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sénégalaise : cadre spatio-temporel

4. Hypothèses de recherche

6.1.1. Connectivité africaine, alternative ou désillusion

L’Afrique est en proie à des fléaux naturels (inondations, éruptions volcaniques, régions désertiques), des drames humains (génocides, guerres tribales, guerres civiles, maladies, pandémies, etc.). Elle est un continent qui rencontre des difficultés à assurer les minima vitaux (manger, boire, se soigner, se loger). Cet état de sous-développement est pour une grande part un handicap pour le continent qui, en pleine mondialisation, veut se donner les moyens de participer activement à ce processus. Depuis 1960, qui a vu la plupart des pays africains accéder à l’autonomie, l’espérance de vie des Africains est extrêmement faible, elle ne dépasserait guère la cinquantaine, alors que dans d’autres pays, certes mieux nantis, elle avoisinerait les 70 ans.

Selon une étude menée conjointement par des chercheurs de l’université de Harvard, la London School of Hygiene and Tropical Medecine et de l’OMS (Organisation mondiale de la santé)46 :

« Le PIB de l’Afrique subsaharienne dépasserait aujourd’hui de jusqu’à 32 % - c’est-à-dire jusqu’à $ 100 milliards - le niveau actuel de $ 300 milliards si l’on avait éliminé le paludisme il y a 35 ans. Ces $100 milliards supplémentaires représenteraient à titre de comparaison près

46OMS, les coûts économiques réels du paludisme sans commune mesure avec les estimations traditionnelles. Paludisme, communiqué de presse N° 28 (25/04/2000).Http://www.who.int/inf-pr-2000/fr/cp2000-28.html. Date de la dernière consultation : le 04/07/07.

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de cinq fois le total de l’aide au développement fournie l’an dernier à l’Afrique subsaharienne »

Cette étude reflète la situation qui prévaut en Afrique, mais il convient souvent de la relativiser d’autant plus que comme le constate Laurent Béru (2007 : 80), parlant du cas des instances qui gravitent autour de l’ONU tel que celui du Haut-commissariat aux droits de

l’homme (HCDH) que,

« c’est un exemple de l’institutionnalisation du raisonnement libéral occidental au niveau international. Ces organisations internationales régissent leur ligne politique sur des fondements qui sont régentés entre le respect des considérations sur la diversité naturelle du monde, menant à l’élaboration d’un égalitarisme parmi les différentes cultures nationales, et l’observation de l’hégémonie des qualités d’innovation et des valeurs à tendance universelle progressiste. Le contenu de la dialectique globalisée, véhiculé par les organes informationnels à dimension transnationale de préférence, oriente les analyses de médiation dans le sens compris de l’institutionnalisation du libéralisme politique et économique ; puisque depuis la chute du mur de Berlin et de l’essoufflement du communisme comme alternative active, la doctrine néolibérale s’apparente, de fait, comme étant la solution universelle suprême ».

Si l’avènement du numérique est présenté par les discours apologiques comme une chance et une opportunité pour l’Afrique, il n’en demeure pas moins que ce continent semble en prise avec d’autres réalités (comme l’accès à l’eau, etc.). Afin de réaliser les objectifs du développement durable tels que fixés par le système des Nations Unies dans ses différentes composantes, ceci ne pourrait être réalisé qu’en misant à la fois sur les potentialités en matière de ressources humaines, même si la fuite des cerveaux ne cesse d’augmenter. Il était question de tirer profit de l’alimentation et du fonctionnement du fonds de solidarité numérique (à considérer que l’alimentation par les pays riches a du mal à démarrer) en attendant le fonds francophone des inforoutes est une voie prometteuse.

Est-ce une aubaine pour le continent africain, qui pourrait sauter quelques étapes (agricoles et industrielles) du développement pour entrer directement dans la société de l’information ? Ou une utopie ? L’avenir le dira à travers les études du processus d’appropriation socioculturelle des dispositifs techniques qui, pour le moment, est dans une phase d’expérimentation. Comme le remarque Marie-Soleil Frère (2005 : 8-9) :

« Les médias des pays du tiers-monde devaient devenir des outils de diffusion des innovations, dont l’adoption permettrait aux pays du Sud de combler leur "retard" sur le monde moderne incarné par les États-Unis d’Amérique et l’Europe. Cette perspective largement promue sur le terrain africain grâce à des programmes de coopération, menée principalement par l’UNESCO, entraîna, d’une part, la mutation du journaliste en "soldat du développement", d’autre part, la ruée des bailleurs de fonds pour soutenir les médias ruraux, liés à l’État et à sa stratégie nationale de développement, susceptibles d’amener les

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populations des campagnes à opérer des choix techniques, technologiques et comportementaux nécessaires à leur "évolution" ».

