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Le cas de Mons (1830-1914)

3. La modernisation de la gestion de l’eau

La gestion de l’eau par les autorités communales de Mons change d’orientation dans les années 1860, à la faveur du démantèlement des fortifications. C’est à ce moment que s’opère une refonte complète du système hydraulique urbain. Une politique rationnelle se met alors en place. En un quart de siècle, de 1860 à 1885, des solutions sont successivement apportées aux divers problèmes qui se posaient à Mons. Ces transformations et leurs prolongements ultérieurs font de Mons en 1914 une des villes belges les mieux équipées au plan hydraulique. Elles s’intègrent dans le mouvement d’expansion des réseaux techniques urbains, qui caractérise l’action publique dans de nombreuses villes européennes dans la seconde moitié du 19e siècle.

Le démantèlement de l’enceinte fortifiée de Mons entre 1861 et 1865 fait donc figure de tournant [voir fig. 3]. L’administration communale va en effet saisir l’occasion offerte par l’ouverture de ce vaste chantier pour élaborer un ambitieux projet de grandes transformations du paysage urbain. Le financement de cette politique sera assuré en grande partie par des emprunts contractés auprès du Crédit communal créé en 1860.

C’est l’amélioration du régime de la rivière qui a d’abord retenu l’attention. Dans la seconde moitié du 19e siècle, l’industrialisation, l’urbanisation et l’essor des moyens de communication ont imposé à de nombreuses villes de redéfinir le rôle des cours d’eau qui les traversaient. L’éloignement du réseau hydraulique a été fréquemment pratiqué par les villes qui possédaient un cours d’eau au débit insuffisant ou excessivement pollué. À Mons, c’est en 1872-1873 que la Trouille est détournée et son lit converti en voies de communication surmontant un égout collecteur.

Parallèlement, Mons s’est dotée d’équipements hydrauliques modernes, en se montrant relativement précoce par rapport aux principales villes belges. À la fin de la période étudiée, son réseau de distribution d’eau, inauguré en 1871, est proportionnellement l’un des plus importants de Belgique en termes de population desservie et de

volume distribué, par rapport au nombre d’habitants. On compte plus de 5000 abonnés en 1910. 70 % des immeubles sont raccordés à ce moment. Le volume d’eau moyen consommé chaque jour par habitant à Mons s’élève à 178 litres. Ce volume place Mons dans le groupe de tête des communes les mieux pourvues.

Ce succès s’explique par la superficie limitée de la partie agglomérée de la ville, le niveau relativement peu élevé des redevances, en particulier pour les habitations ouvrières, et le maintien constant du système des abonnements à débit libre, qui permettait à certaines catégories d’abonnés de disposer d’un volume d’eau illimité moyennant le paiement d’une redevance proportionnelle au revenu cadastral de l’immeuble. L’excellente qualité de l’eau distribuée, révélée par les premières analyses bactériologiques, est également pour beaucoup dans ce succès.

Enfin, Mons figure en 1914 parmi les villes les plus avancées dans le domaine de l’évacuation des eaux usées. Son réseau d’égouts souterrains, généralisé à partir de 1875, s’est largement répandu dans presque toutes les voies publiques de l’ancien intra-muros. La plupart des canalisations auront comme débouché l’égout collecteur construit dans l’ancien lit de la rivière. Ce collecteur se déversait dans la rivière sans épuration préalable, mais désormais en aval de la ville. Un règlement adopté par le conseil communal en 1875 oblige les propriétaires à se raccorder au réseau. Il semble que Mons ait été l’une des premières villes belges à imposer le raccordement à l’égout indépendamment de l’octroi des autorisations de bâtir.

Ces constats positifs doivent toutefois être nuancés. D’abord, si Mons a pu se transformer aussi rapidement, c’est parce que la ville bénéficiait au départ d’atouts non négligeables qui pouvaient rendre plus facile l’exécution de grands travaux d’assainissement. La superficie restreinte de l’agglomération (110 hectares environ), la faiblesse de la croissance démographique, l’absence d’industrialisation réduisaient l’ampleur des problèmes à résoudre et rendaient moins coûteuses les solutions à y apporter. De plus, la situation topographique de Mons constituait également un avantage. La ville étant construite sur une colline, beaucoup de rues y présentaient une forte pente. Les canalisations ont donc pu y être établies dans de bonnes conditions et il a été plus aisé de trouver un point culminant

(le square du château au pied du beffroi) pour y installer le réservoir de la distribution d’eau.

