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L A PÉRIODE ALEXANDRINE DE LA SCIENCE GRECQUE

Dans le document SCIENCE EXPÉRIMENTALE (Page 31-36)

ALEXANDRE le Grand meurt en 323 avant J.C. Son empire est partagé entre ses généraux. A l'un d'eux, PTOLÉMÉE SÔTER (vers 360-283 avant J.C.), échoit la pro-vince d'Egypte. Alexandrie en devient rapidement le foyer intellectuel. Elle le res-tera pendant sept siècles. Elle brillera dans le monde antique par son musée doté de salles d'enseignement et de dissection, par un observatoire, par un riche jardin botanique et une ménagerie d’animaux rares, ainsi que par une bibliothèque dont on dit qu'elle contint près de 700000volumes. Une armée de scribes y était occu-pée à recopier les manuscrits. La dynastie des PTOLÉMÉE règnera pendant trois siècles, assurant un appui politique et financier à une élite scientifique. Ce fut le premier exemple d'un lien à grande échelle entre le pouvoir politique et la pro-motion de la science. Ce qui illustre cette époque, connue sous le nom d'époque alexandrine, c’est le développement d’une technologie industrielle associée aux conceptions abstraites. Comme le fait remarquer Jacques BLAMONT dans Le Chiffre

et le Songe (1993), "il en résulta pour les Grecs, dont les plus grands penseurs avaient mis le travail manuel et les artisans au bas de l’échelle sociale, un rapprochement inattendu entre l’emploi d’instruments et les spéculations les plus éthérées, entre le chiffre et le songe. C’est bien là, ajoute Jacques BLAMONT, l’aspect le plus nouveau, le plus étonnant, le plus mystérieux qu’ait pu s’y établir un couplage si étroit, si fructueux, entre les arts mécaniques, dont la maîtrise se transmettait plutôt de bouche à oreille, sans passer par l’écriture, et la science cultivée par les rats de bibliothèques qui manifestaient peu de goût pour les applications". La remarquable activité économique d’Alexandrie, générant une manne financière, fut un appoint non négligeable au soutien politique de cet essor intellectuel et technologique sans précédent. Cette ville était, en effet, devenue un centre très actif d’échanges com-merciaux et l’un des marchés les plus florissants de l’Orient.

Parallèlement à l’essor de la science physique et de ses applications à différents domaines de l’industrie, la science du vivant connut un renouveau et eut l’audace de s’adresser à l’Homme. HÉROPHILE (330-260 avant J.C.) et ERASISTRATE (310-260 avant J.C.) créèrent à Alexandrie la première école d'anatomie humaine où l'enseignement était fondé sur la pratique de la dissection de cadavres humains.

HÉROPHILE fit la distinction entre les artères qui battent et les veines. Il mesura la fréquence du pouls en évaluant le temps à l’aide d’une clepsydre ou horloge à eau. Il décrivit les ventricules du cerveau, distingua les nerfs des tendons. Il indivi-dualisa la portion initiale de l'intestin grêle où débouchent le canal pancréatique et le canal cholédoque. Le terme dwdekadavktuloı (douze fois la largeur d'un doigt) fut utilisé pour marquer la particularité topographique de cette région de l’intes tin grêle. La latinisation du terme grec aboutira au terme français duodénum.

ERASISTRATE s'intéressa au phénomène de la digestion et reconnut que la chaleur de l'estomac est incapable de cuire les aliments, comme on le croyait alors. Il fit du cerveau le centre de fonctionnement du système nerveux et établit une relation entre le fonctionnement du cerveau et l'intelligence. Il s'attaqua aussi au problème, encore mystérieux à cette époque, du rôle du cœur dans la circulation sanguine, sans toutefois parvenir à le résoudre. A côté de ces avancées, il y eut quelques erreurs dues en partie à la tentation d’attribuer une structuration à différents types d’"esprits". C'est de l'époque d'ERASISTRATE que date la croyance, qui perdura jusqu'à DESCARTES, que les nerfs sont des tubes creux dans lesquels circulent des esprits animaux. S'en tenant à l'observation de cadavres, ERASISTRATE postula comme l'avait fait ALCMÉON que le sang circule seulement dans les veines et non dans les artères supposées véhiculer de l'air, erreur qui sera corrigée par GALIEN. Ainsi, l’artère pulmonaire qui véhicule vers les poumons du sang "noir"

fut dénommée à tort veine artérielle, tandis que la veine pulmonaire qui contient du sang "rouge" fut baptisée, également à tort, artère veineuse. La trachée artère fut ainsi nommée car elle était considérée comme un grand canal à air.