En fait, il ne s’agit pas, pour ce continent, de brûler sciemment les étapes du développement, mais de les contourner pour mieux les appréhender et tirer profit des opportunités qui pourraient s’offrir à lui. Voilà ce qui ressort des conclusions du Sommet mondial de Tunis (novembre 2005) consacré à la société de l’information. Que ce soit la paix, la liberté d’expression, la libre circulation des biens et services (culturels ou autres), des idées, des connaissances, de l’amélioration des conditions de vie des populations africaines, les Tic constituent à en croire les instances onusiennes, des moyens nécessaires pour atteindre les objectifs du développement durable. Ces moyens seront-ils suffisants, ou faudra-t-il réfléchir davantage à l’utilisation de ses moyens pour que les Africains puissent s’approprier ces technologies en fonction de leurs identités culturelles et de leurs préoccupations quotidiennes (les réalités locales) ? En somme, utiliser les Tic comme catalyseurs pour le développement de l’Afrique et tirer avantage des possibilités du haut débit semblent être pour le moment, un discours en réponse aux nombreux défis de ce continent. Pour en revenir aux balbutiements des toutes premières initiatives des Tic à travers l’internet en Afrique francophone, il faut remonter à l’année 1989.

L'aventure débute grâce à la coopération française avec le centre de recherche scientifique de l'IRD (Institut de recherche et du développement), anciennement appelé ORSTOM (Office français de recherche scientifique pour le développement en coopération). Ces centres de recherches dispersés dans la région d’Afrique de l’Ouest constituent des réseaux denses qui coopèrent et donnent naissance au projet RioNet (Réseau intertropical d'ordinateurs). Ce maillage sera la première expérience d'apprentissage du Web pour l'Afrique francophone. Quelques années plus tard, les Canadiens (projet ACCACIA) et les Américains (projet LELAND) vont se lancer à leur tour à l'assaut du continent africain. Avant l'arrivée du haut débit, l'accès au réseau internet le plus utilisé se faisait par le biais des lignes téléphoniques. Mais la vétusté des infrastructures en matière de télécommunication ne favorisait pas une bonne circulation de l’information. La technologie ADSL (Asymmetric Digital Subscriber Line) en anglais, que l'on peut traduire en français " Ligne d'abonné numérique à débit asymétrique" avec comme sigle RNA (raccordement numérique asymétrique), qui s'offre maintenant au continent africain, permet d'utiliser les lignes téléphoniques analogiques pour y faire transiter des informations numériques. De multiples avantages sont attendus de cette technologie. Outre un accès rapide, les Africains pourront plus facilement profiter par exemple du Télétravail, de la Télémédecine, du Téléenseignement, de la Visioconférence, la

98 Télévision numérique, etc. Si ce continent regorge de potentialités en termes de ressources (humaines et naturelles), il est aussi diversifié par sa position géographique et présente des disparités concernant les Tic. L’Afrique blanche ou du Nord en raison de sa proximité géographique d’avec les pays de l’Europe du Sud, bénéficie d’un avantage par rapport à l’Afrique noire (ouest, est, centrale), beaucoup plus touchée par des phénomènes (naturels ou humains). Le Sénégal, pays situé dans la pointe l’extrême de l’Afrique l’Occidentale –de même que le Cap-Vert–, bordé à l’ouest par l’Océan Atlantique, tire un bénéfice de cette proximité par rapport à la mer, lui permettant de se connecter plus facilement au réseau. Grâce à ses câbles sous-marins qui peuvent capter les ondes en provenance de l'Amérique ou de l'Europe, le Sénégal est privilégié par la proximité de la mer par rapport aux autres pays beaucoup plus enclavés comme le Burkina Faso ou le Niger. Il en est de même de l’Afrique du Sud qui est l’un des pays les plus en avancés dans ce domaine des Tic, suivie de prêt par l’Île Maurice (qui verra en 2006 son territoire entièrement couvert

par un réseau internet à haut débit sans fil, une première dans le monde)47, ou les Seychelles.

