• Aucun résultat trouvé

Pour mettre en évidence l’ensemble des pratiques et des usages de cette presse en ligne, je procéderai en deux étapes. Dans la première partie relative au cadre conceptuel de la recherche, je retracerai la genèse des Tic qui, à travers des évolutions particulières, ont connu des transformations touchant aussi à la vie quotidienne. Dans ce cadre, j’ai tenté de mettre en exergue les différentes conceptions sur le rôle des Tic dans les sociétés modernes, mais aussi dans les sociétés traditionnelles, où elles sont considérées comme des leviers pour accélérer le développement. Il est vrai que les Tic, dans l’acception libérale du terme –à savoir permettant une numérisation de l’économie–, sont issues des sociétés contemporaines. Celles-ci ont capitalisé des expériences qui auraient permis aux chercheurs d’avancer un certain nombre d’hypothèses en fonction de l’évolution de ces sociétés. Ces hypothèses ne sauraient expliquer les mutations observées dans les pays en voie de développement de l’Afrique tels le Sénégal, l’environnement socio-économique, culturel et politique dans lesquels ils évoluent, doivent être pris en compte dans l’élaboration des théories devant expliquer leurs différentes mutations. Si les Tic ont joué un rôle prépondérant dans les pays développés, c’est surtout parce qu’elles reposent sur une structure économique assez solide qui peut servir de levier. C’est cette dimension qui fait souvent défaut en Afrique et au Sénégal. Or, c’est l’une des raisons pour lesquelles l’initiative internationale ACACIA de l’institution internationale canadienne du Centre de recherche pour le développement internationale (CRDI) s’emploie à rendre effective l’utilisation des Tic, en soutenant toutes les initiatives locales émanant à la base des populations. En décidant de lutter contre la fracture numérique, ce projet se distingue des projets d’appui au développement des Tic en Afrique, par son approche privilégiant l’angle communautaire. En approuvant cette initiative, le conseil des gouverneurs de cette organisation vise à

« démontrer comment les Tic peuvent amener des communautés à résoudre leurs problèmes de développement en s'appuyant solidement sur les objectifs, les cultures, les forces et les

25

mécanismes qui leur sont propres ; créer une base de savoir qui permettra de définir les politiques, les technologies, les démarches et les méthodologies propices à promouvoir l'utilisation abordable et efficace des Tic par des communautés marginalisées telles les femmes ».

Cette démarche participative est révélatrice des principales préoccupations africaines axées sur l’amélioration de la qualité de vie des populations : éducation, santé, revenu, gouvernance et technologie :

« Si l’on considère que les cinq indicateurs sont des indicateurs clé de développement pour les pays africains en général, les Tic ne peuvent être socialement bénéfiques que si elles contribuent à l’élimination de la pauvreté (hausse des revenus), l’amélioration de la santé et de l’éducation, à une meilleure utilisation et un partage équitable des ressources, au renforcement de la participation dans les processus de prises de décision. À ce titre, l’accès à l’information est crucial » (Thioune, 2003 : 3).

Quel rôle les Tic peuvent-elles jouer si l’accès à l’énergie électrique demeure l’équation à résoudre dans la plupart des pays africains qui ne disposent pratiquement pas de réseaux électriques fiables ? Selon le constat du Programme des Nations-Unies Pour le développement (PNUD, 2001 : 42), « quelques 2 milliards de personnes, soit le tiers de la population mondiale, n’ont toujours pas accès à l’électricité. En 1998, la consommation moyenne d’énergie électrique en Asie du Sud et en Afrique subsaharienne était plus de dix

fois inférieure à celle des pays de l’OCDE12 ».