Aux enseignements d'HÉROPHILE et d'ERASISTRATE, qui avaient ouvert une large fenêtre sur des notions fondamentales d'anatomie et de physiologie, succédèrent

une école empirique pour laquelle l'art de guérir prévalait sur la connaissance scientifique du corps humain, puis une école "pneumatique" qui donnait la priorité au souffle vital, le pneuma, supposé apporter l'énergie à toutes les parties du corps, enfin une école éclectique qui prenait ses sources dans toutes les doctrines des siècles passés. Il semble que la tendance de la médecine de cette époque ait été plus théorique que pratique et que la connaissance de l’anatomie n’ait pas beaucoup progressé, le recours à la dissection des cadavres étant tombé en désuétude.

Au IIesiècle de notre ère, Claude GALIEN (131-201) s'impose non seulement comme médecin (le plus grand de l'Antiquité avec HIPPOCRATE), mais aussi comme expérimentateur. Né à Pergame en Asie Mineure, il vint à Alexandrie, deve-nue capitale de l’hellénisme, pour étudier l'anatomie, puis il retourna à Pergame où il eut à pratiquer la chirurgie en tant que médecin des gladiateurs. A 33ans, il s'établit à Rome. Devenu médecin de l'empereur MARC AURÈLE (121-180), il acquit une extraordinaire réputation. GALIEN a beaucoup disséqué et beaucoup écrit. La plupart de ses dissections furent faites sur le singe, et l'on a longtemps cru que la description qui en était faite se rapportait à l'homme. GALIEN a aussi réalisé des vivisections sur le porc et le chien qui le conduisirent à explorer des fonctions restées inconnues. Il décrivit l'innervation des muscles du larynx par des nerfs

"aussi fins que des cheveux" et nota que si on ligature ou sectionne ces nerfs, l'ani-mal devient aphone. Ainsi s'expliquait que la lésion de ces nerfs au cours de l'exé-rèse de thyroïdes hypertrophiées chez des patients goitreux entraînait souvent une paralysie de la voix. GALIEN montra que la section de la moelle épinière à différents niveaux chez le chien provoquait des paralysies de différentes parties du corps. La section entre la première et deuxième vertèbre entraînait la mort immé-diate par arrêt du cœur et des mouvements respiratoires. Le rôle des uretères dans l'élimination de l'urine à partir de la vessie fut prouvé par une simple expérience de ligature. De ces expériences, on pouvait conclure que toute altération d’une fonction provient d’un défaut de fonctionnement d’un organe et que toute lésion d’un organe entraîne une altération de la fonction dont cet organe est responsable.

GALIEN reconnut que les artères contiennent du sang, et non de l'air comme l'avait écrit ERASISTRATE. L’erreur d’ERASISTRATE résultait de dissections réalisées sur des cadavres. GALIEN réfuta cette erreur en montrant que si l’on met à découvert une artère chez l’animal vivant, qu’on lie cette artère en haut et en bas et qu’on l’incise entre les deux ligatures, on la trouve remplie de sang. GALIEN s'attaqua, comme ERASISTRATE, au problème de la circulation sanguine sans toutefois le résoudre. Il postula à tort que la cloison, qui dans le cœur sépare les ventricules droit et gauche, est percée de pores et que le sang qui circule passe à travers ces pores. Cette erreur sera enseignée comme un dogme pendant des siècles. A défaut d'une explication simple de la mécanique propre à la circulation du sang, GALIEN utilisera des palliatifs verbaux pour donner un semblant de logique à cette méca-nique, en puisant dans les écrits de PLATON et d’ARISTOTE et dans le corpus hip-pocratique, et en recourant à la notion abstraite d'esprits dont le sang se charge à différents endroits dans l'organisme: esprits naturels dans le foie, esprits vitaux

dans le cœur, esprits animaux dans le cerveau (ChapitreII-2). La solution sera trouvée quinze siècles plus tard par William HARVEY (1578-1657), grâce à une approche rigoureuse qui signait la naissance de la méthode expérimentale dans les sciences de la vie (ChapitreII-1). Quoi qu’il en soit, la doctrine galénique véhiculée par les érudits arabes, dont le célèbre médecin AVICENNE, sera dans le monde médiéval une référence intangible.

