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L’ ALCHIMIE ET LA RÉVOLUTION TECHNOLOGIQUE DU M OYEN Â GE L'alchimie médiévale, dotée d’un matériel d'expérimentation certes rudimentaire,

Dans le document SCIENCE EXPÉRIMENTALE (Page 48-53)

2. L' HÉRITAGE PHILOSOPHIQUE ET TECHNOLOGIQUE DU M OYEN Â GE

2.3. L’ ALCHIMIE ET LA RÉVOLUTION TECHNOLOGIQUE DU M OYEN Â GE L'alchimie médiévale, dotée d’un matériel d'expérimentation certes rudimentaire,

mais efficace, a joué un rôle décisif dans la naissance de la méthode expérimentale, non seulement en chimie, mais aussi dans les sciences physiques et du vivant.

Elle contribua à rapprocher le savoir théorique des philosophes et le savoir-faire manuel des techniciens, tels que ceux qui extrayaient et purifiaient les métaux.

Partant de l’idée que toute substance peut se transformer en une autre, les alchi-mistes étaient persuadés qu’il devait être possible d’ennoblir les métaux vils. Cette idée, déjà ancrée chez les philosophes de l’école grecque d’Alexandrie, trouve son origine dans la science des teintures, un ensemble de techniques utilisées pour dorer, argenter ou colorer des objets. ZOSIME de Panapolis, qui vécut au IVesiècle de notre ère, pratiquait la distillation ainsi qu’un processus qu’il appelait digestion (FigureI.4). L’appareil destiné à la digestion était composé d’un vase en terre sur le goulot duquel une lamelle métallique était fixée. Cette lamelle était recouverte de substances à expérimenter. Le tout était recouvert d’une cloche. L’appareillage était introduit dans un four. Par l’effet de la chaleur, les substances déposées sur la lamelle de métal fondaient. Les gouttes liquides recueillies dans le fond du vase étaient vaporisées. Les vapeurs réagissaient avec les résidus encore présents sur la lame, entraînant des changements de couleur qui étaient interprétés en termes de transmutation.

La science arabe hérita des techniques de l'école d'Alexandrie. Elle en fit le pivot d’une pratique expérimentale qui reçut le nom d’alchimie et qui accueillit avec la même ferveur, grâce à des échanges commerciaux de plus en plus fréquents, des idées venues de Chine. Recouverte d'un voile de confidentialité, l'alchimie se distingua dès ses débuts par un curieux mélange de mysticisme et d'expérimen-tation. Les premiers alchimistes considéraient que les métaux étaient constitués de deux entités, le soufre et le mercure, avec la réserve que ces entités étaient la représentation essentiellement symbolique de certaines propriétés propres à tel ou tel métal. Ainsi, il était admis que le mercure était une entité stable qui conférait aux métaux leur éclat et leur ductilité et que, par contre, le soufre était un principe de couleur jaune, facilement décomposable. On postulait que le mercure et le soufre existaient dans diverses proportions et à des degrés différents de pureté dans les métaux. On prétendait enfin qu'il était possible d'augmenter ou de dimi-nuer l'éclat, la volatilité, ou encore la couleur de tel ou tel corps, sauf de l'or consi-déré comme le métal le plus parfait.

Concurremment à l'expérimentation métallurgique, l'alchimie s'intéressa à la fabri-cation d'électuaires dont la fameuse thériaque, une panacée capable de guérir tous les maux. Curieusement, l’alchimie chinoise s’était développée de façon quasi-parallèle à l’alchimie grecque et arabe, avec la même visée chimérique de fabriquer un élixir de longue vie. Il faut souligner la richesse de la pharmacopée chinoise de cette époque et l’attention qui était portée dans l’enseignement de la médecine à la connaissance des plantes médicinales.

Figure I.4 – Schéma d'un alambic et d'un vase à digestion utilisés par les alchimistes grecs de l’école d’Alexandrie (copie du XVIe siècle d’un traité d’alchimie de ZOSIME au IIIe siècle avant notre ère)

JÂBIR IBN HAYYÂN connu sous le nom de GEBER (721-815) est considéré comme le fondateur de l’alchimie arabe. PARACELSE (1493-1541) l'appellera le maître des maîtres dans la science chimique. Dans son ouvrage plus tard traduit en latin, Summa perfectionis, GEBER distingue les deux tendances propres à l’alchimie, l’espoir chimérique de la transmutation des métaux et l’illusion de détenir une panacée avec l’élixir rouge préparé à partir d’or dissous. Dans un autre traité De Investigatione magisterii, il écrit: "prétendre extraire un corps de celui qui ne le contient pas, c’est folie. Mais comme tous les métaux sont formés de mercure et de soufre, on peut ajouter à ceux-ci ce qui est en défaut ou leur ôter ce qui est en excès.

