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de prendre en compte les externalités

Le régime des redevances apparaît aujourd’hui désuet et complexe à bien des égards. Du point de vue de la biodiversité, il souffre de plusieurs défauts qui entraînent la sous-tarification de certaines ressources naturelles et des dommages causés à la biodiversité, cette sous-tarification constituant donc une forme d’aide publique dommageable à la biodiversité.

D’abord, la règle du plafonnement limite les possibilités de mettre à la charge de l’usager une redevance d’un montant supérieur au coût du service. Elle peut toutefois lui être inférieure sous certaines conditions. Une éventuelle légère modulation tarifaire est donc possible mais elle sera déséquilibrée.

Ensuite, certaines redevances sont mixtes et les règles s’y appliquant s’en trouvent compliquées et nécessitent parfois, pour être clarifiées, l’intervention de la juris- prudence.

Surtout, les redevances ne prennent pas en compte les externalités négatives. Si l’activité de l’usager d’un service entraîne de telles externalités, il serait conforme à la théorie économique d’inclure leur coût dans la facture qui lui est présentée. La redevance serait ainsi une modalité de mise en œuvre du principe pollueur-payeur. Cela paraît d’autant plus légitime lorsqu’il s’agit de l’usage privatif d’un service public. Dans les faits, cela est possible lorsque l’administration qui fournit la prestation ou met à disposition l’ouvrage public a aussi pour mission de remédier aux nuisances causées. Ainsi, le coût de construction de murs antibruit le long des autoroutes a pu être inclus dans le montant des investissements répercutés sur l’usager à travers le péage qui lui est réclamé.

Mais lorsque les dépenses engagées pour remédier à ces externalités négatives sont à la charge d’un organisme tiers, le critère de la contrepartie qui fonde le régime des redevances pour services rendus empêche que les frais correspondants soient mis à la charge de l’utilisateur sous forme de redevance. De même, le critère de la contrepartie fait obstacle à ce que ces dépenses soient supportées par l’utilisateur,

via une redevance, quand leur lien avec le service n’est pas considéré comme assez étroit, même quand elles sont engagées par le même organisme que celui qui fournit la prestation. Ainsi, le Conseil d’État a jugé illégal, dans un arrêt du 13 novembre 1987, Syndicat national des transporteurs aériens, un décret instituant une redevance pour atténuation de nuisances phoniques perçue sur certains aérodromes, en complément de la redevance d’atterrissage, au motif que cette atténuation résultait principalement de travaux d’insonorisation des habitations et n’était la contrepartie d’aucune prestation servie par cet exploitant aux compagnies.

Enfin, qu’il s’agisse des redevances domaniales ou des redevances pour services rendus, elles n’incluent pas, aujourd’hui, les externalités positives ni les services écosystémiques produits. Ce sujet paraît important, d’une part, car il concerne l’occupation privative du domaine public et, d’autre part, car il conduit, probablement,

à une sous-tarification des redevances domaniales et donc à une gestion suboptimale de son domaine par l’État et des biens publics globaux.

Les redevances domaniales sont fixées en fonction de l’avantage retiré par l’occupant (art. L 2125-3 et suivants du code général de la propriété des personnes publiques, CGPPP). En pratique, peuvent être prises en considération les conditions d’exploitation et de rentabilité de la concession d’occupation (le chiffre d’affaires par exemple pour les restaurants installés dans le Domaine de Versailles ou pour la salle de concert du Zénith à La Villette). Les externalités positives ne sont pas prises en compte, sauf si l’on considère qu’elles figurent en partie dans le chiffre d’affaires du concessionnaire. Les services écosystémiques fournis à l’extérieur et en aval ne le sont pas davantage.

Par exemple, la redevance pour occupation du domaine public, versée annuellement par les sociétés concessionnaires d’autoroutes à l’État (art. R. 122-27 du code de la voirie routière), est calculée selon la formule suivante : R = (R1 + R2) x 0,3 où R1 = V x 1000 x L et R2 = 0,015 x CA1

. Cette formule n’est donc pas liée à la rentabilité d’une section d’autoroute donnée. Elle ne tient compte d’aucune des externalités causées au domaine public, ni par la simple existence de l’autoroute (imperméabilisation des sols, effet de fragmentation dus à la clôture des emprises, coupures paysagères, etc.), ni par son usage (bruit, effets des polluants atmosphériques sur la végétation alentour, dépôts de polluants dans le sol environnant). Elle ne tient pas davantage compte de la qualité écologique et paysagère du domaine public qui sert d’assiette à l’emprise de l’autoroute. Que l’écosystème qui sert de support soit riche ou pauvre, rare ou commun, fragile ou robuste, menacé ou non, la redevance sera la même. La formule ne tient pas compte non plus de la qualité paysagère du domaine public, non pas en tant que support de la voie autoroutière mais en tant qu’environnement visuel immédiat qui se donne à voir au voyageur (cas de forêts domaniales comme la forêt de Fontainebleau traversées par une autoroute) et qui, constituant pour lui une aménité, un agrément, peut valoriser son trajet, voire favoriser le choix de celui-ci et donc le revenu du concessionnaire.

