malméjac raconte le calvaire qu’il a subi. Dans son réquisitoire, l’avocat général Lavaux regrette le caractère non rétroactif de la récente loi157 et appelle les jurés à la plus grande fermeté en évoquant le modèle allemand : « Je vous en conjure, ne soyez pas inférieurs en rigueur aux juges du Reich qui, eux, disposent désormais de la peine capitale pour punir les ravisseurs de mineurs158. » André Clément (alias Rolland) et sa mère sont condamnés à respectivement 20 ans de travaux forcés et 20 ans de réclusion à la place des 10 ans de réclusion qu’on leur promettait, l’accusation ayant eu l’astuce de retenir la qualification de « séquestration »159.

La promulgation de la loi au Journal Officiel n’intervient que le 14 janvier 1937. Nous ignorons les raisons d’un tel retard, si ce n’est peut-être que cette loi n’intéresse plus grand monde. Le meurtre du petit Charles Mattson, aux États-Unis, dont l’enlèvement a également eu un retentissement mondial et dont le corps est retrouvé le 11 janvier 1937, a peut-être réveillé le ministère. On ne trouve en tout cas aucun écho de cette promulgation dans la presse. Ce cas reste ainsi un épiphénomène qui ne laisse pas présager d’un durcissement général des peines envers les criminels, et la question sécuritaire reste secondaire dans le paysage médiatique et politique. Une vague d’émotion a été à l’origine de la loi, mais sa discussion et sa réalisation s’opèrent de manière relativement mécanique, sans passion.

Si l’abolitionnisme est inaudible sinon absent, l’influence des conceptions autoritaires en matière de traitement de la criminalité est limitée, tant dans les cercles politiques que judiciaires.

154 Procès-verbal de la Commission de législation, 124ème séance, 26 décembre 1935, p.13-15, AN, C/15010. 155 Journal Officiel, Débats, Chambre des députés, 6 février 1936, p. 261.

156 Journal Officiel, Débats, Sénat, 23 juin 1936, p. 605. 157 Le Petit Journal, 27 juin 1936, p. 5.

158 Le Petit Parisien, 27 juin 1936, p. 5.

159 La presse souligne qu’il s’agit là d’une « finasserie ». « Le verdict d’Aix », Détective, n°401, 2 juillet 1936, p. 10.

Quelques magistrats peuvent bien, comme l’avocat général Lavaux, envier les modèles autoritaires, cela ne correspond pas à l’état d’esprit de ses collègues, adeptes des « vertus moyennes160 ». Par ailleurs, les juristes les plus influents sont hostiles au modèle pénal

allemand, révélé dans toute son ampleur au Congrès international pénal et pénitentiaire de Berlin de 1935 : c’est pour défendre le modèle pénal « humaniste » français qu’Henri Donnedieu de Vabres fonde en 1936 la Revue de science criminelle et de droit comparé161. Pour autant, Donnedieu de Vabres reste, à l’inverse de nombre de ses disciples, favorable à la peine de mort.

Un élargissement maximal pendant la guerre

L’extension de la peine de mort à de nouvelles catégories de crimes sous le gouvernement Daladier, puis sous le régime de Vichy, répond davantage à des logiques de contrôle du pouvoir et de répression des ennemis de l’État qu’aux souhaits de la population, encore que l’ « espionnite » de 1939 suscite des réactions assez vives dans l’opinion publique. En ce sens, le décret-loi instaurant la peine mort pour les espions le 29 juillet 1939 correspond à une certaine attente de la part des citoyens, tout en remplissant des objectifs de renforcement de la sécurité nationale. Il n’est pas lieu ici de retracer tout l’arsenal répressif développé par Vichy pour lutter contre les « terroristes » et les communistes, et mis entre les mains de juridictions politiques, « sections spéciales », Tribunal d’État et cours martiales : parmi ces nouvelles incriminations se trouvent « vol avec agression nocturne, vol avec de faux uniformes, contrefaçon de tickets de rationnement, incendie de récoltes, détention d’armes et d’explosifs, de postes d’émission radio, attentats contre la sûreté de l’État162 ».

