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Tableau 11 : fiche synthétique de Mains d’œuvres

Date d’ouverture 1998

Structure Association Mains d’œuvres

Statut du bâtiment Privé (location)

Propriétaire Ville de Saint Ouen

Subventions 380 000 euros (Etat : culture, jeunesse, éducation

nationale…, Région Ile-de-France, Département de la Seine-Saint-Denis, Ville de Saint Ouen), emplois aidés

Budget global 580 000 euros

Nombre de personnes Une vingtaine de salarié-e-s, peu de bénévoles

Structures impliquées/hébergées Une trentaine d’associations, compagnies, collectifs d’artistes ou artistes individuels sont hébergés dans le cadre de résidences longues (plusieurs années)

Disciplines représentées Art contemporain, cinéma, danse, multimédia, musique, activités politique et sociale

86 Pour une approche complémentaire concernant le Bocal agité, cf. Gérard Lépinois (propos recueillies par Virginie Lachaise), « Les agités des Bocals », Cassandre, n°46, mars-avril 2002, p 46.

Le choix d’intégrer Mains d’œuvres au corpus a fait suite à une longue discussion à caractère introspectif, certains jugements de valeur m’enjoignant à retirer ce lieu de ma liste. Vue de Grenoble, cette expérience inscrite dans la proche banlieue parisienne (Saint Ouen) paraissait trop intégrée dans le paysage culturel – voire institutionnel – francilien et trop éloignée de la vague définition que j’associais à ce que j’appelais encore « lieux alternatifs ». C'est-à-dire que j’y voyais une « grosse machine ». Pourtant, Mains d’œuvres répondait aux critères délimitant mon corpus, à savoir un lieu urbain pluridisciplinaire issu d’une initiative émergeant de la société civile, en l’occurrence des acteurs culturels. De plus, les discours que j’avais pu découvrir, tant sur le site web du lieu que dans des extraits d’interventions, issus de colloques et rencontres diverses, de la coordinatrice Fazette Bordage indiquaient tout de même une certaine vision politique de la culture et du territoire. Ainsi, partant du principe que je devais aller voir d’autres lieux dans la région parisienne, choix fut fait d’aller observer Mains d’œuvres, tout en laissant ouverte la possibilité de considérer ce lieu comme une « expérience limite », voire de changer d’avis et de le soustraire au corpus. Au final, j’y suis allé plusieurs fois.

En sortant de la station de métro Garibaldi, il faut traverser un petit parc puis marcher un peu avant de découvrir, au bout de la rue Charles Garnier, l’ancien centre social et sportif de l’entreprise Valeo – équipements automobiles –, devenu depuis Mains d’œuvres. Situé à proximité des fameuses « puces de Saint Ouen », ce bâtiment à l’angle arrondi ne passe pas inaperçu, sans doute est-ce dû à sa façade associant verre et brique rouge, ou alors à son caractère imposant. C’est qu’il faut de la place pour accueillir 4000 m² en surface. En l’occurrence, le lieu se divise en quatre niveaux, dont un en sous-sol.

Quand on passe la porte d’entrée, on se rend compte que le couloir dans lequel on se trouve ne peut pas être considéré comme un espace d’accueil, il nous invite au contraire à circuler, soit vers la droite, soit vers la gauche. Ce dernier côté paraît plus accueillant, parce que plus vivant. En effet, quelques pas suffisent pour pénétrer dans la cantine, qui a remplacé celle dans laquelle les ouvriers venaient partager le repas, autrefois. Aujourd’hui, ceux qui viennent goûter aux plats du jour sont plutôt les employés travaillant dans le quartier, l’équipe de Mains d’œuvres ou les artistes hébergés. Particularité parisienne, il n’est pas rare de croiser des « personnalités » des mondes de l’art et de la culture, comme les membres du groupe Herman Düne, ou la chanteuse – et actrice, et célèbre mannequin des années 60 – Dani, qui a notamment eu l’occasion de fredonner des textes écrits par Serge Gainsbourg. Le midi, la salle est éclairée par la lumière naturelle que les grandes vitres laissent passer, ce constat est

tout autant valable pour les bureaux paysagers situés dans les étages. Des tables, chaises, fauteuils et canapés récupérés sont disposés ça et là, laissant suffisamment de passage pour ceux désirant commander un verre au bar ou se diriger dans un autre espace. En l’occurrence, au fond une porte ouvre sur un couloir desservant les sanitaires mais aussi les cuisines. A côté du bar, une autre porte permet d’accéder à la salle de concert d’une contenance de trois cents personnes, les loges pour les artistes y sont attenantes. En face de l’accès à cet espace, de l’autre côté de la cantine, des escaliers permettent de monter aux étages.