Dans ces conditions, il semble que la fracture énergique est plus importante que la fracture numérique et c’est pourquoi, dans la définition des plans de stratégie nationale, l’accent devrait être mis sur ce volet, ce qui n’est pas toujours le cas. Par exemple dans le document de

déclaration de la politique générale du gouvernement sénégalais13, prononcé par l’ancien

premier ministre M. Cheikh Hadjibou Soumaré (2007 : 16) qui, pour lutter contre la fracture numérique préconise-t-il :

« Le renforcement et l’extension des centres multimédias communautaires dans les régions ; la mise en place d’un programme de formation des jeunes au Tic dans le cadre des centres régionaux d’initiation au Tic ; la libéralisation du marché des télécommunications et la création d’un fonds pour le service universel ; la promotion de l’e-business et la création d’un environnement favorable au développement des services à forte valeur ajoutée ».

L’économie informelle qui ne rentrerait pas dans le schéma de l’économie globale, selon la conception capitaliste libérale, mériterait plus d’attention, d’autant que se développent des

12

Organisation de coopération et de développement économiques.

13Déclaration de politique générale du gouvernement (17/09/07).

Http://www.lesoleil.sn/article.php3 ? id_article=28836&var_recherche=18+septembre+2007. Date de la dernière consultation : le 23/12/09.

26 expériences intéressantes qui témoignent de l’ingéniosité des populations en marge des progrès techniques, mais qui tentent tant bien que mal de s’approprier les outils techniques en fonction de leurs propres préoccupations. Comme le souligne Manuel Castells (2001 : 110) :

« Les nouvelles technologies de l’information, en transformant les processus de traitement de l’information, agissent sur tous les domaines de l’activité humaine et permettent d’établir des connexions entre différents domaines, ainsi qu’entre éléments et agents de ses activités. Apparaît ainsi une économie en réseau, profondément indépendante, qui devient de plus en plus capable d’appliquer les progrès de sa technologie, de son savoir et de sa gestion à la technologie, au savoir et à la gestion eux-mêmes ».

L’insertion des Tic dans les sociétés principalement africaines doit être analysée en tenant compte de cette économie informelle qui caractérise les activités naissantes, en somme l’ensemble des caractéristiques. Elles sont autant de réponses à l’appropriation des Tic, comme il est dit dans la préface du rapport 2001 du PNUD (2001 : iii) sur le développement humain :

« Il est indéniable que nombre des merveilles technologiques qui fascinent le Nord ne sont d'aucunes utilité pour le Sud. Il n’en demeure pas moins que les activités de recherche et développement ciblant des problèmes qui touchent plus spécifiquement les pauvres – de la lutte contre les maladies à l’enseignement à distance – prouvent immanquablement que, loin de se contenter de venir couronner le développement, la technologie en est un instrument indispensable ».

Pour ce faire, la compréhension des actions humaines sous l’effet des techniques est essentielle au développement d’approches plus cohérentes, en relation avec les faits observés. En fait, il s’agit d’étudier le degré d’ancrage des Tic dans la société sénégalaise et de faire le parallèle avec la presse en ligne. Entre l’adoption et la pratique des Tic, plusieurs paramètres sont en œuvre permettant de voir si les pratiques relèvent de l’effet de mode –pour être en phase avec l’économie numérique, ce qui poserait la question du mythe technologique– ou si elles sont réellement ancrées dans les pratiques sociales où le mythe deviendrait en quelque sorte une réalité. À partir des problématiques concernant la presse en ligne sénégalaise, une question apparaît : celle-ci s’est-elle alignée sur le Net au principe qu’elle serait totalement dépendante d’une conception tenant du déterminisme technologique ou, au contraire, fait-elle que suivre sa propre évolution au regard d’un environnement socioéconomique particulier. Bien sûr, des limites à cette étude ne sauraient manquer d’être soulignées, notamment en raison de la variante technique qui ne cesse de se développer selon la loi de Gordon Moore (Loi de Moore), au regard plus exactement de conjectures relatives à la performance des ordinateurs et qui stipulent que « le nombre de transistors sur une puce de circuits intégrés

27

double tous les dix-huit mois »14. Selon les experts informatiques, cette conjecture qui devrait

atteindre ses limites en 2017 est pour le moment d’actualité.

