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Education populaire et décentralisation

Encadré 5 extrait du Manifeste de Peuple et Culture, 1945

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Encadré 6 : extrait du Manifeste de Peuple et Culture, 1945

« CLUBS DE LOISIRS POPULAIRES pour attirer dans un climat sain et éducatif le grand nombre dont le principal « foyer » est le café club d’usine, de quartier, clubs de l’armée nouvelle, ciné-clubs, maisons de jeunes ou maisons du peuple. Peu importe leur nom, qui varie selon l’âge, le milieu et la technique qui le caractérise. Telle éducation se fait surtout par une ambiance saine, des fêtes collectives (civiques ou artistiques), des séances de cinéma, des affiches, des expositions, etc. Pour les masses de la jeunesse, il faut couvrir le pays d’un réseau très dense d’auberges de jeunesse et organiser sur une vaste échelle le tourisme populaire.

[…]

FOYERS DE CULTURE POPULAIRE où des

échanges s’établiraient entre l’artiste et son public, l’intellectuel et les masses ; maisons de culture appuyées, dans la campagne sur l’école, dans les villes sur un théâtre rénové ou sur des établissements d’enseignement, bibliothèques populaires transformées en foyers culturels et bibliothèques circulantes ; coopératives et écoles de spectateurs où les usagers des salles de spectacle se groupent pour soutenir l’artiste et être formés par lui. »

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Encadré 5 : extrait du Manifeste de Peuple et Culture, 1945

« La culture au peuple et le peuple à la culture, voilà notre but. On parle souvent de la culture populaire comme d’un enseignement mineur donné à un milieu privé de savoir. Par culture populaire, on entend diffusion de la culture dans la classe ouvrière. […] Nous ne voulons pas d’une culture aristocratique ou bourgeoise étendue à un nouveau public. La culture populaire ne saurait être qu’une CULTURE COMMUNE A TOUT UN PEUPLE : commune aux intellectuels, aux cadres, aux masses. Elle n’est pas à distribuer. Il faut la vivre ensemble pour la créer. Elle ne saurait être plaquée sur la vie du peuple. Elle doit en émaner. Les porteurs de la culture vraie ne sont pas seulement ceux qui en font profession. »

Les auberges de jeunesse ont rapidement été évoquées précédemment. Il serait possible d’approfondir la question mais intéressons-nous plutôt à des expériences qui, a priori, pourraient se rapprocher de celles des lieux culturels intermédiaires, à savoir les MJC (Maisons des Jeunes et de la Culture).

Avant d’aller plus loin et de voir en quoi les MJC sont, en partie, comparables avec les lieux observés, il est nécessaire de relativiser en amont. En effet, le développement des MJC correspond particulièrement bien au double mouvement évoqué quelques lignes plus haut, concernant, d’un côté, une volonté de militants et, de l’autre, un choix de l’Etat, un choix et même une « option ». Laurent Besse nous apprend d’ailleurs que c’est par ce dernier terme « qu’en 1963, le haut-commissariat à la Jeunesse et aux Sports définissait son attitude à

l’égard des MJC et de leur fédération »158. A ce titre, deux éléments peuvent être extraits de

ce constat. D’un côté, à la manière de la plupart des organisations d’éducation populaire, les MJC sont organisées en fédération. Ainsi, même si chaque structure s’inscrivait, et s’inscrit encore, localement, les principes politiques et les grandes lignes d’action ont toujours été définis au niveau fédéral, donc national. Ce qui fait une différence notable avec les lieux observés, qui, nous le savons, peuvent participer à des réseaux mais restent indépendants d’un point de vue structurel et politique. D’un autre côté, cette « option » étatique correspond à une

logique d’équipement apparue au travers des différents Plans159. Cette logique ne correspond

pas non plus à la réalité des lieux, ne serait-ce que par rapport au principe de planification, mais il s’agit là d’une question politique qui réapparaîtra plus loin.

Ceci dit, il n’en demeure pas moins que si l’on s’intéresse aux activités et à la vie développées au sein des MJC, à travers une perspective micro, on peut se rendre compte que certaines lignes qui traversent les lieux culturels intermédiaires traversaient déjà ces « Maisons » ouvertes aux jeunes et à la culture qu’étaient les MJC.

D’ailleurs, si l’on en croit Laurent Besse, cette tension entre instituant et institué, entre inscription et subversion qui traverse les lieux observés, agitait déjà les MJC, notamment dans les années 70 où ces « Maisons autres pour une autre culture » essayaient de trouver leur

158 Laurent Besse, Les MJC de l’été des blousons noirs à l’été des Minguettes, 2008, p 47.

159 Voici, résumée par Laurent Besse, l’apparition de la logique d’équipement : « Apparu au cours du IIIe Plan,

le concept d’équipement ne prit forme que lors de la préparation du plan suivant intitulé de manière nouvelle et significative « Plan de développement économique et social » (pour 1962-1965). Pendant les années de préparation, une commission de l’équipement urbain s’était penchée sur les équipements destinés à compléter l’habitat. Elle réfléchit en particulier à la manière dont les équipements devaient structurer la ville, surtout les grands ensembles qui s’édifient alors. ». Ibid., p 174.

place entre « activités et activisme »160. Ainsi, les MJC ont pu apparaître comme des lieux de vie construits autour de moments spécifiques et symboliques. Typiquement, les veillées et les cabarets, pour ne pas dire les veillées-cabarets, cristallisaient le désir qui pouvait émerger du lieu MJC, un désir collectif de culture qui pouvait s’associer parfois à un certain état d’esprit

subversif161. De plus, la logique à l’œuvre dans les MJC correspondait déjà à cette démarche

pragmatiste évoquée dans la partie précédente162.