Par ailleurs, l’attention des responsables communaux successifs s’est pendant longtemps portée principalement sur l’embellissement et l’assainissement des rues les plus fréquentées du centre de la ville, en négligeant l’équipement des voies privées des quartiers défavorisés et surtout l’équipement des faubourgs. Cela vaut aussi bien pour l’extension du réseau de distribution d’eau que pour le développement du réseau d’égouts souterrains.

Enfin, l’administration communale de Mons a toujours respecté scrupuleusement la propriété privée. Par exemple, le respect de la propriété privée paraît être l’un des principaux motifs qui a conduit l’administration communale à ne pas opter pour le tout-à-l’égout en 1875 : il s’agissait de ne pas imposer de dépense supplémentaire aux propriétaires, déjà soumis à l’obligation de raccordement.

La logique de l’assainissement n’a donc pas toujours été poussée jusqu’au bout. Les autorités communales montoises ont fréquemment dû composer avec le nécessaire équilibre des finances communales et avec leur souci de respecter la propriété privée.

Ces observations ne remettent cependant pas en cause l’appréciation positive qui se dégage de cette étude. Les responsables communaux montois des années 1860-1885 ont su pleinement tirer parti des avantages de la ville et des circonstances du moment. Ils n’ont pas craint d’entreprendre de vastes chantiers qui ont bouleversé le visage de la cité. L’administration communale était principalement composée de bourgeois libéraux soucieux de promouvoir le progrès et le développement de leur ville. En outre, les responsables communaux se sont fait assister de services techniques compétents tels que le bureau communal des travaux publics, les services communaux de police, qui se professionnalisent à la fin du 19e siècle, et diverses commissions sanitaires consultatives.

Un objectif clairement défini a constamment guidé les autorités communales dès le démantèlement des fortifications. Il s’agissait de faire de Mons un modèle de développement économique, de dynamisme démographique et de bien-être social. Pour y parvenir, il fallait d’abord transformer la vieille cité en une ville moderne, ouverte sur l’extérieur et accueillante. La réorganisation des réseaux hydrauliques a constitué l’un des instruments privilégiés par le

pouvoir communal pour atteindre cet objectif. La gestion de la politique de l’eau a donc été active et dynamique, malgré les importantes difficultés juridiques, techniques et financières qui se présentaient.

Outre la volonté de changement qui animait les édiles montois, la maîtrise de l’eau a également été rendue possible par des facteurs externes. Elle fut d’abord conditionnée par les connaissances scientifiques et médicales qui ont influencé les conceptions en matière d’hygiène publique et par la mise au point de techniques qui permirent d’appliquer ces connaissances. Les unes et les autres reçurent la caution du pouvoir central. Ce dernier est toutefois peu présent dans le cas de Mons. La seule intervention importante concerne les travaux de détournement de la rivière, qui ont bénéficié d’un subside du ministère des Travaux publics équivalent à la moitié du montant du devis. Ce dossier avait en effet des répercussions sur le régime d’une voie navigable, le canal de Mons à Condé, qui relevait de la compétence du pouvoir central.

Au terme de la période considérée, même si l’expansion économique et démographique espérée ne s’est pas produite, la modernisation de la gestion de l’eau est plus avancée à Mons que dans de nombreuses autres villes belges. Elle a incontestablement contribué au bilan sanitaire positif dont peut se prévaloir l’administration communale de Mons et dont témoigne la nette diminution des cas de fièvre typhoïde relevés au sein de la population montoise et l’absence totale de cas de choléra lors de la dernière épidémie importante qui a frappé la Belgique et notamment plusieurs communes du Borinage voisines de Mons en 1892.

Annexes

Fig. 1 : Vue de Mons et des environs vers 1860. Dessin à la plume de Léon Dolez (BIBLIOTHÈQUE DE L’UNIVERSITÉ DE MONS, Cartes et plans, XIX-457).

Fig. 2 : L’entrée de la Trouille à Mons. Dessin à la plume de Léon Dolez (BIBLIOTHÈQUE DE L’UNIVERSITÉ DE MONS, Estampes, E 2061.13).

Fig. 3 : Plan des agrandissements de la ville de Mons, vers 1870 (ARCHIVES DE L’ÉTAT À MONS, Archives de la ville de Mons, section contemporaine, 1949).

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chronologique de parution)

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Franchises, paysages et