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ET L ’ INDUCTION DANS LE RAISONNEMENT SCIENTIFIQUE

Dans le document SCIENCE EXPÉRIMENTALE (Page 122-125)

À L ' EXPÉRIMENTATION QUANTITATIVE AU XVIII e SIÈCLE

ET L ’ INDUCTION DANS LE RAISONNEMENT SCIENTIFIQUE

Francis BACON (1561-1626), fils d'un haut dignitaire de la couronne britannique, est considéré comme le père de la philosophie expérimentale. Après des études de droit à Cambridge, il entreprend une carrière de juriste qui le con-duit à occuper des fonctions politiques dans l'environne-ment du pouvoir royal. BACONn'était pas un expérimenta-teur; on ne connaît de lui aucune découverte. Cependant, sa vision prophétique du rôle du savant dans la société ainsi que son aura politique en firent un des promoteurs les plus influents de la science au tournant du XVIIesiècle. Persuadé que la connaissance scientifique est une condition de la puis-sance de l'Etat, il souhaitait que les gouvernants se sentent responsables de l'avancement de la science.

La base scientifique de la doctrine de Francis BACON est la méthode inductive qui consiste à observer pour un phénomène donné soumis à expérimentation le plus grand nombre possible de cas particuliers dans des conditions bien définies, à collecter et à comparer les observations et à tirer des conclusions par un raisonne-menta posteriori sur la validité des hypothèses qui avaient été formulées a priori.

Dans les sciences de la Nature, disait-il, seule la méthode inductive est valable; la méthode déductive, qui va des principes généraux a priori vers le particulier, passe à côté des faits.

Dans son essai On the Dignity and Advancement of Learning (1605), BACON explique que, pour faire avancer la science, il faut quantifier les résultats. "Beaucoup de parties de la Nature, écrit-il, ne peuvent être découvertes avec assez de subtilité, ni accommodées à l'usage des hommes, sans l'aide et l'intervention des mathéma-tiques." Ni empirisme aveugle, ni rationalisme dogmatique; un juste milieu entre ces extrêmes, voilà le secret de la méthode expérimentale. "Les philosophes plus empiriques, écrit BACON, ressemblent à des fourmis; ils ne font que collecter et

F. BACON (1561 - 1626)

remplir leur réserve. Les rationalistes ressemblent pour leur part à des araignées qui tissent tout à l'intérieur de leur corps. Que l'on me montre un philosophe qui, à l'instar de l'abeille, possède une disposition médiane, qui collecte des choses venant de loin, mais qui digère ce qu'il a absorbé de ses propres forces et le retraite ensuite."

En 1620, Francis BACONpublie son ouvrage majeur, le Novum Organum. Le titre en est explicite. Il s'agit de réviser ou même d'abandonner la conception de la science qu'ARISTOTE avait proposée dans l'Organon. Contre la scolastique médiévale qui avait contribué à stériliser l'imagination et la créativité, le Novum Organum propose de réagir et d'instituer un nouvel ordre. La gravure allégorique du frontispice de l'ouvrage (FigureII.19) représente les colonnes d'HERCULE que franchissent des vaisseaux pour aller explorer des terres inconnues et en revenir chargés de mar-chandises. La légende "Multi pertransibunt et augebitur scientia" ("Beaucoup tra-verseront et la science s'enrichira") est significative: oser aborder des problèmes difficiles, encore inexplorés et la moisson sera riche en découvertes. "Les choses déjà connues sont telles, écrit Francis BACON, qu’avant qu’elles fussent connues, il était difficile d’en avoir le soupçon. Si avant de connaître la poudre à canon, on avait voulu imaginer de détruire les murs à distance, on aurait pensé à une grosse catapulte." Même dix grosses catapultes seraient moins efficaces qu'un boulet de canon. Plutôt que de se complaire dans la reproduction à grande échelle des acquis du passé, il convient d'innover. C'est là le secret du progrès. Encore, faut-il s'astreindre à la règle d'objectivité et pour cela rejeter quatre sortes d'idoles de l'esprit humain qui, héritées de la scolastique médiévale, encombrent les esprits et bloquent tout progrès dans la connaissance scientifique. Ce sont les illusions dont nos sens sont responsables, les préjugés en cours qui ont une vie tenace, la rou-tine de nos habitudes, les concepts erronés propagés par la philosophie aristoté-licienne. Plus tard, John LOCKE(1632-1704) s'inspirera de cette philosophie. Dans un essai sur l'Entendement humain, il démontrera dans sa théorie de la Table rase que c'est l'expérience, et elle seule, qui génère les idées. Dans le Novum Organum, BACON introduisit pour la première fois le terme d’expérience cruciale, qui défi-nissait une expérience capable de trancher d’une façon irréfutable la validité de l’une d’elles. Beaucoup de scientifiques se targueront d’avoir réalisé l’expérience cruciale. Plus tard, le qualificatif de crucial sera discuté et sa portée sera requalifiée (ChapitreIII-8.2).