Nous mettrons aussi en évidence les conditions de l’insertion des Tic dans la société sénégalaise en retraçant la genèse de son développement. Si la presse en ligne semble être une autre manière de communiquer, c’est parce qu’elle s’identifie à des modèles, aux pionniers qui se battent aujourd’hui pour que cette presse puisse retrouver sa place dans la sphère médiatique, avec des professionnels reconnus et un statut bien défini. Comme l’expliquent Jean François Fogel et Bruno Patino (2005 : 38-39) :

« Le journalisme touché par la diffusion des technologies numériques avec internet au premier rang, n'a pas traîné pour se réinventer. Et que naturellement, il l'a fait d'abord là où il est tenu d'innover : en ligne. Les sites d'information sont les premières réponses, maladroites cela va de soi, aux attentes neuves des indigènes du numérique ».

La presse en ligne sénégalaise n’échappe pas à cette logique d’innovation qui semble planer sur les médias d’une manière générale, et le panorama des sites présents actuellement dans son environnement traduit la vitalité de celle-ci. Tel sera l’objet de la deuxième partie qui est centrée sur les différentes facettes de la presse en ligne sénégalaise, à travers les communautés sénégalaises (immigrés, femmes, paysans, politique, éducation, etc.) et permettra de répondre aux hypothèses déjà posées.

Pour terminer sur une projection quant au devenir de la presse à l’heure où se profilent des techniques comme le Web 3.0 ou les nanotechnologies. Le Web communautaire ou interactif est actuellement la tendance des usagers (principalement les pays modernes) qui s’approprient les innovations multidimensionnelles sur les Tic (techniques, pratiques éditoriales, développement des réseaux sociaux). S’agit-il d’une autre société à l’instar de la société de l’information ou d’une société plus égalitaire qui entend partager sans exclusion les récentes innovations techniques ? Dans le doute et par mesure de prudence, ne serait-il pas plus sage pour notre étude d’analyser les conditions dans lesquelles la presse en ligne sénégalaise tente de s’approprier ce Web communautaire. Laurence Allard (2007 : 58) insiste sur le fait que « Ces dispositifs et agencements machiniques, ces pratiques et expérimentations forment désormais un continuum sociotechnique appréhendé actuellement sous le terme discutable et discuté de Web 2.0, désignant le deuxième âge d’internet du Web 3 et son tournant expressiviste ».

14

Kanellos Mikael, 2005, Gordon Moore, co-fondateur d’Intel : « la célèbre loi de Moore continuera de se

vérifier à court terme », Paris, Cnet Network. Http://www.zdnet.fr/actualites/informatique/0,39040745,39217351,00.htm. Date de la dernière consultation : le 12/11/08.

28 Si la plupart des travaux de chercheurs s’évertuent à décrire les différentes possibilités offertes par le Web communautaire, je tenterai pour ma part de mettre en évidence les pratiques naissantes de la presse en ligne sénégalaise, révélatrices d’un véritable progrès pour l’ensemble de sa population. Elles empruntent des voies sinueuses qui sont en dehors des schémas habituellement admis par la conception libérale et que l’on retrouve, dans l’univers de l’informel. Celui-ci est le lieu d’observation naturelle où la plupart des Sénégalais s’y reconnaissent et expérimentent leurs actions à travers tout dispositif à caractère innovant. Du téléphone portable, à l’ordinateur en passant par les différents autres outils numériques, des usages s’installent, se modélisent au bonheur des populations. L’appropriation ou la non-appropriation des Sénégalais de l’outil internet et par la même de la presse en ligne ne saurait être appréciée si au préalable les facteurs déterminants qui conditionnent cet acte ne sont pas clairement identifiés. La fréquence de consultation, les usages passant par les pratiques des professionnels, mais aussi par les utilisateurs, la connaissance de l’environnement d’évolution de cette presse en ligne, sont autant de manifestations pouvant éclairer la connaissance d’un domaine qui en l’état actuel est embryonnaire. Cela passe par les discours des acteurs qui ne manquent pas de révéler des indices qui définissent l’univers culturel dans lequel baigne le citoyen sénégalais.

29