Pour y parvenir, on emploie des moyens appropriés. Voici ceux que l’expérience nous a fait connaître: la calcination, la sublimation, la décantation, la dissolution, la distillation, la coagulation, la fixation". La calcination d'un métal correspondait aux réactions d'oxydation de notre chimie moderne: du plomb, du cuivre ou du fer soumis à une flamme en présence d'air se transforment en oxydes de plomb, de cuivre ou de fer, que l'on appelait indistinctement "chaux" à cette époque. Quant aux agents mis en œuvre, ce sont les sels, les aluns, les vitriols, le verre, le borax, le vinaigre et le feu. Au mercure et au soufre, GEBER ajoutera plus tard une troisième entité, l’arsenic. Les quatre éléments fondamentaux, eau, terre, air et feu ne sont

pas oubliés. La croyance qui perdurera jusqu’au XVIIIesiècle est qu’ils sont pré-sents en proportions différentes dans le mercure, le soufre et l'arsenic. GEBER et les alchimistes qui l’ont suivi donnaient, pour des raisons symboliques, une impor-tance à ce qui était volatil, ce qui les portait à considérer la sublimation comme une opération d’ordre supérieur. Dès cette époque, des recettes sont proposées pour préparer des "liqueurs" enrichies en potasse et en soude à partir de plantes terrestres et marines, en acide sulfurique (huile de vitriol) par chauffage de l'alun, en acide nitrique par traitement de salpêtre avec l'huile de vitriol. GEBER eut un illustre successeur en la personne du chimiste et médecin RHAZES (AL-RÂZÎ) (865-923) auquel on attribue la découverte de l'alcool par distillation du vin.

Les connaissances chimiques des Arabes pénètrent en Europe occidentale, d’une part à travers l’Espagne conquise dès le VIIIesiècle, d’autre part à travers la Sicile conquise au siècle suivant. Avec ces connaissances sont véhiculés des noms dont certains sont parvenus jusqu'à nous: alambic, alcali, alcool. Des officines d'alchi-mie se créent et se développent à travers tout le Moyen Âge. L'outillage est modeste et se limite, même aux XIIIe-XIVesiècles, à des fours à soufflet, à des bains d'huile, à des cornues et des alambics (FigureI.5). Dans la tradition de l'alchimie occi-dentale, on retrouve des philosophes et physiciens de la Nature, comme Roger BACON et ALBERT le Grand. A Montpellier, Arnauld DE VILLENEUVE (1235-1311), médecin et régent de l'école de médecine, perfectionne les procédés de distillation.

Il décrit le détail des opérations visant à obtenir un certain nombre de produits, parmi lesquels l’alcool, déjà connu, qui sera appelé eau de vie. On lui doit le pro-cédé de préparation de l’essence de térébenthine. Un autre alchimiste du début du XIVesiècle, Raymond LULLE (1232-1316), de son vrai nom Ramon LULL, d’origine catalane, insiste sur la notion de quintessence, un principe subtil présent dans de nombreux produits auxquels il confère une qualité spécifique. Ainsi, l’eau-de-vie est considérée comme la quintessence où réside la vertu du vin. On a là une notion des principes actifs présents dans des substances naturelles, principes que la chi-mie moderne s’efforcera de purifier et qui se révèleront fort utiles en thérapeu-tique. Mais au Moyen Âge, la thérapeutique est essentiellement empirique, sou-vent inefficace. Les épidémies ravagent le monde et la médecine reste impuissante.

Au milieu du XIVesiècle, la peste, partie d'Asie, envahit l'Europe. Elle fait vingt-cinq millions de morts. Cinq siècles plus tard, l'agent de la peste était découvert;

on pouvait alors se battre contre un ennemi désormais démasqué.

Au début du XVesiècle, Basile VALENTIN (X Vesiècle) met au point des prépara-tions d’antimoine qu'il utilise à des fins thérapeutiques. C’est le début de l’iatrochi-mie ou chil’iatrochi-mie appliquée à la médecine dont PARACELSE fut l'un des plus célèbres représentants. PARACELSE occupa à Bâle pendant quelques années la première chaire de chimie qui ait été fondée. Il professait que le vrai but de la chimie n'est pas de faire de l'or mais de guérir les maladies. Indépendamment des sels d’anti-moine recommandés par VALENTIN, PARACELSE préconisa l’usage interne de sels de mercure dans le traitement de la syphilis. Les sels de mercure seront utilisés jusqu'au XXesiècle.

Figure I.5 – Une officine d’alchimie au Moyen Âge (d'après un cliché conservé à la Bibliothèque nationale de France)

En 1542, Jean FERNEL (1497-1558) publie le De naturali parte medicinae, un ouvrage de physiologie qui fera autorité. La médecine de l’époque essentiellement humaine et morale bénéficie malgré tout de progrès liés à des mesures prophylactiques fon-dées sur des observations raisonnées (ouvertures de lazarets, désinfection d’objets suspects, mise en quarantaine) dans le but d’éviter la propagation d’infections.

