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Il n’est pas envisageable d’établir une date de naissance de la pratique du squat en tant qu’occupation d’un bâtiment ou d’un logement vide. L’objectif n’est pas non plus d’aborder dans ces quelques pages la question du squat dans une perspective historique. Restons plutôt sur une approche du phénomène en tant que surgissement politique. A partir de là, c’est bien le squat en tant qu’occupation « sans droit ni titre », comme se plaisent à répéter les squatteurs eux-mêmes, c'est-à-dire en tant que pratique qui se développe en rapport avec une affirmation politique qu’il s’agit de questionner.

C’est à la fin du 19ème siècle, quelques années après la Commune, qu’apparurent les premières

formes de squats politiques135. Les conditions de vie des ouvriers, associées au cadre juridique

ne leur permettant pas d’exister face aux propriétaires, ont permis l’émergence de mouvements organisés, impulsés par des anarchistes qui suivaient ainsi les conseils de

132 D’ailleurs, le ministre de l’instruction publique déclarait que la Commune était « une raison de réimposer la

censure sur les cafés-concerts dans un effort pour empêcher de telles choses de se reproduire. » Cité in ibid., p

197.

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A condition de ne pas considérer la fête à travers le prisme de ce que l’on appelle aujourd’hui le « festif », où l’on parle de « musique festive », d’une consommation « festive » de drogues. Le « festif » est à la fête ce que l’« évènementiel » est à l’« évènement » : un glissement vers un langage technique, un artefact conceptuel qui entretient la confusion de la définition et conduit par exemple Jean Duvignaud à considérer la fête comme « un

mot bafoué, comme tant d’autres, par cette sorte de pourrissement qui, par un usage de convention et de facilité, arrache à un mot sa vigueur corrosive et créative. » Jean Duvignaud, La ruse de vivre, 2006, p 71.

134 Ibid., p 201.

135 En l’occurrence en 1877. Cf. Philippe Gavi et Jean-Pierre Moreau, « Squat » in Emmanuel de Waresquiel (sous la dir. de), Le siècle rebelle, 2004, p 859.

Kropotkine136, qui mettaient en pratique des formes d’actions directes remettant en cause le principe de propriété privée et permettant aux familles de ne pas payer leur loyer. « Les organisations anarchistes telles que la Ligue de la grève des loyers ou la Ligue des antipropriétaires inventent ou diffusent alors un ensemble de pratiques pour lutter contre les « proprios ». Elles aident des familles pauvres à déménager clandestinement, à la hâte et

sans payer, c'est-à-dire « à la cloche de bois ». »137, explique Florence Bouillon. Cette

expression, « à la cloche », ne s’est pas retrouvée au fin fond des tiroirs de la mémoire. Elle voyage encore au sein de l’imaginaire des squatteurs parisiens. Preuve en est avec le nom du festival « Art et cloche », devenu le « Festival des Ouvertures Utiles », rassemblant divers squats de l’agglomération parisienne. Les références actuelles laissent à penser que ces pratiques étaient suffisamment prégnantes à l’époque et que leur rayonnement public fut suffisamment important pour que l’on s’en souvienne encore. Concrètement, elles vont se développer et occuper le devant de la scène jusqu’à la première guerre mondiale, dont on connaît l’effet sur le mouvement ouvrier.

C’est surtout à partir de 1910 et sous l’impulsion de Georges Cochon et de l’« Union

syndicale des locataires ouvriers et employés »138 que les pratiques antipropriétaires vont

avoir une existence que l’on qualifierait aujourd’hui de médiatique. C'est-à-dire que, loin des logiques clandestines, Georges Cochon va faire en sorte que les actions développées, à la fois directes et symboliques, soient les plus visibles possibles. Voici l’état des lieux des actions de cette organisation proposé par Florence Bouillon :

« En 1910 est créée l'Union Syndicale des Locataires, d'inspiration libertaire, qui appelle les locataires parisiens à déménager sans payer son loyer. Georges Cochon, son célèbre secrétaire général, prône l'action directe et intervient auprès des familles menacées d'expulsion pour leur donner des conseils juridiques. Le syndicat milite également pour le paiement du loyer à terme échu (et non en avance comme c'est souvent le cas), l'implication des propriétaires dans la lutte contre l'insalubrité, la suppression de la prime

136 « Il y a d’abord, dans toutes les villes importantes, un si grand nombre de maisons inoccupées, qu’ils

suffiraient presque à loger la plupart des habitants des taudis. Le peuple procèdera à l’expropriation des maisons, sans prêter attention aux théories, qu’on ne manquera pas de lui lancer dans les jambes, sur les dédommagements à payer aux propriétaires. » Cité in Ibid., p 859.

137 Cette pratique consistait pour les activistes-déménageurs à faire part de leur présence aux familles, par l’intermédiaire d’une cloche en bois (moins bruyante qu’une cloche en fer). On parlait aussi de déménagements « à la ficelle » en raison de la nécessaire célérité dans l’action, il s’agissait donc de faire passer les meubles par la fenêtre avec une corde. Cf. Florence Bouillon, Les mondes du squat, p 204. Voir aussi Philippe Gavi et Jean-Pierre Moreau, op. cit.