ARISTOTE avait été un observateur. GALIEN fut à la fois observateur et mentateur. Les savants de cette époque étaient bien conscients que toute expéri-mentation sur un animal vivant en modifie inévitablement certains paramètres.

Cependant, aussi judicieuses et minutieuses que fussent leurs expérimentations, elles laissaient planer un doute sur la validité des interprétations; à preuve, la fameuse expérience sur l'origine des pulsations artérielles. GALIEN pratique une petite incision longitudinale sur une artère proche de la peau chez une chèvre. Il y introduit un fin roseau de longueur d'un doigt. L'artère est ligaturée à l'endroit où le roseau a été introduit. GALIEN note que la région en dessous de la ligature cesse de battre et que le roseau cesse de s'agiter. Il en conclut qu'il y a eu interruption de la "vertu pulsative" de l'artère. ERASISTRATE avait réalisé la même expérience.

A la différence de GALIEN, il avait observé un battement du roseau. Il en avait déduit que le pouls était véhiculé par le contenu de l'artère. De telles contradictions jetaient un doute sur l'expérimentation, encore dans une phase embryonnaire, ceci d’autant plus qu’à de rares exceptions les philosophes, naturalistes et médecins grecs, avaient été et restaient peu enclins à la pratiquer. D’une part, la tradition imposait de réserver aux esclaves les travaux manuels. D’autre part, la technique dans les arts mécaniques était considérée comme une action dirigée contre les forces de la Nature, comme une ruse, comme un artifice pour vaincre la Nature. Le terme grec "mhcanavomai" se traduit aussi bien par "fabriquer" que par "imaginer une ruse". L’expérimentation, considérée comme un artifice, resta longtemps un objet de suspicion et il n’y a pas lieu de s’étonner que malgré la puissance de la pensée grecque, malgré le support logique qui la portait, cette pensée ne fut que rarement mise à profit pour expérimenter.

Alexandrie avait abrité nombre de savants qui laissèrent leurs noms à la postérité, le physicien STRATON (335-265 avant J.C.), continuateur d'ARISTOTE, des mathé-maticiens, EUCLIDE, connu pour son recueil d’Eléments de Géométrie qui incluaient des considérations sur l’arithmétique et la théorie des nombres, APOLLONIUS de Perge (262-190 avant J.C.), auteur d'un ouvrage sur la Section des Coniques ainsi qu’ARISTARQUE de Samos (310-230 avant J.C.), élève de STRATON. Ce dernier aurait formulé pour la première fois l'hypothèse révolutionnaire que le Soleil et les étoiles sont immobiles, que la Terre tourne autour du Soleil et qu’elle tourne sur elle-même. Ainsi, la Terre était réduite à l’état d’une planète; l’Homme n’était plus au centre de l’Univers. Pour cette idée sacrilège, ARISTARQUE fut accusé d’impiété.

La théorie héliocentrique d'ARISTARQUE sera rejetée au profit de la théorie géo-centrique d'HIPPARQUE de Nicée (IIesiècle avant J.C.). Pour respecter une certaine

cohérence, cette dernière théorie nécessita le recours à des modèles d’autant plus compliqués que les observations des astronomes se faisaient plus nombreuses et plus précises. HIPPARQUE fit la plupart de ces observations à Alexandrie. Il aurait inventé l’astrolabe, un instrument qui permet de mesurer la position des astres et leur hauteur apparente. En 146 avant J.C., la Grèce passe sous la domination romaine. A l’époque hellénistique succède l’époque romaine. Alexandrie restera cependant, pour quelques siècles encore, le centre intellectuel, scientifique et cul-turel du monde antique.

