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des rivières en Belgique (1880-1940) ?

2. Le déploiement de l’action des sociétés de pêche jusqu’en 1914

2.1. Multiplication

Au cours des années 1890-1914, les sociétés de pêche se multiplient, et leur action contre la pollution industrielle s’affirme et grandit. À l’instar de la Société liégeoise et de la société La Gileppe, active dans la région de Verviers, elles prennent diverses initiatives pour essayer d’inscrire la lutte contre les pollutions industrielles à l’agenda des autorités nationales. Leurs journaux périodiques, loin de s’en tenir aux conseils techniques et à un contenu pédagogique,

l’Université de Bonn (1870). Il consacra surtout ses travaux à l’étude de la chimie organique. Chargé de cours à la Faculté des Sciences de l’Université de Liège (1876), il obtint le titre de professeur ordinaire en 1885. Il fut à deux reprises doyen de la susdite faculté (1905-1906 et 1912-1913), président de la Société chimique de Belgique (1899) pour laquelle il avait fondé une section à Liège. Membre de nombreuses sociétés savantes (Société royale des Sciences de Liège, 1871 ; Deutsche Chemische Gesellschaft, jusqu’en 1914), il reçut de nombreuses distinctions honorifiques pour les services rendus à la science (HALKIN L., L’Université de Liège de 1867 à 1935. Notices biographiques, t. 2 : Faculté

des Sciences – Écoles Spéciales – Faculté Technique, Liège, 1936, p. 132-143).

7 Plusieurs membres fondateurs appartenaient à la noblesse belge : le comte Marie, Camille, Emmanuel de Briey (Seneffe, 1862 – Virton, 1944) (président), le comte François Van der Straeten-Pontoz (Pontoz-Clavier, 1816 – Bruxelles, 1907), le prince de Rubempré-Mérode, le comte de Renesse, le baron (Michel)-Edmond de Sélys-Longchamps, le baron de Voelmont, le baron de Rasse, l’écuyer de Cannart d’Hamale, et Jules de Broghrave (Olsene, 1850 – Bruxelles, 1927). À leurs côtés on trouvait, aux postes effectifs, plusieurs avocats, hommes politiques ainsi que des pisciculteurs professionnels. Le baron Auguste Goffinet fut le deuxième président de la Société centrale (1906-1927). Il était le propriétaire de la pisciculture de Freux et « généreux mécène » à qui l’on devait la création de l’Aquarium de l’avenue Louise. En 1907, il fut aussi le président de l’Exposition internationale de Chasse et de Pêche à Anvers, tenue dans les locaux de la Société royale de Zoologie. Son frère, le baron Constant Goffinet lui succéda (1927-1931) puis le baron Dietrich de Val Duchesse (1932-1939). Le baron Marc de Sélys-Longchamps assura la cinquième présidence de la Société à partir de 1939. Il était professeur à l’Université libre de Bruxelles, directeur de l’Institut zoologique Torley-Rousseau, et membre de l’Académie des Sciences de Belgique (Ces renseignements biographiques proviennent en grande partie de Pêche et Pisciculture, numéro jubilaire du Cinquantième anniversaire, avril 1939).

relayent les indignations, critiquent les politiques, ou plutôt l’absence de politique, du Gouvernement8.

D’un point de vue social, les sociétés et associations de pêcheurs ne cachent pas certaines sympathies pour le mouvement ouvrier, rappelant régulièrement que 9/10e des pêcheurs appartiennent à cette classe sociale9. Sans doute ce chiffre est-il à nuancer selon les sociétés (la lecture des listes de membres de la Société centrale, par exemple, nous montre un nombre important de petits commerçants), mais il nous rappelle l’importance de la pêche dans les modes de vie au tournant des 19e et 20e siècles. Le nombre de sociétés de pêche en témoignent également : à peu près chaque cours d’eau et chaque localité a « sa » société de pêche, depuis la Société liégeoise qui compte près d’un millier de membres vers 1900, à la société La Libellule de Marche qui en compte 140 en 1914, en passant par celle des Francs Pêcheurs de Bruxelles qui limite ses entrées à 100 personnes. Leurs noms traduisent souvent leurs ambitions morales (telle la société Geduld baart Kunst de Deurne, ou les Onvermoeibare

