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entre agriculture et nature en

3. Les premières mutations : l’origine de l’industrie agricole moderne

Le faible taux d’adoption des nouvelles techniques est donc principalement imputable à une inadéquation entre ces inventions et les structures mêmes du monde agraire belge. Pour voir l’agriculture se tourner massivement vers la modernité et opter pour un modèle agricole plus industriel, il faudra attendre un grand bouleversement qui induira une mutation en profondeur. Il est possible d’identifier en partie ce bouleversement dans la grave crise des années 1880-1890.

À cette époque, l’Europe occidentale doit faire face à de graves problèmes d’approvisionnement d’une population toujours plus nombreuse. Ces problèmes sont accentués par la contemporanéité de l’exode rural diminuant drastiquement la population rurale au profit des villes. Désormais, le fermier ne doit non plus seulement nourrir sa famille et sa communauté, mais bien l’ensemble de la population18. Cette période s’annonce dès lors comme un tournant majeur dans la compréhension de l’activité agraire et de son rôle.

15 En 1855, un test a montré que l’utilisation d’une moissonneuse de type « Mac Cormick » pouvait réduire par cinq le prix de récolte d’un hectare en passant de 10 francs l’hectare avec l’utilisation d’une faux traditionnelle à 2 francs avec l’utilisation de la moissonneuse (LEDOCTE M., Moisonneur…, p. 90).

16 AUGE-LARIBE M., La révolution agricole, Paris, 1955, p. 3.

17 MINISTÈREDE L’AGRICULTURE ET DES TRAVAUX PUBLICS, Statistique…, p. 317. 18 DIDIER C.,Nos campagnes…, p. 214-222 et 225-238.

La solution est trouvée dans l’importation de blés particulièrement peu coûteux issus du Nouveau Monde. En effet, la croissance de rendement réalisée grâce au développement technique ainsi qu’à l’augmentation de la taille des exploitations réduit drastiquement le coût de production du blé. Cet élément, conjugué au développement des transports maritimes à vapeur va permettre aux produits américains meilleur marché d’inonder le marché céréalier européen19.

Cette arrivée massive de céréales étrangères peu coûteuse signe la fin d’une agriculture traditionnelle centrée sur une production céréalière devenue moins compétitive. Dès lors, le fermier doit repenser entièrement son activité. La survie de son exploitation dépendra de sa capacité à se moderniser et à réorienter son activité. Progressivement, il va se tourner vers un modèle d’agriculture plus mécanisé et réorienté vers l’élevage. Désormais, l’animal n’est plus simplement producteur d’engrais naturel ou force motrice ; il devient le centre de la production agricole20.

Ainsi, dès cette époque, le nombre de brevets déposés dans le secteur de la production animale21 s’envole véritablement. Ceux-ci passent d’un taux moyen de 10 % par rapport au secteur céréalier entre 1830 et 1879 à un taux moyen de 54 % entre 1880 et 1913. Par ailleurs, cette modernisation s’effectue également au niveau des engrais. Les brevets d’engrais chimiques azotés ou phosphatés connaissent un véritable « boom » par rapport aux engrais organiques traditionnels tels que le fumier, le lisier, les engrais de villes, etc. Le nombre de brevets pour ces engrais chimiques passe de 18 % de l’ensemble des brevets destinés aux engrais avant 1880 à 55 % entre 1880 et 191322.

19 VANDENBROECK C., La deuxième expansion agricole et de l’industrialisation, le XVIIIème et la première moitié du XIXème siècle, dans VERHULST A., et BUBLOT G., dir., L'agriculture en

Belgique, hier et aujourd'hui, Bruxelles, 1980. p. 46.

20 GADISSEUR J., Les lents progrès de l'agriculture, dans La Wallonie, le pays et les hommes, t. II, Bruxelles, 1973. p. 130.

21 Le secteur de la production animale reprend les catégories de brevets de fabrication des produits laitiers ; l’élevage, aviculture, pisciculture, apiculture, pêche, obtention d'animaux, non prévue ailleurs, nouvelles races d'animaux ; la nourriture pour animaux et enfin les instruments, appareils, outillage ou méthodes de médecine vétérinaire.

22 Entre 1830 et 1879, on dénombre 32 brevets pour des engrais chimiques pour 145 brevets destinés aux engrais organiques traditionnels. Et entre 1880 et 1913, on

Parallèlement à cela, l’adoption progressive du « stock inventif » constitué depuis le milieu du siècle va procéder à la réalisation effective de la modernisation de l’agriculture. En effet, les outils traditionnels seront progressivement délaissés pour laisser leur place aux nouvelles technologies [voir fig. 7]. L’agriculteur se tourne vers les machines les plus économiques et les plus efficaces, mais surtout, suivant les dernières mutations de l’agriculture, vers les inventions destinées à la production animale23.

En somme, l’effervescence scientifique, seule, n’est pas un facteur suffisant pour procéder à la modernisation de cette agriculture. Le déclenchement effectif de cette première révolution technique, résulte de la conjonction de ce vivier inventif avec une remise en question profonde du modèle agricole générée par de graves problèmes économiques.

Par conséquent, la combinaison de l’arrivée de nouvelles technologies avec une conception plus industrielle de l’activité agricole fera entrer progressivement l’agriculture dans un processus menant à une redéfinition du rapport entre le paysan et la nature. Dès lors, la mécanisation de l’agriculture du 19e siècle peut être considérée comme la première étape24 de ce mouvement qui s’accentuera encore dans le deuxième quart du 20e avec une deuxième phase d’industrialisation symbolisée par la motorisation.

dénombre 149 brevets pour des engrais chimiques pour 131 brevets destinés aux engrais organiques traditionnels.

23 Le nombre d’écrémeuses centrifuges adoptées comptabilisées dans les fermes de Belgique passera de 2264 en 1895 à 67402 en 1910, soit une croissance de facteur 3. 24 Dans les premiers temps, les anciennes structures seront conservées, il y aura même une

augmentation des fermes de petite taille non spécialisées dont la surface d’exploitation varie entre 50 ares et 10 hectares.

Annexes

Fig. 1 : Machine à battre, brevet Frennet-Wauthier, 1879 (SPFÉCONOMIE,OFFICE

DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE à Bruxelles, Fonds des brevets).

Fig. 2 : Semoir en ligne, brevet Frennet-Wauthier, 1896 (SPFÉCONOMIE,OFFICE

Fig. 3 : Arracheur de betteraves, brevet Frennet-Wauthier, 1893 (SPFÉCONOMIE, OFFICE DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE à Bruxelles, Fonds des brevets).

Fig. 4 : Moissonneuse-lieuse, brevet Société Nichols Harvester, 1888 (SPF ÉCONOMIE,OFFICE DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE à Bruxelles, Fonds des brevets).

Fig. 5 : Écrémeuse centrifuge, brevet Mélotte, 1888 (SPFÉCONOMIE,OFFICE DE

Fig. 6 : Charrue Brabant-double, brevet Baisieux, 1860 (SPFÉCONOMIE,OFFICE DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE à Bruxelles, Fonds des brevets).

Classement des vingt instruments les plus utilisés dans les fermes belges entre 1895 et 191025 Position Instruments 1895 1910 1 Herse 340639 356563 2 Tarare 203639 193241 3 Charrue simple 209685 182069 4 Barrate 259041 175340 5 Rouleau simple 139033 132043 6 Écrémeuse centrifuge 2264 67402 7 Charrue Brabant-double 37322 53413 10 Machine à battre 10197 18484 13 Semoir à cheval 5528 12166 14 Moissonneuse 1112 6615