Par ailleurs, dans le cas d’espèce, la valeur locative fixée semble faible pour les dépendances autoroutières (superficies comportant un revêtement pour les aires de repos, de services, de stationnement et leurs voies d’accès et zones d’élargissement de gares de péage) : il est de 0,61 euro par mètre carré contre 4,85 euros par mètre linéaire pour les voies de circulation, les échangeurs et les bretelles de raccordement. Ces dépendances sont des zones d’artificialisation, d’imperméabilisation des sols et qui servent de support à des activités commerciales pratiquant des prix d’autant plus élevés que le consommateur y est captif. Une simple bonne gestion du domaine de l’État supposerait la revalorisation de cette valeur locative. Une prise en compte des externalités causées par ces dépendances (artificialisation du sol, imperméabilisation, ruissellement sur les surfaces imperméabilisées, lessivage des pollutions au sol, etc.) pourrait justifier une hausse additionnelle. On peut faire des observations voisines

(1) V étant la valeur locative de 1 mètre de voie autoroutière telle qu’elle est fixée par le CGI, art. 1501, L correspondant au nombre de kilomètres de voies autoroutières exploitées par le concessionnaire au 31 décembre de l’année précédant le versement, CA représentant le chiffre d’affaires réalisé par la société au titre de son activité de concessionnaire d’autoroutes sur le domaine public national.

pour d’autres redevances : pour occupation du domaine public maritime, du domaine public fluvial, péages fluviaux, etc.

En outre, l’articulation de cette redevance avec la taxe due par les concessionnaires d’autoroute, instituée plus récemment et codifiée au code général des impôts (CGI) art. 302 bis ZB, n’apparaît pas clairement. Cette taxe est due à raison du nombre de kilomètres parcourus par les usagers (7,32 euros par 1 000 km). Sa base n’apparaît pas si éloignée de celle de la redevance, le chiffre d’affaires de la société dépendant en partie du nombre de kilomètres parcourus et celui-ci dépendant en partie du nombre de kilomètres sous concession. Pourtant, si l’on s’en tient au droit fiscal en vigueur et à la distinction qu’il opère entre taxe et redevance, si le tarif d’une redevance semble difficilement pouvoir être incitatif, modulable et prendre en compte les externalités, c’est tout le contraire pour les taxes. On comprend donc mal la construction de cette taxe et son caractère très sommaire, alors qu’elle pourrait intégrer une composante incitative voire internalisante. Cette composante ne viserait pas à prendre en compte le dommage causé par la construction de l’autoroute. Celui- ci est acquis et a dû être intégré en amont pour être minimisé selon le triptyque « éviter, atténuer, compenser ». Elle pourrait plutôt viser à prendre en compte l’usage de l’autoroute (effets, sur la biodiversité environnante, des polluants atmosphériques, du bruit, de la luminosité nocturne, du ruissellement des polluants déposés sur le revêtement par le trafic).

Le groupe de travail considère que le droit des redevances est devenu désuet et inadapté et pourrait être modifié de la façon suivante.

Dans un premier temps :

• la règle du plafonnement devrait être revue de façon à permettre une meilleure modulation ;

• les tarifs des redevances domaniales semblent très disparates et souvent sous- évalués. Ils mériteraient d’être revus ;

• l’État devrait mieux connaître les services écosystémiques délivrés par les espaces naturels lui appartenant et mieux en mesurer la valeur ;

• le fait que les externalités négatives ne peuvent être incluses dans une redevance que si l’administration fournissant le service a aussi pour mission de remédier aux nuisances causées n’est pas justifié et s’apparente à une quasi-fiction juridique ou à une théorie de l’administration écran. Lorsqu’il s’agit du niveau national, dans tous les cas, il s’agit de l’État, de son administration, et la règle de l’universalité de ses finances publiques devrait prévaloir. On peut tenir un raisonnement voisin pour chacun des niveaux de collectivités territoriales.