Mais le grand problème des États africains demeure l’accessibilité à la bande passante qui, par ailleurs, est très onéreuse. Radio France Internationale (RFI) a récemment initié une enquête participative sur le thème : "Pourquoi l’internet est si cher en Afrique ? Il ressort de cette enquête que l’absence de concurrence au niveau des fournisseurs d’accès serait à l’origine des prix exorbitants de l’internet48.

Pour se connecter à cette bande passante, deux possibilités s'offrent aux Africains : les antennes satellites ou les câbles sous-marins. L’accès universel qui a été érigé en droit universel en 1997 par L’UIT permet de faciliter l’accès aux réseaux à tous les pays. Timothy

John Berners Lee plus connu sous le nom de Tim Berners-Lee49, ancien directeur du

consortium World Wide Web (W3C) donne une définition pour l’accès universel :

« Mettre le Web et ses services à la disposition de tous les individus, quels que soient leur matériel ou logiciel, leur infrastructure réseau, leur langue maternelle, leur culture, leur localisation géographique, ou leurs aptitudes physiques ou mentales. L'accès à l'information et à la communication est un droit universel. Le web est devenu un média majeur, et il se doit d'être accessible à tous sans discrimination ».

47Jeune Afrique, 2005, Internet à l’Île Maurice, n° 2343 du 04/12/05, Paris, JA, p.97.

Http://www.jeuneafrique.com/pays/maurice/gabarit_art.asp?art_cle=LIN04125interecirua0.Date de la dernière consultation : le 11/01/09.

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Anne Laure Marie, 2008, Pourquoi l’internet est-il si cher en Afrique, Paris, RFI, 08/07/08. Http://www.rfi.fr/actufr/articles/103/article_68134.asp. Date de la dernière consultation : 20/09/08.

49 Le journal du Net. Https://www.journaldunet.com./solutions/dossiers/pratique/accessibilite/1.shtml. Date de la dernière consultation : le 11/02/09.

99 Cependant, si l’accès à l’internet est universel, comment pourrait-on comprendre que par

manque de points d’échanges internet50 (Internet eXchange points) (IXP) ou Global Internet

eXchange (GIX) permettant aux fournisseurs d’accès de se rencontrer, la connexion à l’internet est obligée de transiter obligatoirement en Europe ou aux États-Unis ? Concrètement, cela veut dire qu’un Africain voulant accéder à l’internet et joindre par exemple un de ces compatriotes restés au pays ne disposant pas du même fournisseur d’accès, voit sa requête en transit chez ces fournisseurs, avant de revenir en Afrique. Ce voyage numérique est lourd de conséquences puisque le coût financier est énorme. Selon les différentes contributions à l’atelier des médias du RFI, le continent africain ne compte que quinze points IXP en Afrique francophone, seules la Cote d’Ivoire et la République Démocratique du Congo en sont pourvus.

À en croire, Karine Perset (agent à l’OCDE), ayant participé à cet atelier, ces points IXP sont

abordables (20 000 et 15 000 dollars)51, comparés aux investissements énormes que les

gouvernements déploient pour d’autres infrastructures de l’internet. C’est juste un choix à opérer par rapport aux moyens disposés pour une meilleure rentabilisation, le trafic à l’international étant très onéreux. En rapport avec le contexte africain, cette accessibilité est loin d’être réalisée puisque la connectivité est pour l’instant limitée aux capitales et zones urbanisées. Beaucoup de territoires n’ont même pas encore comblé la « fracture électrique » et restent en dehors de tout projet de développement. L’inexistence des routes et si elles existent leurs inaccessibilités par les voies de communication terrestres sont des priorités urgentes à satisfaire. Si comme le souligne Olivier Sagna (2006 : 16-17) : « l’accès universel est aux télécommunications ce que le transport en commun est au transport de voyageurs ». Ceci n’est pas à confondre avec le service universel qui « est aux télécommunications ce que la voiture individuelle est au transport de passagers ». La fracture numérique telle qu’elle est pensée par les pays développés est à revoir dans son acception, puisque l’Afrique réunit en son sein d’autres types de fractures beaucoup plus importantes comme les fractures de

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Un point d'échange Internet (IXP) est un composant de l'infrastructure Internet qui peut augmenter l'accessibilité et la qualité d'Internet pour les communautés locales. Les IXP permettent aux réseaux locaux d'échanger efficacement de l’information à un point commun dans un pays, plutôt que de les obliger à échanger le trafic Internet local à l'étranger.