DansDe Augmentis Scientarium (1623), Francis BACONinsiste sur quelques critères expérimentaux: varier l'expérience en variant les matériaux, varier les conditions, reproduire des situations observées dans la Nature, explorer l'effet opposé de celui qu'on attend, enfin ne pas négliger les applications. Tout ceci correspond à ce que BACONappelle la "chasse de Pan", une chasse guidée par le raisonnement, mettant en œuvre des expériences réalisées dans un certain ordre, une certaine direction.

Mais, ajoute BACON, "restent les hasards de l’expérience. Quoi de plus fou, écrit-il, que de tenter une expérience, non parce que la raison ou quelque autre fait vous y a conduit, mais seulement parce que rien de semblable n’a jamais été tenté. Il se pourrait pourtant que sous cette extravagance même se cachât, je ne sais quoi de

vraiment grand, je veux dire, si l’on avait le courage de remuer, pour ainsi dire, toutes les pierres de la nature; car tous les grands secrets de la nature sont hors des sentiers battus et de la sphère de nos connaissances". Voici une réflexion que l’on retrouvera esquissée chez Paul FEYERABEND (1924-1994) dans sa Théorie anarchi-que de la connaissance, quatre siècles plus tard et qui fait la part belle à la sérendipité.

Le dessin qui illustre la couverture du Novum Organum représente des vaisseaux ren-trant au port avec leurs chargements de produits exotiques jusque-là inconnus. L’allé-gorie concerne la science nouvelle fondée sur la méthode expérimentale et l’apport en richesses par ses découvertes.

Figure II.19 – Frontispice de l’ouvrage philosophique de Francis BACON sur une nouvelle conception de la science, Novum Organum Scientiarum (1620),

édition hollandaise de 1650

LeNew Atlantis (1627), publié un an après la mort de Francis BACON, évoque une cité idéale de la recherche, la maison de SALOMON, gouvernée par des savants sui-vant un ordre hiérarchique, dotée par l'Etat de laboratoires équipés d'instruments les plus modernes, de jardins botaniques, de bibliothèques, de musées où seraient regroupées des collections d'animaux ou de plantes en provenance du monde entier. Une semblable utopie avait déjà été avancée par Tommaso CAMPANELLA (1568-1639) dans sa Cité du Soleil (1602). Le modèle qu’avait été Alexandrie dans l’Antiquité grecque (ChapitreI-1.3) était un lointain souvenir.

Pour Francis BACON, philosophe, mais aussi homme politique, savoir c’est pou-voir, et le but de toute recherche est une meilleure connaissance de la Nature dans une quête de progrès. Ne pas négliger les applications de la découverte, c'est l'un des thèmes développés dans De Augmentis scientarum. Ces principes influenceront Thomas HOBBES, l'un des fondateurs de la science politique, dans sa conception du rôle de l'Etat comme régulateur du progrès scientifique.

Dans son Esquisse d'un Tableau Historique des Progrès de l'Esprit Humain (1790) CONDORCET(1743-1794) résume en quelques phrases l'apport de Francis BACON à la connaissance scientifique: "BACON a révélé la vraie manière d'étudier la Nature, d'employer les trois instruments qu'elle nous a donnés pour pénétrer ses secrets, l'observation, l'expérience et le calcul. Il veut que le philosophe, jeté au milieu de l'Univers, commence par renoncer à toutes les croyances qu'il a reçues et même à toutes les notions qu'il s'est formées, pour se recréer en quelque sorte un entendement nouveau, dans lequel il ne doit plus admettre que des idées précises, des notions justes, des vérités dont le degré de certitude ou de probabilité a été rigoureusement pesé".

6.2. R

OBERT

B

OYLE

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