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L A PREUVE DE L ' EXISTENCE DU VIDE

Dans le document SCIENCE EXPÉRIMENTALE (Page 102-106)

de la contraction musculaire - Naissance de la notion de réflexe

4. L A MÉTHODE EXPÉRIMENTALE ET SON IMPACT SUR LA SCIENCE PHYSIQUE DU XVII e SIÈCLE

4.3. L A PREUVE DE L ' EXISTENCE DU VIDE

Les fontainiers de la Renaissance qui, dans les jardins de Florence, captaient l'eau de sources profondes à l'aide de pompes aspirantes et de tuyaux avaient observé qu'au-delà d'une profondeur de 32 à 33pieds (une dizaine de mètres) l'eau ne parvenait plus à la surface. Pour expliquer cette limite maximale d'élévation de l'eau, on s'était livré à des conjectures où l'on voyait ressurgir le vieux concept d'"horreur du vide" attaché à la théorie du plénisme. Evangelista TORRICELLI (1608-1647), un disciple de GALILÉE, essaya d'expliquer le phénomène en invo-quant un équilibre entre la colonne d'eau aspirée par la pompe et la masse d'air qui était extérieure à la colonne d'eau et qui exerçait une pression à la base de cette colonne. Il pensait que l'élévation de l'eau atteignait sa limite lorsque le poids de la colonne d'eau égalait le poids de l'air atmosphérique. Vérifier cette hypothèse sur le terrain était quasiment irréalisable. Puisque l'hypothèse impliquait un rapport entre le poids de l'eau et celui de l'air, TORRICELLI eut l'idée d'une expérience où l'eau était remplacée par un corps liquide beaucoup plus lourd. Il choisit le mer-cure (appelé à cette époque vif argent) dont la densité est environ treize fois et demie celle de l'eau. L'expérience fut réalisée en 1643, avec l'aide de son assistant Vincenzo VIVIANI(1622-1703). Un tube de verre long d'un mètre, fermé à une extrémité, fut rempli de mercure, puis retourné dans une cuve elle-même remplie de mercure. La colonne de mercure dans le tube de verre descendit quelque peu pour se stabiliser à environ 76cm au-dessus du niveau du mercure présent dans la cuve, laissant un espace non-rempli dans le haut du tube de verre, résultat en accord avec l'hypothèse de départ. L'expérience fut reprise avec des tubes de plus d'un mètre de long. Dans tous les cas, la colonne de mercure était stabilisée à 76cm de hauteur. Pourquoi la colonne de mercure dans le tube retourné ne s'écoulait-elle pas totalement dans la cuve? Comme l'avait prédit TORRICELLI, parce que le poids de l'air sur la surface du mercure dans la cuve contrebalançait le poids du mer-cure dans le tube de verre. Mais, que contenait l'espace laissé libre au-dessus de la

colonne de mercure dans le tube de verre? Le vide? ou des vapeurs de mercure?

ou encore de l'air qui pouvait avoir réussi à s'infiltrer à travers la colonne de mer-cure? L'idée d'un "funicule" rattachant la colonne de mercure au sommet du tube avait même été suggérée. Un savant aussi illustre que DESCARTES mettait en doute l’existence du vide, en postulant que les corps étaient formés d’un réseau de parti-cules entre lesquelles circulait une "matière subtile". Autant d'opinions qui déchaî-nèrent des passions entre les partisans du vide et leurs opposants. TORRICELLI, prudent, ne prit pas parti. Son appareil, qui par la suite fut adapté pour mesurer la pression de l'air, fut appelé baromètre.

En 1644, le Père Marin MERSENNE (1588-1648), de l’ordre des Minimes, physi-cien et divulgateur de la sphysi-cience de son époque, relate en France l'expérience de TORRICELLI, ce qui suscite curiosité et intérêt et fait ressurgir la dispute sur le vide entrevacuistes et plénistes.

En 1646, PASCAL âgé de 23ans et un physicien, Pierre PETIT reproduisent l'expérience de TORRICELLI. Ils la réitèrent avec de nombreuses variantes. A la fin de l'année 1647, PASCAL demande à Florin PÉRIER, son beau-frère, d'organiser la fameuse expérience du Puy de Dôme. Cette expérience sera réalisée le 19septembre 1648; les résultats en seront publiés le mois suivant dans le Récit de la Grande Expérience de l'Equilibre des Liqueurs. Dans l'esprit de PASCAL, il s'agissait de vérifier l'effet de l'altitude et, par voie de conséquence, l'effet du poids de l'air, nécessairement plus faible en altitude.

Des mesures comparatives réalisées au sommet et au pied du volcan montrent que le niveau du mercure dans l'appareil de TORRICELLI transporté au sommet est légèrement, mais significativement inférieur à celui observé en bas, résultat en accord avec la notion que l'air est pesant, mais moins pesant au sommet d'une montagne que dans la plaine. Ce qu'avait prédit PASCAL dans une lettre adressée à PÉRIER se trouve confirmé. "S'il arrive que la hauteur du vif argent (mercure) soit moindre au haut qu'au bas de la montagne, avait-il écrit, il s'ensuivra nécessairement que la pesanteur et pression de l'air est la seule cause de la suspension du vif argent (dans l'appareil de TORRICELLI), et non pas l'horreur du vide, puisqu'il est bien certain qu'il y a beaucoup plus d'air qui pèse sur le pied de la montagne, que non pas sur son sommet; au lieu qu'on ne saurait pas dire que la nature abhorre le vide au pied de la montagne plus que sur son sommet." De l'expérience du Puy de Dôme on pouvait déduire que l'air atmosphérique exerce une pression sur tous les corps terrestres.