Au premier, différents espaces aux fonctions particulières se suivent. Tout d’abord, sur la droite de l’escalier, après avoir franchi les portes coupe-feux, se trouve une salle de réunion disponible aux résidents mais aussi aux structures extérieures. En face, un atelier collectif. Ensuite un long couloir permet d’accéder à quatre grands bureaux et ateliers partagés par les artistes hébergés. A leur suite, une pépinière associative accueille des structures œuvrant tant dans les domaines de la culture, de l’interculturel que de l’éducation populaire ou du social. Au fond du couloir s’impose le gymnase – qui accueillait autrefois les activités sportives des ouvriers – utile aux répétitions de danse et théâtre ainsi qu’à la construction de décors.

Au second, sur la droite, un grand open-space abrite l’équipe de Mains d’œuvres, équipe qui se réunit aussi dans le local de réunion, situé sur la gauche. Un petit hall permet de desservir ces deux espaces, ainsi qu’un troisième. A cet étage, se trouve la salle Star Trek, qui s’avère être la principale « curiosité » de Mains d’œuvres. Espace dédié à la projection et aux conférences – bien qu’elle puisse être détournée de ses fonctions initiales, comme j’ai pu le constater lorsque qu’elle a été investie par une danseuse œuvrant tant sur la scène que sur les fauteuils ou dans la cabine de projection –, la salle Star Trek contient cent places, en l’occurrence cent sièges indépendants les uns des autres et pivotant sur 360 degrés, ce qui ne manque pas de rappeler le nouveau spectateur à son enfance. La référence à la célèbre série de science-fiction peut être associée à ces fauteuils, mais aussi au plafond bas, qui confine l’espace, et surtout à la couleur orange, qui est celle des murs et des sièges, qui n’est pas sans évoquer une certaine esthétique des années 70.

Qu’aurions-nous découvert si nous n’avions pas choisi d’aller vers la gauche et le restaurant ? Qu’y a-t-il à droite ? Il y a un autre choix. Il est possible de rester au même niveau et de se diriger vers la salle d’exposition que l’on devine du couloir. On peut aussi emprunter les escaliers qui conduisent au sous-sol. Ce dernier est consacré aux activités musicales. En effet, en dehors du local technique et d’espaces dédiés au stockage, les salles sont réservées au travail de création de groupes de musiques actuelles. Une vingtaine de locaux de répétition

équipés sont accessibles aux musiciens professionnels et amateurs, certains en résidence et les autres louant les espaces, à l’heure, au mois ou à l’année. Il y a aussi un studio d’enregistrement professionnel – j’ai par exemple appris avec un étonnement certain que c’est dans ce studio qu’a été enregistré le premier album de Clara Morgane, ancienne actrice de cinéma pornographique, mais elle n’est bien sûr pas la seule à l’avoir utilisé.

Revenons au rez-de-chaussée et à la salle d’exposition. Celle-ci est réservée aux travaux d’artistes d’art contemporain. Ses murs blancs et son format rectangulaire lui confèrent un caractère assez classique pour un espace remplissant cette fonction. Elle peut tout de même contenir trois cents personnes debout. Au fond de cette salle, une porte permet d’accéder à la dernière partie du bâtiment qui se divise en deux blocs. Dans le premier se trouve un bureau, un vestiaire et le studio de danse qui peut accueillir 45 personnes. Ensuite, le deuxième bloc est formé de huit ateliers pour les artistes en résidence.

