• Aucun résultat trouvé

La part du hasard dans la méthode expérimentale

Dans le document SCIENCE EXPÉRIMENTALE (Page 169-172)

COMME SCIENCE EXPÉRIMENTALE AU XIX e SIÈCLE

A Bganglion cérébroïde

2.2.5. La part du hasard dans la méthode expérimentale

"Si tout en un sens arrive au hasard, c'est-à-dire sans préméditation, rien n'arrive par hasard, c'est-à-dire gratuitement."

Georges CANGUILHEM Etudes d'histoire et de philosophie des sciences concernant les vivants et la vie - 1994 (7e édition) S'il est un exemple largement médiatisé où le hasard a servi l'expérimentateur c'est bien celui de la découverte de la pénicilline, découverte dont le mérite fut partagé entre un bactériologiste, Alexander FLEMING (1880-1955), un physio-logiste, Howard FLOREY (1898-1968) et un biochimiste Ernst CHAIN(1906-1979).

L'histoire désigne FLEMING comme l'acteur principal de cette découverte. En fait, il fut le découvreur innocent mais avisé d'une moisissure, le Penicillium notatum, qui avait la remarquable propriété de secréter un antibiotique très actif vis-à-vis d'un grand nombre de bactéries, la pénicilline. Dans les années 1920, le travail de FLEMINGdans le laboratoire de bactériologie de l'hôpital St Mary à Londres portait sur l'étude de variants de staphylocoques différant de la souche sauvage par la forme et la couleur des colonies ainsi que par la virulence. C'est le 3septembre1928 que se produisit un évènement qui allait signer le début de l'aventure de la péni-cilline. Fin juillet de la même année, FLEMING avait ensemencé avec une suspen-sion de staphylocoques de la gélose nutritive placée dans des boîtes circulaires en verre, recouvertes d'un couvercle, appelées boîtes de PETRI(du nom de Richard PETRI (1852-1921), l'inventeur). De retour de vacances, le 3septembre, il examina la cinquantaine de boîtes de PETRI qu'il avait laissées négligemment sur sa table de travail. Son attention se porta sur l'une des boîtes où s'était développée une magnifique moisissure, bardée de longs filaments. Ce qui frappa FLEMING, c'est que tout autour de cette moisissure, aucune colonie bactérienne ne s'était déve-loppée (FigureIII.5). Visiblement, la moisissure avait sécrété une substance inhi-bitrice que FLEMING appela pénicilline.

FLEMING n'était pas chimiste. Ses tentatives de purification de la pénicilline échou-èrent, et il s'en tint à des expériences sur l'effet ou l'absence d'effet antibiotique de l'extrait du Penicillium notatum sur tout un ensemble d'espèces bactériennes.

Il constata en particulier l'absence d'effet de la pénicilline sur la croissance d'un

microbe, Bacillus (Haemophilus) influenzae, qui à cette époque était tenu comme l'agent responsable de la grippe, une infection dont quelques années plus tard on découvrira l'étiologie virale. En détruisant des contaminants bactériens, l'extrait du Penicillium notatum permettait l'obtention de cultures pures de B.influenzae, d'où le titre de l’article publié par FLEMINGdans le British Journal of Experimental Pathology (1929, vol.10, pp.226-236): "On the antibacterial action of cultures of a penicillium, with special reference to their use in the isolation of B.influenzae".

La figure représente une plaque de gélose nutritive dans une boîte de PETRI que FLEMING

avait ensemencée avec des staphylocoques. La gélose avait été contaminée fortuite-ment avec le champignon Penicillium notatum. On remarque dans la partie supérieure de la plaque l'absence de colonies bactériennes autour de la colonie de Penicillium.

Ceci est dû au fait que le Penicillium secrète un antibiotique qui diffuse et empêche la prolifération bactérienne.

