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1. À la recherche d’un modèle

1.2. Quels contenus pour ce média ?

On serait tenter de poser la même question que celle de Valérie Cavelier-Croissant (2002 : 51-56), à savoir : « Mais pour qui écrivent les journalistes en ligne ? », tellement cette pratique du journalisme en ligne occupe une place importante dans les industries de presse. Les raisons tiennent pour l’essentiel à la présence d’outils numériques, que la technologie du Web a mis à la disposition des journalistes. Deux attitudes s’offrent pour ces derniers : soit ils les acceptent et les intègrent dans leurs pratiques professionnelles, soit ils refusent d’y adhérer et le risque est de voir d’autres publics ou corps de métiers s’emparer de ce créneau qui, à la longue, pourrait nuire la profession. (Pélissier, 2003 : 105). C’est dire que le choix est clair pour les professionnels puisqu’ignorer la présence de ces outils numériques ne semble pas être la meilleure optique. Cependant, la solution proposée n'est pas sans risques :

« Le journaliste, pris dans une Toile qu'il aura contribué lui-même à tisser, deviendra-t-il un nœud parmi d'autres, catalysant et canalisant la transmission de données digitales, ou l'un des pionniers de l'art encore en friche de conquérir le cyberespace ? Sa résistance et sa recomposition professionnelles permettront-elles d'éviter que l'information ne devienne la première victime de la société qui en porte ironiquement le nom ? » (Pélissier, 2003 : 99).

Plusieurs raisons permettent d’expliquer le choix de s’adapter au contexte numérique tournant autour de l’internet et à ses applications, donnant ainsi à l’information un second souffle. Bénédic Toullec (2002 : 39-44), en qualifiant de « denrée réexploitable », l’information journalistique montre comment l’internet a modifié les trois moments clés du secteur médiatique : la production, la programmation et la diffusion.

En ce qui concerne la production, c’est grâce à l’utilisation de la technique du marketing qu’elle est devenue plus personnelle, permettant de s’adresser individuellement à un public par le biais du one–to-one. Le public est segmenté pour des raisons de stratégies économiques, afin de mieux adapter l’offre informationnelle au contenu, puisque les usagers en ligne, en utilisant les outils numériques, se dévoilent laissant des traces sur leurs centres d’intérêt, leurs envies, leurs goûts, etc. Ces informations constituent des sources précieuses,

152 des renseignements détaillés sur le profil des usagers, leurs modes de connexion, leurs lieux de connexion, les pages les plus visitées sur un site, etc. Ce recueil de données que les médias traditionnels avaient du mal à trouver en temps réel devient plus facile à obtenir avec le profiling, technique de marketing permettant une analyse comportementale des usagers. C’est une aubaine pour les professionnels de l’information qui peuvent désormais mieux cibler leurs offres en fonction des attentes des internautes. Cela introduit un changement dans la circulation de l’information, puisque les médias traditionnels entretenaient un rapport vertical, à savoir celui de produire l’information pour un public plus ou moins passif, même si, l’utilisation du courrier des lecteurs pour la presse écrite, la parole des auditeurs ou l’antenne est à vous pour la radio et les invités en direct de la télévision, permet d’avoir un "feedback", pour recueillir les avis du public. Avec l’internet, le rapport au public aurait changé et deviendrait horizontal, se faisant dans les deux sens, le journaliste aurait autant besoin du public qui lui fournit la matière première, que le public du journaliste, qui s’attendrait à recevoir des informations conformes à ses attentes et traitées selon les règles de la déontologie professionnelle. Les conséquences de cette relation sont multiples et bénéfiques pour les deux parties qui, selon leurs desiderata respectifs, essaient de tirer le meilleur profit. Pour les professionnels, cette multiplication et cette diversification des sources –amplifiées par le phénomène de l’internet–, pourraient être la source d’éventuelles dérives comme les risques de désinformation : « Un média comme internet, que l'audience, la concurrence, les sources d'information utilisent en continu pour rivaliser avec la presse, voire la démentir, impose en effet de surveiller à chaque instant le flux global de la communication » (Fogel, Patino, 2005 : 31). Pour les usagers, c’est la possibilité de s’exprimer librement sur un sujet par le biais des blogs, des forums de discussion, etc.