51Anne Laure Marie, 2008, Pourquoi l’internet est-il si cher en Afrique, Paris, RFI, 08/07/08.

Http://www.rfi.fr/actufr/articles/103/article_68134.asp.

Http://www.rfi.fr/communfr/player/player.asp?Player=Win&Stream=http://telechargement.rfi.fr.edgesuite.ne/rfi/ francais/audio/modules/actu/R103/son_perset_IXP.mp3.asx&iframe=http://www.rfi.fr:80/statiques/playerAdioP ageDescDefaut.asp&video=http://telechargement.rfi.fr.edgesuite.net/rfi/francais/audio/modules/actu/R103/on_pe rset_IXP&s=54309&s2=17&xtpage=Actualite:articlesdivers:article_68134.asp&xt_multc=%26x1%3D%26x2% 3D1%26x3%3D%26x4%3D%26x5%3D. Date de la dernière consultation : le 20/09/08.

100 genres (minorités marginalisées du fait de leurs conditions d’être de femmes ou handicapés, …), fractures électriques (seules les capitales y compris régionales disposent d’électricité et parfois de manière discontinue). « C’est comme si on laisse croire qu’avec plus d’ordinateurs, de licences d’exploitation logicielles, de lignes téléphoniques, les inégalités disparaîtront ipso facto » (Ollivier, 2006 : 38).

Cette accessibilité, remarque Olivier Sagna (2006 : 17), diffère d’un pays à l’autre : « Si le Ghana se fixe pour objectif de fournir un téléphone pour 500 habitants, au Sénégal il vise à rendre disponible le téléphone sur un rayon de 5 kilomètres et qu’en Afrique du Sud, il a pour but d’offrir un téléphone à 30 minutes de marche ».

Cette disparité de conception dans la compréhension du terme d’accessibilité, mériterait d’être repensée à l’échelle internationale pour que l’universalité de l’accès soit réellement effective :

« Prendre en compte la disponibilité, faisant référence à l’existence ou non de l’infrastructure ; l’accessibilité, entendue au sens de la capacité humaine à utiliser ces outils ; l’abordabilité, en rapport avec la capacité financière des citoyens ; l’adaptabilité, décrivant l’adéquation entre l’offre de services et les besoins réels » (ibid., 2006 : 17),

mais aussi l’aspect communautaire de l’Afrique qui fait que toute innovation réside dans une phase d’apprentissage où l’aspect collectif prime sur l’individualisme dans la transmission du savoir. Les séances collectives observées dans les pratiques d’initiations africaines, la présence d’une communauté de fidèles dans le cadre de la religion, témoignent de la tendance des Africains à se regrouper collectivement pour partager ou communier ensemble. L’exemple de la confrérie des Mourides au Sénégal est assez significatif, avec l’implantation des Dahira –des associations de solidarité, de mobilisation et de communication–, des leviers par lesquels ils

« ont surmonté l’individualité et l’anonymat en milieu urbain. La distance entre marabouts et disciples a favorisé le rapprochement entre les disciples et la construction d’une identité collective autour de valeurs, de pratiques, de manifestations, et du projet d’universalisation de la confrérie » (Gueye, 2003 : 174).

Thierry Perret (2005 : 278) rappelle que « l’Africain est avant tout un être communautaire, car l’histoire récente lui a enseigné que c’est la communauté restreinte qui le protège le plus sûrement des coups du sort, et que c’est en elle que se jouent les drames et les réjouissances à sa mesure ». La famille, les clans, les ethnies, les confréries, etc., constituent autant d’espaces sociaux qui permettent aux Africains de se sentir protéger.

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Pour l’UIT52, la communication équitable passe par trois éléments : la conception accessible,

avec une accessibilité qui doit être intégrée aux produits dès le départ ; la disponibilité, des produits et services accessibles doivent être à la disposition des utilisateurs ; l’abordabilité, l’accès aux produits et services doivent être financièrement raisonnables. Il n’en demeure pas moins qu’au Sénégal, quelques 50 000 utilisateurs se sont abonnés à l’ADSL en 2008 selon le

rapport de l’ARTP53.