Mains d’œuvres n’aurait jamais existé si, dans les années 90, l’ancien centre social et sportif de Valeo avait été attribué à la structure à laquelle il était destiné, à savoir le club de football du Red Star 93, qui devait en faire son siège social. Parfois, les petites histoires locales entrent en interaction avec des décisions qui se trament au niveau international. En effet, le choix de la FIFA (Fédération Internationale de Football Association) de confier l’organisation de la coupe du monde 1998 à la France a conduit à la volonté des instances sportives nationales de construire un nouveau stade, un grand stade, le stade de France. Je ne sais pas pourquoi la ville de Saint Denis a finalement été choisie, mais ce choix a eu pour conséquence la décision des dirigeants du Red Star 93 de s’installer dans la cité dionysienne plutôt qu’à Saint Ouen. A partir de là, la société d’économie mixte (Sidec) gérant le bâtiment s’est retrouvée dans une situation difficile. Pourquoi la Sidec et la Mairie ont décidé de lancer un appel à projets, plutôt que de vendre le bâtiment à un promoteur immobilier ? Peut-être est-ce en raison de la couleur politique majoritaire – à savoir le rouge – ou peut-être n’y avait-il pas d’offre intéressante.

Ainsi, en 1998, suite à la rencontre entre Fazette Bordage, qui avait été à l’initiative du Confort Moderne à Poitiers, et de Christophe Pasquet, directeur d’Usines Ephémères, association spécialisée dans la reconversion de friches industrielles en lieux culturels, l’association Mains d’œuvres est née dans l’objectif de répondre à cet appel. Après la signature d’un bail locatif, l’équipe rassemblée autour de Fazette et Christophe – s’associant dans un système de co-coordination – a réalisé les travaux elle-même, en faisant appel aux compétences nécessaires et en utilisant du matériel de récupération, sans aucune aide du

propriétaire, à savoir, non plus la Sidec, mais directement la Mairie. Dans cette situation, choix fut fait au sein de Mains d’œuvres de ne pas payer le loyer, l’investissement réalisé dans le cadre des travaux légitimant cette décision. Ainsi, c’est dans une relation relativement tendue avec la municipalité – par avocats interposés – que le lieu Mains d’œuvres ouvrit ses portes en 2001. La situation put se régler par le biais d’un accord à l’amiable, la valorisation du bâtiment associée aux travaux entraînant l’annulation de la dette correspondant aux loyers non payés. Depuis, Mains d’œuvre règle son loyer en temps et en heure et la Mairie verse une subvention d’un montant un peu moindre que le coût de la location. D’autres financeurs soutiennent l’expérience, notamment la Ville de Paris, les Conseils général et régional ainsi que l’Etat, à travers ses services déconcentrés de la culture et de la jeunesse. Toutefois, les subventions publiques ne couvrant que la moitié des frais, Mains d’œuvres a toujours développé ses sources d’autofinancement (billetterie, bar, restauration, location d’espaces) et cherche sans cesse de nouveaux partenariats, notamment privés (mécénat).

Le relatif équilibre budgétaire permet de financer la vingtaine de postes salariés (coordination, administration, communication, gestion des activités artistiques et culturelles, régie, restauration, entretien, gardiennage) assurant le fonctionnement et la dynamique du projet global. Mais cette dynamique ne pourrait se déployer sans les acteurs participant de la vie du lieu. En effet, le projet de Mains d’œuvres s’articule autour des notions d’accompagnement et de résidence. Permettre aux porteurs d’initiatives de réaliser leurs projets artistiques, culturels et sociaux passe par l’accueil dans le lieu le temps d’un évènement ou sur des durées plus longues, c'est-à-dire plusieurs mois ou années. Par ailleurs, Mains d’œuvres se positionne aussi en tant qu’opérateur culturel (organisation d’évènements) et animateur de la vie locale (partenariats, participation à la vie de quartier, actions de solidarité…).

Aujourd’hui, le projet culturel continue de se développer. Par contre, la coordination a laissé place à une direction unique. A un autre niveau, la question de la sécurité a pris une place surprenante dans le quotidien du lieu. D’ailleurs, suite à plusieurs cambriolages, des caméras de vidéosurveillance ont été installées.