Dans un second temps :

• l’impossibilité d’imputer les externalités négatives à leur auteur, alors même qu’il s’agit d’une occupation privative du domaine public, plaide à elle seule pour la réforme de leur régime. D’une part, cette impossibilité entrave la gestion par l’État de son domaine, au profit de l’intérêt général. D’autre part, l’importance qu’ont prise les externalités, tant dans la théorie économique que dans la réalité des problèmes environnementaux, ne peut laisser l’État indifférent et impuissant face à cette impossibilité ;

• en matière de biodiversité, l’une des percées conceptuelles les plus importantes de ces dernières années est celle de services écosystémiques ou de services rendus par les écosystèmes, formalisée en 2005 par le Millennium Ecosystem Assessment (MEA). Si l’on y réfléchit bien, ce concept est très proche de celui de service rendu pour usage d’un service public ou d’un ouvrage public, justifiant le paiement d’une redevance à l’État en contrepartie. Dans ce dernier cas, l’État perçoit une rémunération pour l’usage d’un service public, d’un ouvrage public ou de son domaine public. Dans le premier cas, la nature fournit quantité de services écosystémiques, sans lesquels la vie sur terre et le fonctionnement même des économies seraient impossibles. Les économistes s’efforcent de quantifier ces services et de trouver les moyens de les rémunérer. Or l’État, de par son domaine (domaines publics maritime et fluvial, forêts domaniales, terrains affectés au Conservatoire du littoral, etc.) détient des espaces naturels qui fournissent des services écosystémiques. Ce constat ne doit certes pas amener à opérer une assimilation pure et simple du patrimoine naturel au domaine public, d’abord parce que d’autres qualifications juridiques plus larges peuvent jouer (l’article L. 110-1 du code de l’environnement qualifie les espaces, sites, ressources et espèces de « patrimoine commun de la Nation », ce qui ne va pas sans évoquer l’idée de « biens communs »), ensuite parce que ce ne sont pas les propriétaires ou gestionnaires du domaine public qui rendent ces services mais bien la biodiversité elle-même. Il n’en demeure pas moins que seule une faible partie des services rendus par les écosystèmes détenus par l’État est facturée. Au-delà des services écosystémiques découlant de la simple existence de ces espaces naturels, certains services écosytémiques découlent de l’action de l’État. Par exemple, l’existence de forêts de montagne, leur gestion par l’Office national des forêts (ONF), l’action de la Restauration des terrains en montagne (RTM), en amont des barrages EDF, protègent les bassins versants de l’érosion et limitent donc l’ensablement des barrages et les coûts induits. Ces forêts jouent aussi un rôle de prévention des avalanches et des éboulis, pas davantage rémunéré. Dès lors, ne serait-il pas souhaitable, à la fois du point de vue de la bonne gestion de son domaine par l’État, au profit de l’intérêt général et des finances publiques, et du point de vue de la valorisation des écosystèmes et de leurs fonction- nalités, que l’État recouvre une rétribution pour certains des services écosystémiques qu’il fournit aujourd’hui gratuitement ?

La rétribution de ces services écosystémiques permettrait aussi d’attribuer une valeur tant de flux (flux de services écosystémiques rendus annuellement) que de stock (valeurs capitalisées) à ces écosystèmes. Leur valorisation en serait accrue, ce qui rendrait plus difficile la destruction ou la dégradation des habitats. Elle permettrait aussi d’accélérer les nécessaires transferts de valeurs évoqués plus haut. En d’autres termes, l’État ne devrait-il pas jouer un rôle novateur et expérimental dans le mouvement en cours des paiements pour services rendus par les écosystèmes ? Il suffirait d’étendre la rémunération pour services rendus à ceux rendus par les écosystèmes. Aujourd’hui, le droit des redevances ne le permettant pas, il reste à trouver le moyen juridique d’accomplir cette extension. Une récente jurisprudence ouvre peut-être des perspectives1

. Dans cette affaire, le Conseil d’État a considéré que les redevances pouvaient excéder le prix de revient de la prestation et tenir compte de sa valeur économique pour son bénéficiaire. D’une part, cette

(1) Conseil d’État, 16 juillet 2007, Syndicat national de défense de l’exercice libéral de la médecine à l’hôpital ; www.conseil-État.fr/cde/fr/selection-de-decisions-du-conseil-d- État/analyse-nos-293229293254-syndicat-national.html.

jurisprudence écorne la règle du plafonnement. D’autre part, si l’on veut bien prolonger le raisonnement initié ci-dessus, elle pourrait, à terme, ouvrir la voie à la prise en compte, par les redevances pour services rendus, de la valeur économique des services écosystémiques rendus.

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