Même si certains des acteurs respectent cette histoire qui est celle de l’éducation populaire et

de la décentralisation, voire s’en revendiquent directement163 – ce qui n’est pas forcément le

cas de tous, notamment ceux qui développent plus une approche libertaire – ils n’en sont pas pour le moins critiques, et parfois virulents. Ils s’opposent, aujourd’hui, principalement à la logique d’équipement des structures d’éducation populaire. C’est un élément qu’il s’agira d’aborder directement plus loin, parce qu’au final, ce sont avant tout les politiques culturelles actuelles qui sont dénoncées par ce biais.

Ce qui a peut-être été aussi aperçu, c’est que la décentralisation ainsi que l’éducation populaire ont souvent été liées à une discipline particulière, à savoir le théâtre. L’exemple grenoblois peut d’ailleurs être mis rapidement en avant. C’est bien la décentralisation théâtrale qui a inauguré la décentralisation culturelle, notamment sous l’impulsion de Jeanne

Laurent dès 1946164. Cette décentralisation théâtrale a notamment débuté à travers

l’installation, avec le soutien de Jeanne Laurent, de Jean Dasté qui y crée la Compagnie des comédiens de Grenoble. Plus tard, cette ville continuera de bénéficier de la décentralisation

160 Ibid., p 289. Plus globalement, voir le chapitre intitulé « Intégration et/ou subversion », p 277-290.

161 Voir le chapitre « De la jeunesse à la culture ». Ibid., p 195-212. Par ailleurs, c’est ce désir qui a permis a certaines MJC d’accueillir de jeunes compagnies et équipes artistiques qui pouvaient mettre en avant des logiques de création collective et d’expérimentation, c’est ce dont témoigne par exemple Ariane Mnouchkine par rapport au Théâtre du Soleil. Cf., Ariane Mnouchkine, L’art au présent. Entretiens avec Fabienne Pascaud, 2005, p 21-35.

162 Laurent Besse considère qu’il s’agit là de l’« un des aspects fondamentaux des Maisons », à savoir « la

propension à multiplier les activités qui relevaient plus du « faire » que du « dire ». » Ibid., p 204.

163 Notamment en ce qui concerne l’Adaep, qui en est directement issue, étant donné que les fondateurs de ce lieu participaient à la MJC Abbaye, à Grenoble, d’où ils sont partis, de manière conflictuelle, avant de fonder leur propre structure. De même l’association Emmetrop, fondatrice de la friche l’Antre-Peaux, à Bourges, fait partie de la Ligue de l’Enseignement, ainsi que l’association MACAQ, à Paris, dont sont issus les acteurs à l’origine de l’Atoll 13 et de la Petite Rockette.

164 Pour Pierre Moulinier, cette « première décentralisation artistique vouée au théâtre ne tarde pas à déteindre

sur les autres disciplines sous l’impulsion de deux facteurs qui commanderont longtemps la politique culturelle de l’Etat : la planification et l’aménagement du territoire. ». Pierre Moulinier, « Décentralisation culturelle » in

Emmanuel de Waresquiel (sous la dir. de), Dictionnaire des politiques culturelles, 2001, p 196. Par ailleurs, Philippe Urfalino considère que le développement des Maisons de la culture s’inscrit en « continuité […] par

renforcement et extension, [de] la décentralisation dramatique entreprise sous la houlette de Jeanne Laurent ».

théâtrale, à travers, par exemple, la création en 1960 de la Comédie des Alpes qui deviendra Centre Dramatique National en 1972, quatre ans après la création de la Maison de la culture ; deux équipements qui seront d’ailleurs, plus tard, successivement dirigés par Georges Lavaudant. On peut envisager que l’imaginaire d’une ville de province comme Grenoble a pu laisser une place à un certain « état d’esprit culturel » – surtout si on le lie à la présence des mouvements d’éducation populaire –, état d’esprit qui a pu avoir comme effet induit une plus

grande ouverture des pouvoirs publics locaux à la question des lieux culturels165 ; le constat

du nombre de théâtres municipaux à Grenoble peut aller dans ce sens166. Ainsi, par extension,

et même si ce constat sera à relativiser, la particularité grenobloise concernant le nombre de lieux culturels intermédiaires peut, en partie, s’expliquer par ces éléments.

L’influence du théâtre n’est pas seulement liée au processus de décentralisation. Le théâtre n’est pas qu’une question de politique culturelle. En effet, il y a encore d’autres rivières à remonter et le théâtre, en tant que discipline, apparaît comme l’une d’elles. Plus que de théâtre dans un sens large, il s’agira d’évoquer plutôt certaines expériences théâtrales.