Masure ka

Tableau 12 : fiche synthétique de la Masure Ka

Date d’ouverture/fermeture 2005/2007

Structure Association la Masure Ka

Statut du bâtiment Squat

Propriétaire Domaine de l’Etat

Subventions Non

Budget global Impossible à chiffrer

Nombre de personnes Sept habitant-e-s

Structures impliquées/hébergées Pas d’hébergement, pas de résidence

Disciplines représentées Musique, théâtre, activités politique et sociale

L’histoire de la Masure ka est une histoire courte. A vrai dire, si ce lieu n’avait pas pris place à Fontaine, ville communiste de l’agglomération grenobloise, je n’aurais peut-être pas eu le temps d’être au courant de son existence, et il n’aurait pas fait partie de ce corpus. Mais j’ai eu le temps d’aller y partager des repas, d’y passer des soirées et même d’y organiser des évènements. J’ai surtout eu le temps de me rendre compte que si Mains d’œuvres pouvait représenter une « expérience limite », il en allait de même de la Masure ka mais dans la situation inverse. Loin de la « grosse machine », ce lieu apparaissait comme une expérience de « petit squat ».

La Masure ka a été ouverte à la rentrée scolaire 2005 par un groupe de jeunes grenoblois-e-s désirant vivre une expérience de vie collective, basée autour du partage de la vie quotidienne. Il y en avait qui avaient déjà squatté, d’autres non. Ces jeunes gens ne plaçaient a priori pas la Masure ka sous la ligne d’une démarche politique, ni même culturelle. Cette dimension est apparue plus tard, presque par hasard. A l’origine, ce dont il était question, c’était simplement l’habitat collectif, certes dans le cadre d’un squat, ce qui n’est pas totalement anodin.

A la mort de son propriétaire, cette petite maison de ville située à Fontaine, commune limitrophe de Grenoble, à quelques centaines de mètres du pont permettant au tramway de relier les deux villes, est revenue aux Domaines de l’Etat. Inoccupée pendant plus de deux ans, cette demeure a donné un toit à l’initiative de ces sept jeunes gens avides de vie collective et de bals folk, qui ont décidé de la baptiser en hommage à une célèbre danse traditionnelle d’origine polonaise, la mazurka. C’est une maison assez anodine, qui ressemble à ses voisines de la rue de la Gaité, idéale pour famille avec enfants ou retraités. Son toit

suffisamment pentu pour la neige est typique des constructions locales, sa façade grisonnante lui permet de rappeler son caractère urbain, mais son jardin, ses arbres solides et le grillage qui l’entoure la protègent de la rue et de la ville. Il faut monter quelques marches pour toquer à la porte, celle-ci ouvre sur un court couloir. La cuisine, assez grande, est tout de suite à droite et, à gauche, se trouve le salon. Plus loin, un petit bureau fait face à une première chambre, les autres se trouvant à l’étage, cachées au regard du visiteur. Les toilettes sont au bout du couloir.

Les personnes qui avaient « repéré les lieux » ont vu une petite maison avec son jardin, idéale pour se loger et développer une vie collective garantissant un rythme propice aux horaires de travail, ou de cours. Ainsi, personne n’avait remarqué ce petit hangar – ou grand garage – accessible à partir du jardin. Ce ne fut qu’une fois le collectif installé qu’un habitant, Vincent, eut la surprise de constater que la propriété était plus grande qu’espérée. Suite à cette découverte, il décida, avec l’accord de ses colocataires, d’aménager cet espace afin qu’il puisse accueillir des évènements et du public. C’est ainsi que naquit le Hangar – appelé aussi le Hangar Funkel – partie publique du squat de la Masure ka. La volonté de ne pas nuire aux (bonnes) relations de voisinage a conditionné les choix au niveau des activités programmées et des horaires d’ouverture, sachant qu’une petite centaine de personnes pouvait s’agglutiner dans le lieu. Il n’y eut, par conséquent, que peu de concerts amplifiés. Les amis, les curieux et même certains voisins ont pu découvrir le Hangar, son bar à l’entrée, sa zone de gratuité, son infokiosque et ses toilettes sèches dans le jardin lors d’évènements divers comme des bals folk, des tournois de coinche, des apéro-concerts acoustiques, des après-midis jeux, des projections ou des débats, le tout à prix libre.

Suite à plusieurs procès, la Masure ka a été expulsée le 19 juin 2007, malgré les tracts et affiches concoctés par le collectif habitant.