La convergence numérique de l’écrit, de l’image, et du son, regroupée dans le Web et l’internet, semble imposer aux journalistes en ligne une polyvalence dans le traitement de l’information. L’écriture numérique qui demande de la concision exige de plus un référencement par le jeu des mots clés. De même que les techniques de traitement de l’image par des logiciels et la diffusion de fichiers vidéo sont autant de compétences qui viennent s’ajouter au travail traditionnel du journaliste. Face à ces nombreux défis qui rendent la profession hybride, la polyvalence semble être la meilleure attitude. Celle-ci participe d’un état d’esprit « l’esprit de polyvalence s’entend comme une agilité intellectuelle au service de

l’enrichissement » (Joannès, 2007 : 39). C’est pourquoi, comme le stipule ce

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« l’épanouissement professionnel s’obtient en cultivant la réceptivité, qui fonctionne en amont de la curiosité et dans un univers beaucoup plus vaste. Être réceptive, c’est être encore plus disponible intellectuellement que les touristes japonais qui ramenaient de leurs séjours en Occident des "rapports d’étonnement" à l’intention de leur entreprise ».

Ramené au contexte sénégalais, le discours d’un professionnel de la presse en ligne sénégalaise, A. S. (33 ans rédacteur en chef d’un site de presse en ligne)110, que nous avons interrogé est significatif. La question était : « Quelle importance accordez-vous à la presse en ligne sénégalaise vous semble-t-elle dynamique, qu’en attendez-vous, quelle est son avenir ? ». Voici la réponse : « Elle est dynamique, mais on peut surtout attendre d’elle qu’elle soit plus présente sur le terrain de la collecte d’informations au lieu de se contenter – pour certains– de reprendre les articles de la presse quotidienne » (voir questionnaires en annexes).

Ce dynamisme du journaliste en ligne, qui n’hésite pas à aller à la pêche aux informations, est une qualité professionnelle très utile qu’Alain Joannès (2007 : 43) qualifie d’« empathie ». À ce sujet, il précise que « l’empathie dont fait preuve un journaliste n’a évidemment rien à voir avec le marketing de l’info. Il n’est pas question d’essayer de deviner ce que le lecteur préférerait lire, ce que l’auditeur voudrait entendre et ce que le téléspectateur aimerait regarder ».

Au niveau de la production également, le nombre d’acteurs mobilisés se réduit sous l’effet du numérique qui voit la concentration de plusieurs corps de métiers issus des médias traditionnels. Le journaliste en ligne pourrait cumuler plusieurs fonctions comme celles de rédacteur en chef, photographe, technicien de son, éditeur, pour peu qu’il soit formé aux outils numériques.

Concernant la programmation des médias traditionnels, elle est limitée dans le temps par des impératifs de bouclage d’émission, de livraison de journaux. Avec l’internet, elle s’ouvre à des horizons plus larges. Le temporel et l’espace semblent illimités, d’autant que l’élasticité du Web permet aux journalistes en ligne, par exemple, de publier leurs articles n’importe quand, à toute heure, en tous lieux et mieux encore à partir de multiples supports. Cependant, au Sénégal la pratique courante du plagiat fait que certains administrateurs de sites n’hésitent pas à diffuser tardivement leur information en ligne pour éviter que d’autres rédacteurs

110Entretien réalisé le 15 /07/08.

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reprennent leurs articles. Selon A.S.D111., le directeur de la station FM, appartenant au groupe

Futursmédias par ailleurs administrateur du site sen24h.com (créé le 16/02/09 avec plus de 1500 visites/jour) : « Les articles sont souvent repris par certains sites de presse, ce qui nous amène au niveau de l’Observateur à être prudents. Nous attendons les coups de 1 heure du matin pour mettre en ligne les articles pour ne pas permettre à certains de les reprendre ».