Lijnvisschers de Lierre) ou protectrices, telle La Sauvegarde de

l’Amblève à Aywaille. À la veille de la Première Guerre mondiale, Karel Rutgeerts, un actif médecin de Aerschot, et par ailleurs fervent acteur de la lutte contre la pollution des eaux (voir infra) n’hésite pas, sur base du nombre de permis de pêche délivrés, à estimer les

aficionados de la pêche à la ligne en Belgique à plus de 105 000.

D’autres vont jusqu’à porter ce nombre à 200 00010.

Les mobilisations de ces nombreuses sociétés leur permettent d’obtenir en 1900 ce qui leur apparaît comme une première avancée :

8 Les principaux journaux, outre Pêche et Pisciculture, sont L’Épuisette, organe de la Société liégeoise des Pêcheurs à la Ligne (qui devient Épuisette et Carnassière en 1902, puis le Pêcheur

belge en 1904), ainsi que le Visschersblad, publié à Anvers.

9 En 1905, sur les 100 000 permis de pêche demandés, 9/10e le sont par des personnes issues de la classe ouvrière, d’après Pêche et Pisciculture, 17e année, n° 10, 15 mai 1906, p. 129.

10 Dans l’ouvrage qui accompagne l’Exposition internationale de Chasse et de Pêche d’Anvers de 1907, Charles Wendelen, membre de la Société centrale pour la Protection de la Pêche fluviale, écrit : De tous les modes dont se pratique la pêche fluviale, la pêche à la ligne, si

passionnante et si intéressante, depuis qu’elle n’est plus énervée par des règlements qui rappelaient ceux de la féodalité, s’est propagée dans toutes les classes de la société alors qu’il y a à peine un demi siècle, elle était encore considérée dans certaines villes comme un plaisir de pauvres. Aujourd’hui, sans compter les gamins, il y a plus de 200 000 pêcheurs à la ligne en Belgique ; les esclaves de la semaine – nous nommons ainsi les petits employés et les ouvriers – entrent au moins pour les trois quarts de ce nombre.

la désignation d’une commission chargée de rechercher tous les moyens

d’empêcher la contamination et la pollution des cours d’eau11. Cependant, comme bon nombre de commissions, elle ne débouche que sur des recommandations aux effets peu notables sur le terrain. Les sociétés de pêche reprennent alors leur combat, radicalisant parfois leur action. À ce titre, l’année 1905 marque un tournant.

2.2. Radicalisation

En novembre de cette année-là, à la suite d’un appel à mobilisation lancé dans un journal bruxellois, une nouvelle société, la Société des Pêcheurs de Belgique, est créée dans les locaux du cabaret du Cygne, à Bruxelles, celui-là même qui avait vu la naissance du Parti Ouvrier Belge en 1885. Elle se donne alors spécialement pour mission d’interpeller le Parlement afin qu’une véritable lutte contre la pollution soit engagée. Les mandataires politiques qui assistent à la réunion promettent de relayer les griefs et revendications des pêcheurs, y compris leur point 6 qui propose sans ambage d’engager des poursuites contre les industriels peu scrupuleux qui déversent dans les fleuves,

rivières et canaux les résidus de leurs usines et de leurs fabriques, empoisonnent non seulement des milliers de kilos de poissons mais occasionnent souvent la mort des riverains et du bétail 12. L’avocat gantois Bevernage, qui fait partie de la nouvelle société, souhaite même aller plus loin, militant pour que la dénomination première de la fédération soit celle de « Ligue contre la Pollution des Eaux fluviales ». Bien qu’elle n’ait pas suivi cette demande, la société se dotera quelques années plus tard du slogan De

l’eau pure dépend la santé du Peuple, affirmant ainsi encore clairement son

engagement pour une politique de l’eau en faveur de tous13.

