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5  Les espèces exotiques envahissantes : un facteur d’érosion de la biodiversité mal connu mais croissant

Les espèces végétales et animales présentes sur la Terre ont évolué sur plusieurs milliards d’années. Les océans, les mers, les chaînes de montagnes, les déserts, voire les cours d’eau importants, ont, au gré des variations climatiques, des mouvements de l’écorce terrestre, de variations de niveau des océans, ou d’accidents, créé ou supprimé des obstacles physiques au déplacement des espèces. Sur des temps longs, cela a contribué à la différenciation d’espèces, de communautés, à la grande diversité de notre planète et au développement de communautés animales et végétales, aux aires de répartition variées, de l’endémisme le plus étroit à l’ubiquité la plus large.

Du fait de l’influence de l’homme, toutefois, des obstacles physiques qui avaient séparé des populations, voire permis le développement d’une flore et d’une faune distinctes suivant les régions, ont été contournés. Des distances maintenant hors d’influence réciproque des espèces et des écosystèmes ont été abolies. Certaines espèces ont ainsi été, accidentellement ou intentionnellement, apportées dans des zones situées à des centaines, voire des milliers de kilomètres de leur habitat d’origine. Dès la fin du XIXe siècle, le nombre d’introduction s’est mis à augmenter de façon importante.

Il n’existe pas de consensus sur le taux des espèces exotiques envahissantes introduites en France, les chiffres étant très dépendants de la nomenclature des espèces choisies. Il est parfois estimé que 10 % des espèces introduites survivent, et 1 % peuvent devenir envahissantes. La base de données DAISIE (Delivering Alien Invasive Species Inventories for Europe) recense les espèces introduites en Europe à partir d’un réseau d’experts répartis sur le continent. Selon cette base, 1 919 espèces continentales (aquatiques ou terrestres) ont été introduites en France métropolitaine, dont deux tiers sont des végétaux. Parmi ces espèces, 111 sont considérées comme

envahissantes d’après l’Inventaire national du patrimoine naturel, les deux tiers étant des végétaux (CGDD, 2010). Dans le milieu marin, 113 espèces ont été introduites sur les façades Manche, mer du Nord, Atlantique et 83 en Méditerranée. Ce sont surtout des crustacés et des mollusques dans le premier cas et des algues rouges dans le second. Parmi ces espèces introduites, 9 sont considérées comme envahissantes (CGDD, 2010). Le taux d’espèces envahissantes dans les espèces introduites est finalement d’environ 5 % pour les milieux terrestre comme marin.

Les impacts des espèces exotiques sont très divers et leur intensité variable selon les situations. Ils peuvent être décalés dans le temps : par exemple, l’Ocinebrellus inornatus (« bigorneau perceur japonais »), qui a été probablement introduit dans les années 1970, est devenu invasif à la fin des années 1990 et impacte les élevages conchylicoles depuis cette date. Plus, généralement, les espèces « acclimatées » volontairement le siècle dernier sont un réservoir d’invasives potentielles à retardement. Des espèces domestiques introduites, puis échappées (espèces férales) peuvent aussi devenir envahissantes dans les milieux naturels.

Dans bien des cas, ces espèces exotiques s’adaptent mal à leur nouvel environ- nement et disparaissent rapidement. Il peut cependant arriver qu’elles survivent, s’implantent et se reproduisent. Parfois, ces nouvelles venues s’implantent si bien qu’elles cessent d’être une curiosité biologique pour évoluer dans la région. Ce succès peut s’accompagner de l’extinction d’espèces locales (concurrence, prédation, maladies, modification d’habitat, etc.).

De façon générale, les espèces exotiques influent sur la biodiversité :

• en entrant en concurrence avec les organismes indigènes pour la nourriture et l’habitat : c’est le cas, par exemple, de la tortue de Floride (Trachemys scripta) qui menace par compétition la cistude (Emys orbicularis) dans le sud de la France, ou de l’écrevisse signal américaine (Pacifastacus leniusculus) qui prend la place de l’écrevisse européenne (Astacus spp.), par concurrence directe, mais aussi en étant porteuse saine de la peste de l’écrevisse, ou encore de la coccinelle asiatique (Harmonia axydiris) importée en Europe pour lutter contre les pucerons qui a réussi à s’établir dans la nature et qui menace par compétition et prédation d’autres espèces de coccinelles. Parmi les plantes envahissantes, la griffe de sorcière (Carpobrotus edulis) constitue, notamment dans le sud de la France et sur la côte ouest, des peuplements très denses qui concurrencent la flore indigène. En outre, les espèces invasives contribuent à une diminution potentielle de la biodiversité spécifique, par une banalisation et/ou homogénéisation de la biodiversité, avec perte de résilience ;

• en modifiant les structures des écosystèmes : des plantes invasives peuvent être à l’origine d’un changement significatif de la composition, de la structure et du fonctionnement des écosystèmes en modifiant la luminosité, le taux d’oxygène dans l’eau, la chimie des sols, le cycle des éléments nutritifs, le régime des feux, les interactions plantes animaux, etc. Une seule espèce peut altérer le fonction- nement d’un écosystème. Des plantes aquatiques exotiques envahissantes des milieux d’eau douce comme la jacinthe d’eau (Eichhornia crassipes) en zone tropicale ou les jussies (Ludwigia peploides et L. grandiflora)) en métropole limitent la pénétration de la lumière dans l’eau, diminuent le taux d’oxygène dissous et peuvent conduire à une eutrophisation du milieu et à un bouleversement global des écosystèmes aquatiques ;

• en s’hybridant avec des espèces indigènes : l’érismature rousse (Oxyura

jamaicensis) et le cerf sika (Cervus nippon), par exemple, sont capables s’ils s’accouplent avec les espèces indigènes et donnent naissance à des hybrides de menacer ces espèces indigènes d’extinction locale ;

• par létalité directe : par exemple, le nématode du pin, Bursaphelenchus xylophilus, est un petit ver, d’origine nord-américaine, qui s’attaque aux conifères, principalement aux pins. Il infeste les canaux résinifères des arbres et s’y multiplie, bloquant ainsi la circulation de la sève. Cela engendre un rapide dépérissement, conclu par la mort de l’arbre infesté en 60 jours en moyenne ;

• par interférence avec des mécanismes de reproduction : par exemple, en perturbant la pollinisation du fait de la concurrence avec les espèces d’abeilles locales.

Ces espèces exotiques (c’est-à-dire allochtones ou non indigènes) dont l’introduction par l’homme (volontaire ou fortuite), l’implantation et la propagation menacent les écosystèmes, les habitats ou les espèces indigènes, avec des conséquences écologiques et/ou économiques et/ou sanitaires négatives, sont qualifiées d’« espèces exotiques envahissantes » ou EEE, parfois encore appelées « espèces invasives ». Ces expressions sont synonymes et les espèces visées se caractérisent par les critères suivants :

• allochtones ; • introduites ;

• naturalisées (expansionnistes) ;

• perturbantes pour la biodiversité sauvage (au sens négatif).

Dans le présent rapport, ces espèces seront appelées « espèces exotiques envahissantes » ou EEE, à l’instar du vocabulaire européen, très généralement accepté.

6  Les changements climatiques : des effets directs

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