Au IIesiècle de notre ère, Claude PTOLÉMÉE (90-168) publie une théorie complète du système géocentrique et réalise dans une encyclopédie, l’Almageste, (hmevgisth), la synthèse magistrale des connaissances astronomiques de cette époque, qui com-portait en particulier un catalogue d'étoiles. Dans l’Almageste, PTOLÉMÉE, se réfé-rant aux travaux d'APOLLONIUS de Perge complétés par ceux d'HIPPARQUE, expliquait certaines anomalies des orbites des planètes, théoriquement circulaires, par l’effet d’un double mouvement. Il supposait qu'un petit mouvement circulaire, l'épicycle, était superposé à un grand mouvement circulaire, le déférent, accompli autour de la Terre. L’Almageste restera un credo pour le monde savant pendant près de quinze siècles.

Alors que l’astronomie attirait la curiosité de nombre de savants, la géographie était restée parente pauvre. L’un des plus grands géographes de l’Antiquité fut ERATOSTHÈNE (273-192 avant J.C.); il estima la circonférence de la Terre à 140km près et on lui doit la notion de l’obliquité de l’écliptique. La science mathématique grecque arrive à son apogée avec DIOPHANTE (IIIesiècle), auteur d'un exposé d'algèbre, PAPPUS (I Vesiècle), connu pour ses ouvrages de mathématiques et de physique dans lesquels on trouve la première définition du centre de gravité, et HYPATIE (370-415), célèbre mathématicienne et philosophe.

L’époque alexandrine n’avait pas été étrangère au développement des arts méca-niques dû à des inventeurs fameux comme ARCHIMÈDE (287-212 avant J.C.), PHILON de Byzance (IIIesiècle avant J.C.) et HÉRON d’Alexandrie (Iersiècle). Les automates de HÉRON (Iersiècle) préfigurent le joueur de flûte et le canard "digé-rateur" de VAUCANSON (1709-1782) (ChapitreII-6.3). PHILON avait décrit dans les Pneumatiques un appareil, dénommé thermoscope, capable de répondre à la chaleur et au froid par un mouvement de liquide. Le principe en était fondé sur la dilatation de l’air sous l’effet de la chaleur (FigureI.3). On peut y voir un fré-missement de la méthode expérimentale. Mais ce n’est qu’au XVIIIesiècle que la température sera mesurée de façon exacte par des thermomètres à alcool ou à mercure (ChapitreII-3.3). C’est un fait général et remarquable que la méthode expérimentale s’est imposée de façon définitive en Occident, après la Renaissance, à partir du moment où l’on s’est convaincu que la validité d’une expérience dépen-dait de l’exactitude des mesures effectuées et de l’évaluation de la marge d’erreur.

A

B

C

Le thermoscope de PHILON comportait un ballon en plomb vide(A) sur lequel était adapté avec soudure un tube(B) recourbé, descendant jusqu’au fond d’un vase rempli d’eau(C). Si le ballonA est placé au soleil, une partie de l’air chauffé qu’il renferme se dégage du fait de sa dilatation dans l’eau du vaseC. Si le ballonA est mis à l’abri des rayons du soleil, l’eau monte par le tube à partir du vaseC pour descendre dans le ballonA. Si à nouveau le ballonA est replacé au soleil, l’eau retourne dans le vase et ainsi de suite, aussi souvent que l’on répète l’expérience.

Figure I.3 – Schéma illustrant le principe du thermoscope de PHILON (IIIe siècle avant notre ère)

Avec l’occupation romaine, au tournant de notre ère, le dynamisme intellectuel qui avait animé la cité d’Alexandrie s’estompe. A partir du IIIesiècle éclatent des émeutes sporadiques liées aux dissensions religieuses qui marquent le début du christianisme et plus tard celui de l’islam. Lors d’une de ces émeutes, en 415, HYPATIE est tuée. La bibliothèque d’Alexandrie est pillée et en partie incendiée. La période d’or d’Alexandrie touche à sa fin au VIIesiècle. C’est ainsi que disparut une brillante civilisation qui avait illuminé le monde antique.

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