La transformation du mouvement des pêcheurs (à tout le moins d’une partie de celui-ci) en véritable acteur d’une lutte contre les pollutions se marque tant au niveau des fédérations qui se veulent

11 Commission nommée sous la présidence d’Émile de Béco, gouverneur de la Province de Brabant, le 21 décembre 1900. Rapport établi par M. Hachez, Directeur de la Société nationale de Distribution des Eaux. Cette création intervient peu avant une initiative semblable prise aux Pays-Bas (création de la Staatcommissie voor Verontreiniging van Openbare

Wateren en 1901).

12 Le Pêcheur belge, 7e année, n° 8, 1er avril 1906.

13 MINEUR L., Rapport sur la pollution des eaux, dans VIde internationaal Congres voor Visscherij, Ostende/VIe Congrès de la Pêche, Rapports et communications, 18-21 août 1913, s.l.n.d., p. 10-15.

nationales qu’au niveau de certaines sociétés locales. À Gand, on voit ainsi naître la Ligue contre la Pollution des eaux fluviales de la Flandre orientale, tandis qu’à Aerschot, sous la houlette du très actif docteur Karel Rutgeerts, l’Union des Pêcheurs à la ligne d’Aerschot et environs, fondée en 1905, se transforme significativement, en 1908, en Ligue contre la Pollution des Eaux (Bond tegen de Besmetting des

Waters), avant de généraliser son objectif à l’éradication de tous les

types de pollutions, qu’elles concernent les eaux, le sol ou l’air, en 1913 et de changer à nouveau son nom en conséquence (Vereeniging

tegen Water-, Bodem-, en Luchtverontreiniging)14. Sans doute, l’exemple venait-il ici des Pays-Bas puisque Karel Rutgeerts était correspondant depuis quelques années de l’Association hollandaise contre la pollution de l’eau du sol et de l’air (Hollandsche Vereniging tegen Water-,

Bodem-, en Luchtverontreiniging).

Dans les années 1905-1913, les animateurs de ce mouvement contre les pollutions profitent de toutes les occasions pour faire connaître leurs préoccupations : congrès, expositions, initiatives pédagogiques, interpellations et requêtes auprès des pouvoirs publics, publicité systématique des contaminations dans les pages de leurs revues, avertissements aux industriels, études sur les techniques de décantation et d’épuration des eaux usées… À l’exposition universelle de 1910, qui se tient à Bruxelles, tout comme à l’exposition de Gand en 1913, et au Congrès international de pêche à Ostende la même année, la Société centrale parvient même à montrer au public une carte générale des cours d’eau pollués en Belgique. Sur cette carte, tous les ruisseaux du bassin de l’Escaut sont en noir, couleur de la pollution permanente, tout comme une bonne partie du bassin de la Meuse.

La constitution d’un mouvement franchement tourné vers la lutte contre les pollutions industrielles des cours d’eau, issue des sociétés de pêche, ne semble pas avoir survécu aux années de guerre ; en 1919, on ne retrouve plus de trace des diverses ligues constituées avant-guerre. Les sociétés de pêche reprennent seules le flambeau. Leur espoir de voir restaurer la qualité des eaux en Belgique est attisé

14 Vereeniging tegen water-, bodem- en luchtverontreiniging, Jaarverslag, Aerschot, 1913 ; RUTGEERTS K., Verslag over de Toestand der Rivieren in België en de Besmetting en Zuivering onzer

Wateren, dans VIe Internationaal Congres der Vischvangst, Oostende op 18, 19 en 20 augustus 1913, Aerschot, 1913 ; ID., Griefs des Pêcheurs. La Pêche aux filets, Aerschot, 1914.

par les effets de la guerre, paradoxalement bénéfiques, sur le ralentissement des activités industrielles et, en conséquence, sur l’état des rivières et des populations de poissons. Elles doivent rapidement déchanter suite à la relance de l’activité industrielle du pays… et reprendre l’initiative.