La pratique chirurgicale se remet en question. La chirurgie médiévale remporte des succès notables avec des innovations et des redécouvertes (suture de plaies, suture des tendons, opération de la cataracte). Elle prélude à l’ère de la chirurgie renais-sante avec Ambroise PARÉ (1509-1590) et des grands anatomistes de l’école ita-lienne (ChapitreII-2). PARÉ avait fait ses débuts à l’Hôtel-Dieu de Paris. Engagé comme chirurgien dans la campagne militaire du Piémont en 1537, il est vite confronté au traitement de blessures par des armes à feu, pistolets et arquebuses, qui venaient de faire leur apparition sur les champs de bataille. En raison de l’idée colportée que la poudre était un poison, il était d’usage de cautériser les plaies par une application d’huile bouillante. Un jour, manquant d’huile, PARÉ traite les blessés par des pansements froids. S’attendant au pire, il est surpris de voir que les

blessés ainsi traités guérissent mieux et moins douloureusement que ceux qui avaient reçu le traitement classique à l’huile bouillante. Suite à son expérience, il publie la Méthode de traicter les playes faites par les hacquebuses et autres bâtons à feu.

Cet ouvrage fit grand bruit et même scandale, car il était écrit en français et, qui plus est, il allait à l’encontre des enseignements des maîtres de l’époque. La cause fut aggravée par un franc-parler qui ne manque pas de surprendre de nos jours:

"n’est-ce pas grand chose, disait-il, de feuilleter les livres, de gazouiller et de caque-ter en une chaire de chirurgie si la main ne besogne et n’est mise en usage par bonne raison".

Contemporain de PARACELSE, l’Allemand AGRICOLA, de son vrai nom Georg BAUER, (1494-1555) est l’auteur du premier ouvrage de métallurgie que l’on connaisse, De re metallica. Il avait observé, comme le fera Jean REY (1584-1645) quelques décennies plus tard, que le plomb augmente de poids lorsqu'il est exposé à l'air. Mais, de façon erronée, il en avait déduit que les métaux vivent et s'accrois-sent à la façon des plantes. A la même époque, Bernard PALISSY (1510-1590), considéré comme le fondateur de la chimie technique, découvre un procédé de fabrication des émaux. Ses nombreux traités dénotent un esprit original et inventif, proche du fait expérimental, soucieux des détails.

A PARACELSE, AGRICOLA et PALISSY succèderont des savants qui feront la tran-sition avec la chimie moderne du XVIIIesiècle: Jean REY, qui signale l’augmenta-tion de poids des métaux par oxydal’augmenta-tion, Jan Baptist VAN HELMONT (1577-1644), découvreur de "l’esprit sylvestre" (gaz carbonique ou dioxyde de carbone) et du

"gaz de sel" (acide chlorhydrique), Johann GLAUBER (1604-1668) auquel on doit la préparation du sulfate de soude (sel de GLAUBER), Robert BOYLE (1626-1691) et Edme MARIOTTE (1620-1684) qui démontrent indépendamment la relation qui existe entre le volume d’un gaz et sa pression, Johann KUNCKEL (1638-1703) qui isole le phosphore à partir d’urine, Joachim BECKER (1635-1682), auteur d'une nouvelle théorie sur trois types de terre, vitrifiable, inflammable et mercurielle, Guillaume HOMBERG (1652-1715) découvreur de l'acide borique (ou sel de HOMBERG), Georg Ernst STAHL (1660-1734), promoteur de la théorie des affinités en chimie et également de la malheureuse théorie du phlogistique issue de la notion de terre inflammable de BECKER. Au cours des siècles, l'instrumentation des alchimistes se perfectionne. De nouveaux appareils sont créés, des anciens sont améliorés: fours équipés de soufflets, bains d'huile, creusets, coupelles, cornues, récipients en verre ou en céramique.

La tradition alchimique perdurera jusqu'à la fin du XVIIesiècle. Son influence était telle que des génies comme NEWTON en furent des adeptes. Elle avait contribué à étoffer le catalogue des corps dont les propriétés sont accessibles aux sens. Même à une époque avancée, on considéra que ces propriétés étaient des réalités identi-ficatrices. On identifiait comme appartenant à une même entité des corps qui pré-sentaient certains caractères en commun, bien qu'ils fussent de toute évidence de nature et d'extraction différentes. Ainsi, pour BECKER, le fait que le quartz et le

diamant soient transparents, comme l'était par définition la terre vitrifiable, était une preuve que quartz et diamant faisaient partie d'une même terre vitrifiable. En raison des moyens limités que la science possédait, il lui était difficile d'évaluer la complexité de la matière et d'envisager qu'un corps réputé simple puisse en receler plusieurs de nature différente.

En dépit d'avancées techniques évidentes, l'alchimie médiévale ne parvint pas à imposer une méthode expérimentale crédible. Une des raisons de cette carence fut la difficulté à concevoir des instruments de mesure fiables et à préciser ce qui, dans l'expérimentation, exigeait d'être mesuré. Une autre raison fut la difficulté à se départir du caractère secret et mystique qui entourait toute expérimentation. A l'approche alchimique de la connaissance des choses de la Nature, entachée de croyances animistes et de pratiques cabalistiques, se substituera dans le courant du XVIIesiècle une approche mécaniste, associée à un regard objectif.

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