Figure III.5 – Photographie de la plaque de gélose nutritive sur laquelle Alexander FLEMING observa le pouvoir antibiotique d'une moisissure,

le Penicillium notatum, vis-à-vis de colonies de staphylocoques (d'après R. TATON - Causalités et accidents de la découverte scientifique, Masson, Paris, 1955) L'affaire du Penicillium notatum rebondit une dizaine d'années plus tard lorsqu'à l'Institut de Pathologie d'Oxford, FLOREY et CHAIN, qui s'intéressaient à l'antibiose bactérienne et recherchaient dans la littérature des documents relatifs à ce sujet, tombèrent sur l'article de FLEMING. Captivés par les énigmatiques propriétés de la pénicilline, ils s'attelèrent à la tâche de sa purification. C'est à Oxford que furent préparés les premiers échantillons de pénicilline et que leur puissance antibiotique sur différents types d'infections graves fut démontrée. Par la suite, le relais fut pris aux Etats-Unis pour une production en masse.

Si l'on connaît bien l'histoire de la découverte de la pénicilline, on ignore souvent la part du hasard qui présida à cette découverte et qui fut révélée par la suite d'une façon inopinée. Lorsque le Prix NOBEL de Physiologie et de Médecine fut attribué en 1945 à FLEMING, FLOREY et CHAIN pour leur contribution à la découverte et à l'isolement de la pénicilline, les historiens des sciences s'intéressèrent à l'observa-tion première de FLEMINGet essayèrent de reproduire, à des fins pédagogiques, la contamination d'une culture de staphylocoques sur de la gélose nutritive en boîte de PETRIpar le champignon Penicillium notatum. Les boîtes ensemencées à la fois par les staphylocoques et les spores de champignon furent placées dans une étuve à 37°C. Aucune lyse bactérienne ne se produisit. En face de cet échec, répété et inexpliqué, on se perdit en conjectures. C'est alors que l'un des participants à l'expérience de reconstitution eut l'idée de consulter le bulletin météorologique de la ville de Londres de l'été 1928, année de la découverte de la pénicilline par FLEMING. Un brutal changement de température attira son attention. Du 27juillet au 6août, la température avait été relativement basse, oscillant entre 16 et 20°C, puis à partir du 6août jusqu'à la fin du mois elle était remontée à 30°C avec des pointes au-delà. Un recoupement fut fait avec les conditions optimales du déve-loppement du Penicillium notatum (température de 15 à 20°C) et celles du staphy-locoque (température de 30 à 37°C). On put alors reconstituer les modalités du développement de la spore du Penicillium qui avait contaminé la culture de staphy-locoques de FLEMING et reproduire le scénario de la découverte. En juillet 1928, FLEMING ensemence une cinquantaine de boîtes de PETRIavec une suspension de staphylocoques et les laisse sur sa table de travail à la température ambiante. Lors de l'ensemencement, une des boîtes est contaminée par inadvertance par une spore de Penicillium provenant du laboratoire de mycologie situé à l'étage supérieur, dans le même bâtiment où travaillait FLEMING. Jusqu'au 6août, la température ne dépasse pas 20°C, condition favorable pour le développement du Penicillium, mais défavorable pour celui du staphylocoque. A partir du 6août arrive une vague de chaleur qui favorise la mutiplication du staphylocoque. Mais là où, dans la boîte de PETRI, le Penicilliuma proliféré et sécrété la pénicilline, les bactéries sont bloquées dans leur croissance, ce qui explique l'auréole vide de colonies bactériennes autour de la moisissure. Appliquée a posteriori, la méthode expérimentale s'appuyant sur des données météorologiques, avait donc permis de comprendre le processus par lequel le développement de staphylocoques avait été stoppé par le Penicillium notatum. Cet exemple caricatural montre que la reproductibilité de résultats expé-rimentaux peut dépendre de circonstances environnementales, qui ne sont pas nécessairement perçues par la sagacité du chercheur. La notion de hasard souvent affichée dans la découverte de l'effet antibiotique du Penicillium notatum ne doit pas prêter à confusion. Dans cette découverte, le hasard ressort en fait d'un phénomène fortuit climatique, la brutale variation de température durant l'été londonien de l'année 1928. Ce hasard servit la perspicacité de FLEMING qui eut le bon réflexe de conserver la boîte de PETRIcontaminée au lieu de la rejeter et qui de surcroît eut la curiosité bien scientifique de s’intéresser à la nature de la substance antibiotique secrétée par le Penicillium. C’est souvent de cette manière que le hasard sert la science.

3. L' IMPACT TECHNOLOGIQUE SUR LES SCIENCES DU VIVANT

Dans le document SCIENCE EXPÉRIMENTALE (Page 169-172)