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Les pratiques physiques sur l’unité de la subjectivité pure

Dans le document Cogito, sujet, subjectivité chez Foucault (Page 132-135)

Chapitre III Les sciences analytiques de la subjectivité pure

B. Les pratiques physiques sur l’unité de la subjectivité pure

À partir de cette « unité naturelle qui prescrit à la médication son ordonnance logique »132,

naissent quatre idées thérapeutiques dans les pratiques physiques à l’époque.

Premièrement, une idée de consolidation133 contre « la faiblesse » de la folie. Par exemple, les

spasmes et convulsions de la folie sont souvent considérés comme une faiblesse de fibre qui est trop sensible et irritable, qui manque de robustesse et de force pour résister aux vibrations exceptionnelles. Selon cette théorie de l’équilibre de la force, la cure doit donner aux esprits ou aux fibres une force élastique et soumettre les esprits à des sentiments ou des mouvements agréables, mesurés et réguliers, leur permettre d’échapper à tous les bouillonnements chimiques qui les échauffent, les fermentent, les troublent. À l’époque, cette force qui renforce la nature de l’homme provient souvent de la nature elle-même. Mais la recette se compose plutôt selon les anciennes imaginations symboliques. Par exemple, l’eau de la reine de Hongrie est « bonne contre la tristesse »134, parce qu’elle renforce les esprits, parce que ses

odeurs les plus nauséabondes, en tourbillonnant la sensation désagréable, empêchent les esprits d’être inerte et ainsi incapable de repousser l’assaut. Un autre exemple du remède roboratif est le fer, parce qu’il est à la fois « le plus solide et le plus docile, le plus résistant lais le mieux ployable »135. Une métaphore grecque comme « donner à l’inertie de l’eau de

vigueur en y plongeant une tige de fer rougi » 136 semble lui donne la justification.

Sydenham137 propose d’absorber directement la limaille de fer, Whytt suggère d’en prendre

chaque jour jusqu’à 230 grains. Dans la pensée médicale à l’époque, les qualités métaphoriques circulent et se transfèrent d’une façon directe et immédiate, « sans aucune dynamique discursive »138.

132 M. Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Éditions Gallimard, 1972, p387 133 Ibid., p388

134 M. Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Éditions Gallimard, 1972, p389, note 1. Sur ce point

du remède contre la tristesse, l’usage de l’opium (ou hachich) et l’usage du parfum (ou café) provient du même mécanisme de « don secret » et de son effet, mais leurs destins à l’époque bourgeoise sont inverse. Ce premier devient l’affaire la plus fréquente et violente du crime, ce dernier devient l’affaire la plus populaire et

bénéfique du commerce. La raison la plus probable est donc sur ce point d’exigence de la force, de contrer la faiblesse dans le marché de la main-œuvre à l’époque bourgeoise.

135 M. Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Éditions Gallimard, 1972, p389

136 Pedanius Dioscoride (40-50 après J.-C.), un médecin, pharmacologue et botaniste grec dont l'œuvre a été la

source principale de connaissance en matière de plantes médicinales durant l'Antiquité ; cf., M. Foucault,

Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Éditions Gallimard, 1972, p390

137 Thomas Sydenham (1624-1689, un médecin anglais), Dissertation sur l’affection hystérique in Médecine

pratique, 1682 ; cf., M. Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Éditions Gallimard, 1972, p390, note

1

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Deuxièmement, une idée de purification 139 contre « l’impureté » de la folie. Le

bouillonnement d’idées fausses, l’encombrement de viscères, la fermentation de vapeurs et de violences, la corruption des liquides et des esprits, tout ceux-là constituent indifféremment « l’impureté » de la folie. D’un côté, une purification totale est appelée pour substituer au sang surchargé d’humeurs âcres ou de la mélancolie un sang clair et léger. En 1662, Hoffmann140 propose de traiter la mélancolie par la transfusion sanguine. La première malade

qui est traité à telle manière est un malade enfermé à Bethéem qui atteint la mélancolie amoureuse. Quand on lui exécute cette transfusion du sang de veau, il est curieusement guéri141. De l’autre côté, la thérapeutique cherche aussi à détruire l’altération particulière,

« soit à dévier les matières corrompues, soit à dissoudre les substances corruptrices »142. Concernant « les techniques de la dérivation », Fallowes143 propose de « provoquer de petites

pustules sur la tête » comme une issue ouverte des vapeurs noires. Concernant « les techniques de la détersion », on utilise l’amertume144, comme café, quinquina, savon, le miel, la suie de cheminée, le safran oriental, les cloportes, la poudre de pattes d’écrevisses et le bézoard jovial145, etc. Tout ce qui est savonneux n’est autre chose que l’amer qui exerce sa corrosion sur le mal ou même sur le bien dans le corps ou dans l’âme. Bien que ces méthodes internes de dissolution ou ces techniques externes de dérivation soient toutes appliquées sur le corps, leurs départs et leurs buts ne sont guère physiques, mais l’unité de l’âme et du corps, peu importe que cette unité soit d’image ou de substance.