Une des lois les plus emblématiques de Vichy, dans sa volonté de restaurer un certain ordre moral, est la loi du 15 février 1942 qui assimile certains avorteurs aux auteurs « d’actes de nature à troubler la paix intérieure, la tranquillité publique, les relations internationales, ou, d’une manière générale, à nuire au peuple français » désignés dans la loi du 7 septembre 1941 instituant le Tribunal d’État, et punissables de mort. « Pour qu’un avorteur soit déféré devant le Tribunal d’État, deux conditions doivent être réunies : le prévenu doit avoir pratiqué

160 Alain BANCAUD, La Haute Magistrature judiciaire, op. cit.

161 Cf. l’éditorial du premier numéro de la revue, par Henri Donnedieu de Vabres et Louis Hugueney : « « Dans la lutte contre le crime, deux conceptions se partagent l’Europe actuelle. Au droit pénal libéral, issu de la Révolution française, s’oppose un droit pénal autoritaire. », Revue de science criminelle et de droit comparé, n°1, janvier- mars 1936, p. 2.

l’avortement d’une manière habituelle ; il faut d’autre part qu’il ait agi dans un but lucratif163 ».

L’avortement reste correctionnalisé dans les autres cas.

Cependant, comme le relève Fabrice Cahen, cette loi constitue une « divine surprise » pour les mouvements anti-avortement, qui n’en espéraient pas tant. Il y avait quelques appels directs à la peine capitale pour les avorteurs à la fin des années 1930 (de la part du sénateur de droite Jean Stuhl, de Moselle, par exemple), mais la plupart des mouvements anti-avortement, tout en maniant une rhétorique du monstrueux qui appelait implicitement à l’élimination des avorteurs, préféraient se garder de tout excès afin de ne pas braquer les autorités. Le gouvernement Daladier leur donne en partie satisfaction en promulguant un décret-loi le 29 juillet 1939 qui durcit la répression des avorteurs164. La documentation administrative permettant de retracer la genèse de la loi du 15 février 1942 fait défaut : on sait juste que le Commissariat général de la Famille dirigé par Renaudin a pris ces dispositions sans avoir consulté au préalable le ministère de la Justice165. Cette loi ne résulte pas des pressions directes des mouvements anti-avortement, leur discours étant, selon Fabrice Cahen, à cette époque paradoxalement plus modéré qu’avant la guerre166. Ils réclament des peines sévères, mais pas la peine de mort. Il faudrait donc voir cette loi comme une initiative propre à Vichy. Ce n’est qu’ « ultérieurement à l’adoption du texte que les militants laissent éclater au grand jour leur approbation167. » Notons cependant que cette loi, qui fit deux victimes, Marie-Louise Giraud et Désiré Pioge, relève d’une justice politique d’exception, et non du droit commun. Elle disparaît avec le reste de la justice extraordinaire de Vichy à la Libération.

La guillotine contre le marché noir

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’usage de la peine de mort est peu questionné dans son principe, même si on peut voir les prémices d’un nouvel élan abolitionniste dans l’essor d’un humanisme chrétien et, parmi les juristes, de l’idéal d’un monde plus harmonieux grâce au droit. Cela se traduit notamment dans l’ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs, par la diffusion d’idées réformatrices sur le traitement des délinquants dans l’administration pénitentiaire, et par la réflexion menant à la Déclaration universelle des droits de l’homme. Des

163 Jean-Yves LE NAOUR et Catherine VALENTI, Histoire de l’avortement, XIXe-XXe siècle, Paris, Éd. du Seuil,

coll. « L’univers historique », 2003, p. 196.

164 Fabrice CAHEN, « Lutter contre l’avortement illégal. Les politiques de la vie au défi du contrôle des mœurs », thèse de doctorat d’histoire, soutenue sous la direction de Paul-André Rosental, EHESS, 2011, p. 426.

165Ibid., p. 461.

166 « On ne trouve plus dans les publications de l’Alliance nationale […]la même soif de châtiment, violente et explicite, qu’avant-guerre. », Ibid., p. 459.

propositions d’abolition sont régulièrement déposées à partir de 1947168. Mais dans un premier

temps, c’est la dureté qui prévaut alors que les hommes politiques utilisent volontiers une rhétorique guerrière, et que le pays continue de souffrir de graves privations. L’un des principaux problèmes que rencontrent les Français dans l’après-guerre est le manque de ravitaillement. Ce dernier est encadré par l’État, mais ses défauts ont entrainé l’essor d’un marché noir. Une nouvelle offensive morticole a lieu sur ce problème, une offensive-éclair, sans véritable