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d'emménagement et des étrennes versés au concierge, l'insaisissabilité des meubles des locataires […] L' « occupation » fait également partie des moyens d'action des ligues antipropriétaires. Il peut s'agir d'habiter un appartement que des locataires quittent avant la fin du terme alors que le loyer, payé par avance, court encore. Quelques éminents bourgeois autoriseront ainsi des familles démunies à vivre dans leurs somptueuses demeures pendant les mois de location restants. Cochon organise également des occupations de bâtiments publics prestigieux : le jardin des Tuileries, la caserne du Château d'eau, le ministère de l'Intérieur…, dans lesquels il installe des sans-logis. Enfin, le syndicat occupe des logements

vides, qui ne s'appellent pas encore des squats, mais qui en ont toutes les caractéristiques »139

Ce choix de la médiatisation, ou plutôt de la visibilité, se retrouve aujourd’hui et fait référence à deux objectifs. D’un côté, il s’agit de porter le débat sur l’espace public en tant qu’espace du politique et, à partir de là, d’éventuellement influer sur les décisions concernant, en l’occurrence, le logement. Par ailleurs, par rapport à la pratique du squat, la visibilité s’apparente aussi à une forme de « protection » face à la répression et par là même, éloigne potentiellement les suites judiciaires d’une action illégale, en positionnant justement le débat du côté politique et non du « droit commun ». Ce type d’actions directes médiatisées, développé à l’époque par les antipropriétaires, peut se rapprocher des pratiques du DAL (Droit Au Logement) ainsi que des collectifs Jeudi Noir ou Macaq (Mouvement d’Animation Culturelle et Artistique de Quartier). Ces derniers étant par exemple les principaux acteurs du Ministère de la Crise du Logement, lieu qui, lors de son ouverture rue de la Banque à Paris, en face de la Bourse, avait mis en exergue le rôle des média par rapport aux deux dimensions précitées140.

Pour revenir aux antipropriétaires, ce qu’ils ont mis en avant à travers leurs occupations, c’est avant tout la question du logement en tant que question politique. Cette logique va réapparaître après la deuxième guerre mondiale, mais plus dans une démarche d’action sociale que d’action politique à proprement parler. Dans une perspective en certains points similaire de celle de l’abbé Pierre ou de la « CNF » (Confédération Nationale des Familles), les « CES » (Comités d’Entente Squatteurs) créés en 1946 à Marseille par des militants chrétiens

139

Florence Bouillon, op. cit., p 204-205.

140 Même si le Ministère de la Crise du Logement, qui habite activités et habitations, ne fait pas partie du corpus, on peut tracer quelques lignes qui rejoignent des expériences observées. Effectivement, La petite Rockette ainsi que l’Atoll 13 sont des lieux portés par des personnes issues du collectif « MACAQ ». Par ailleurs, Laurent de l’Atoll 13 était l’un des initiateurs de du « Ministère ».

entendent par exemple « suppléer par l’action, c’est-à-dire par le squat, à la crise de

l’habitat et aux insuffisances des mesures politiques prises pour y remédier »141 C’est

notamment la non-application de l’ordonnance de 1945, concernant les réquisitions, qui est ainsi mise en cause. Aujourd’hui d’ailleurs, la référence à cette ordonnance revient au cœur des discours des squatteurs, qu’il s’agisse des activistes parisiens précédemment cités ou des occupant-e-s des éphémères squats grenoblois récemment ouverts.

Il est vrai que, comme a pu l’observer Florence Bouillon à Marseille142, les liens sont

aujourd’hui plus étroits entre les différents « types » de squats qui apparaissent ainsi à la fois comme des squats politiques, d’activités culturelles et de pauvreté ; liens qui sont mis en exergue à travers le collectif « Défends-toit », créé notamment à l’initiative de squatteuses ayant œuvré aux 400 Couverts et qui aujourd’hui, soutient tour à tour des squatteurs stricto sensu et des familles menacées d’expulsion… Mais tout ceci nous éloigne au fur et à mesure des questions qui nous intéressent dans le présent travail, surtout que, si les pratiques de squat ont ruisselé tout au long du vingtième siècle, les pratiques artistiques et culturelles aussi.

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Florence Bouillon, op. cit., p 209. A propos d’un point de vue historique concernant le squat en tant qu’outil au service d’une action en faveur du logement – et parfois dans une perspective révolutionnaire –, je renvoie de manière générale aux quelques pages que Florence Bouillon a consacré à cette question, p 202-212.

142 Ce qui est visible dans sa première partie, intitulée « Une ethnographie des squats marseillais ». Ibid., p 33-127.

Encadré 3 : extrait de Lettre ouverte à Michel Destot, maire de Grenoble, 8 novembre 2008

« Loyers exorbitants, listes d’attente très longues pour les logements sociaux, hébergements d’urgence saturés… Une situation que vous connaissez certainement.

C’est dans ce contexte que de nombreux bâtiments laissés à l’abandon sont occupés. Le droit au logement encadre strictement la reconnaissance du domicile des occupant-e-s et en précise l’inviolabilité, après 48 heures d’occupation. Dès lors, les personnes doivent faire l’objet d’une procédure civile, devant le juge du Tribunal d’Instance, qui détermine les conditions d’expulsion ou de maintien dans les lieux et délimite ainsi les droits des propriétaires et des occupants-e-s. Ces principes étaient jusqu’à ces derniers mois, et depuis des décennies, relativement respectés. Il en est aujourd’hui autrement, notamment à l’initiative de votre municipalité.

Agir hors de ce cadre en prétextant des délits imaginaires pour expulser de manière expéditive, va à l’encontre des droits fondamentaux des personnes, au seul profit des propriétaires. En outre, ces personnes aujourd’hui criminalisées, réagissent activement et appliquent finalement l’ordonnance du 11 octobre 1945 concernant la réquisition. »

Signataires : Agir ensemble contre le Chômage, Mouvement des Chômeurs et Précaires de l’Isère, Comité isérois de soutien aux sans-papiers, Centre d’Information Inter-Peuples, Cap Berriat, Femmes Evasions, PREFACE (Précarité Femmes Accueil), collectif Défends-Toit, les occupants du Caddie-Yack