Troisièmement, une idée d'immersion146 contre « le déséquilibre » de la folie. L’ancienne

unité cohérente entre l’ablution religieuse et l’imprégnation physiologique demeure jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. L’eau comme un liquide simple et primitif appartient à ce qu’il y a de

plus pur, de plus limpide, de plus équilibré dans la nature. Pour cette raison qu’elle est le remède de l’impureté, de l’obscurité, du déséquilibre dans l’imagination tout autant morale

139 M. Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Éditions Gallimard, 1972, p391 140 Moritz Hoffmann (1621-1698, un médecin allemand)

141 M. Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Éditions Gallimard, 1972, p391 ; note 2, note 3 142 Ibid., p392

143 Thomas Fallowes , The best method for the cure of lunatics with some accounts of the incomparable oleum

cephalicum, 1705 ; cf., M. Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Éditions Gallimard, 1972, p392

144 Le café dessèche le corps sans le brûler comme un feu sans flamme ; Tissot propose de consommer le savon

directement pour apaiser des maux de nerfs ; Whytt propose le Quinquina qui est amer et tonifiant. Cf., M. Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Éditions Gallimard, 1972, p393

145 Joseph Raulin (1708-1784, un médecin-accoucheur français, médecin ordinaire de Louis XV), Traité des

affections vaporeuses du sexe, 1758 ; cf., M. Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Éditions

Gallimard, 1972, p394, note 7

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que médicale, de Soranez d’Éphèse147 jusqu’à nos jours. Or, l’universalité du privilège de

l’eau au XVIIIe siècle ne provient pas simplement de la reconnaissance générale de son effet,

mais plutôt de la facilité dont l’universel échange des qualités et de la tradition religieuse de l’ablution et de la renaissance. Car le jeu d’échange des qualités est presque permanent dans la substance fluide de l’eau. D’une part, l’eau froide parfois rafraîchissante148 parfois

réchauffante149, elle peut être une solution pour conjurer l’humidité, ou à l’inverse, sa

fraîcheur maintient l’humidité de l’eau et la renouvelle. D’autre part, l’eau chaude est sans doute une préservation de l’humidité150, ou à l’inverse, la chaleur tarit effectivement

l’humidité. Cette polyvalence de l’eau finit finalement par une neutralisation, on substitue les bains et les boissons à la douche qui se transformera en une autre force uniforme : la violence151.

Quatrièmement, une idée de régulation du mouvement152 contre « l’irrégularité » de la folie. Lorsque la plus visible dans la folie c’est sa mobilité irrégulière, le remède correspondant est donc une restitution du mouvement qui s’ordonne selon la mobilité sage du monde extérieur. Cela se réalise souvent par la marche, la course, la promenade à cheval153 ou le balancement de la mer154. D’abord, les mouvements du monde sont réguliers, naturels et conformes à l’ordre cosmique, ils sont ainsi privilégiés en tant que régulateur de la mobilité organique. De plus, le voyage donnant des variétés de paysage fonctionne directement sur la production des idées, il dissipe l’obstination de la mélancolie, il fixe l’agitation violente à l’intérieur de la manie à l’extérieur régulière. Bref, le principe du remède par le mouvement en rythme ou le retour au monde réel, se situe sur l’oubli de « la subjectivité pure » 155, autrement dit, du

moment de la folie, ou plutôt ce principe du mouvement régulier établit une subjectivité ouverte qui permet de communiquer et échanger entre l’âme et le corps, entre la subjectivité et l’objectivité.

147 Soranos d'Éphèse, un médecin grec du début du IIe siècle apr. J.-C ; cf., M. Foucault, Histoire de la folie à

l’âge classique, Paris, Éditions Gallimard, 1972, p396

148 Chez Boissieu (Barthélemy-Camille de Boissieu, 1734-1770), l’eau sous forme de bain est un remède des

antiphlogistiques ; sous forme de boisson, il abaisse indirectement la chaleur générale du corps.

149 Darut, Les bains froids sont-ils plus propres à conserver la santé que les bains chauds ? 1763 ; cf., M. Foucault,

Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Éditions Gallimard, 1972, p399, note 1

150 On croit même que l’abus des boissons chaudes risque de conduire à une féminisation générale du genre

humain ; cf., M. Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Éditions Gallimard, 1972, p400

151 M. Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Éditions Gallimard, 1972, p401 152 Ibid., p402

153 Sydenham propose des promenades à cheval dans les cas de mélancolie et d’hypochondrie ; cf., M. Foucault,

Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Éditions Gallimard, 1972, p403

154 M. Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Éditions Gallimard, 1972, p403 155 Ibid., p405

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Dans ces quatre idées thérapeutiques qui sont obscurément ou plutôt indifféremment imposées sur le corps et l’âme, la folie est considérée donc comme un « double néant »156.

D’un côté, lorsque la folie écarte toute présence de la vérité objective, elle est une subjectivité pure, une négativité par rapport à l’objectivité ; de l’autre côté, lorsqu’elle n’est pas simplement une subjectivité pure, mais la subjectivité pure des maux, de l’irrégularité, du déséquilibre, de l’impureté et de la faiblesse, tout ceux-là ne sont que la subjectivité passive par rapport à la subjectivité active. Les techniques de guérison, jusqu’aux symboles physiques les plus chargés d’intensité imaginaire s’organisent donc sur ces deux pôles fondamentaux : d’abord, on vivifie l’inertie de la subjectivité, on la soigne, la consolide et la remet en mouvement ; ensuite, on régularise cette subjectivité remise au vivant, on l’arrache à son propre mouvement irrégulier, et l’installe au monde extérieur. Autrement dit, on anéantit le non-être que la subjectivité pure se produit en gardant ou même renforçant sa subjectivité pure pour accueillir un monde régulier et réel. Cette subjectivité pure est à la fois la possibilité de la folie qui se détache du monde réel et la possibilité de la raison qui la rejoint ; elle est sensible autant à la matière qu’à la morale. Mais elle n’est ni l’âme ni le corps, mais leur unité.

Dans le document Cogito, sujet, subjectivité chez Foucault (Page 132-135)