Dans les Traités de l'Equilibre des Liqueurs et de la Pesanteur de l'Air, PASCAL donne une explication simple à l'entrée de l'air dans les poumons au cours de la respira-tion: "lorsqu'on respire, l'air entre dans le poumon […] parce que […], poussé par le poids de toute sa masse, il y entre et y tombe par l'action naturelle et nécessaire

B. PASCAL (1623 - 1662)

de son poids, ce qui est si intelligible, si facile et si naïf, qu'il est étrange qu'on ait été chercher l'horreur du vide, des qualités occultes et des causes si éloignées et si chimériques pour en rendre raison". En somme, l'organisme vivant réagit vis-à-vis de l'air pesant comme le fait la colonne de mercure dans l'appareil de TORRICELLI, un exemple de la conception mécaniste de la physiologie du vivant qui prend nais-sance à cette époque.

En 1654, le physicien et ingénieur allemand Otto VONGUERICKE (1602-1686), bourgmestre de Magdeburg, met au point une machine pneumatique capable de pomper l'air d'un espace clos, en d'autres termes de faire le vide dans cet espace.

Cet espace, il l’obtient en joignant deux hémisphères de bronze évidées de 24cm de diamètre; leur accolement réalise une sphère creuse. Une tubulure rattache l’intérieur de la sphère à la machine pneumatique. Après extraction de l'air, on constate que les deux hémisphères ne peuvent être séparées qu'en déployant une force considérable nécessitant le recours à un attelage de plus d'une dizaine de chevaux. Cette expérience, réalisée à Regensburg, confirmait que l'air est pesant et démontrait le pouvoir de sa pression sur des objets au niveau du sol. L'expérience deVONGUERICKE n'apportait cependant pas de réponse à la question de savoir si le vide modifiait des phénomènes physiques habituellement observés dans les conditions normales de pression atmosphérique. Cette réponse fut apportée par le physicien anglais Robert BOYLE, assisté de Robert HOOKElequel devait s’illustrer plus tard par des expériences de microscopie. BOYLE fait fabriquer en 1659 un récipient sphérique de verre dont la capacité avoisinait trente litres. Ce récipient est pourvu d'ouvertures fermées par des clapets. Il est relié à une machine pneu-matique (pompe à air) perfectionnée, munie d'un système à crémaillère actionnée par une manivelle pour le pompage de l'air (FigureII.13). Les expériences se succé-dèrent pendant une dizaine d'années. BOYLE vérifie ce qu'il advient de la colonne de mercure d'un appareil de type baromètre lorsque cet appareil est introduit dans la machine pneumatique et que le vide est réalisé: le niveau de mercure dans la colonne de verre s'abaisse en accord avec le fait que la contrainte de l'air atmosphérique ne s'exerce plus. L'espace laissé libre dans la colonne de verre, en équilibre avec le vide de la machine pneumatique, ne peut donc qu'être vide.

Cette expérience "du vide dans le vide" aurait dû mettre un terme aux objections des plénistes. C’était sans compter sur l’acharnement polémique du philosophe Thomas HOBBES (1588-1679) qui faisait remarquer dans le Dialogus physicus de natura aeris (1661) que la fiabilité des dispositifs expérimentaux de BOYLE était contestable et que les conclusions qui étaient tirées des expériences s’appuyaient sur des hypothèses susceptibles d’être remises en question. Les critiques de HOBBESet la doctrine du plénisme qu’il soutenait s’effondrèrent finalement devant l’évidence expérimentale, et notamment la confirmation des résultats de BOYLE par le physicien hollandais Christian HUYGENS. Les expériences de BOYLE sur le vide (43 au total) furent publiées à partir de 1660.

La pompe pneumatique comportait un ballon de verre d’une capacité d’une trentaine de litres qui pouvait être obturé à sa partie supérieure et qui était relié par sa partie inférieure au corps de la pompe. Un système à crémaillère permettait de pomper l’air contenu dans le ballon de verre et de réaliser le vide.

Figure II.13 – Première pompe à air de BOYLE (1658)

(d'après Robert BOYLE - New Experiments Physico-Mechanicall, touching the Spring of the Air, and its Effects, Oxford, 1660)

Dans le lot des 43expériences, certaines relevaient de la physiologie animale.

Ainsi, BOYLE observe que des animaux (souris, oiseaux) enfermés dans l’enceinte de la machine à vide meurent en quelques minutes par suffocation lorsque le vide est réalisé. Il constate qu’une bougie allumée s’éteint dans le vide, et il se demande s’il n’existe pas une relation entre respiration et combustion, une idée qui sera reprise et développée plus tard par LAVOISIER (ChapitreIII-5.2). De l’ensemble de ces résultats BOYLEconclut qu’une partie spécifique de l’air est essentielle à la respiration et à la vie. Il faudra attendre le développement de la chimie des gaz au XVIIIesiècle pour assister à l’identification de la fraction respirable de l’air atmo-sphérique à l’oxygène. BOYLEfut non seulement un grand physicien, mais aussi un chimiste inspiré. On lui doit la préparation d'un grand nombre de composés minéraux: le chlorure de cuivre, le sulfate de cuivre, le chlorure d'étain… ainsi que la découverte d'indicateurs colorés naturels, carmin de cochenille, teinture de tour-nesol, de bois de campêche, dont les couleurs sont modifiées par l'addition d'acide ou de base.

La preuve de l'existence du vide par le fait qu'il pouvait être créé mettait fin à une longue querelle entre vacuistes et plénistes. Elle apportait un regard nouveau sur les phénomènes physiques au-delà de l'atmosphère terrestre. Les applications à la physiologie animale préludaient aux recherches sur l’"air respirable" et à l’iden-tification de sa nature chimique.

Dans le document SCIENCE EXPÉRIMENTALE (Page 102-106)