L’utilisation du PDA (Personnal Digital Assistant) ou ordinateur personnel de poche ou du téléphone portable relié à un réseau internet par certains journalistes transmettant en direct leurs articles et photographies à leurs stations, en est la parfaite illustration. On pourrait citer au Sénégal le rôle que les téléphones portables ont joué dans la transmission en direct des résultats de l’élection présidentielle de 2000 et, plus récemment, au niveau des sites de presse, l’engouement pour les élections de 2007 qui montrent toute l’importance de la panoplie d’objets numériques issus des Tic. Même si les journalistes sénégalais sont moins nantis que leurs collègues occidentaux en termes d’outillages informatiques (comme la possibilité de disposer d’un PDA ou d’un ordinateur personnel à domicile).

Pour ce qui est de la diffusion, elle ne se limite plus à un produit finalisé, mais à d’autres perspectives, telle la possibilité de valoriser l’information à travers une multitude de supports (CD-Rom, dossier de presse en ligne, archives des articles en ligne, etc.) :

« Ce qui conduit donc à étudier l’information sous un autre angle : non plus comme un produit fini, c’est à dire le journal auquel on va s’abonner ou que l’on va acheter à son kiosque, mais comme une matière première qui va pouvoir être ensuite réexploitée selon plusieurs stratégies donnant lieu à différents produits vendus sur différents marchés (l’information-journalistique, l’information-documentation » (Toullec, 2002 : 39). Avec la diffusion, l’information en ligne est permanente, actualisée selon la teneur de l’actualité, les informations issues de la "base froide" pour nommer les articles, qui en raison de leurs pertes d’actualité, sont moins mis en évidence sur les sites, et celles issues de la "base chaude" qui sont remontées à la page d’accueil. Cette possibilité offerte par le numérique permet au journaliste en ligne de pouvoir hiérarchiser les informations mises à leurs dispositions et, au gré de l’actualité, de les retoucher et de les mettre à jour. Le journalisme en ligne, en effaçant ce facteur temporel d’un certain délai de livraison de l’information (quotidienne, hebdomadaire, mensuel), introduit un paradigme jusque-là ignoré par les médias traditionnels, celui de l’intemporalité et par conséquent, du rapport à l’information. Sur le Net, le journal en ligne peut se renouveler au gré de l’actualité pour peu

111Entretien réalisé le 05/08/09.

155 que le préposé à la mise en ligne prenne la peine de rafraîchir les pages avec de fréquentes mises à jour –opération qui peut être confiée à un logiciel programmé à cet effet–.

Roselyne Ringoot (2002 : 72), parlant de cette hybridation des temporalités, ne manque pas de révéler :

« Alors que la périodicité est un critère définitoire pour le support papier, alors que les émissions de radios et télévisions généralistes ne manquent pas d’instituer des rendez-vous itératifs scandant les heures, les jours, les semaines et les mois, les organes d’information et de communication sur le Web brouillent la notion de rythme ».

En ligne, le rapport au temps de l’information et à celui du cyberlecteur est modifié par les propriétés du Web. Le journaliste en ligne se trouve également confronté à la multiplicité des supports pour une diffusion multicanale et une audience parcellisée et multidimensionnelle. Ces particularités peuvent expliquer l’hybridation de ce métier. La publication d’un journal en elle-même est une source, une base de données, puisqu’elle constitue pour les annonceurs un marché potentiel. En raison de la présence accrue du nombre de jeunes sur le média de l’internet, les publications en ligne sont souvent envahies par les grandes sociétés de publicité qui cherchent à vendre leurs produits, aidées en cela par l’approche marketing du one to one. C’est ainsi que les rubriques telles que les loisirs, le tourisme, les vacances, les bons plans, les rencontres figurent en bonne place, accroissant ainsi le dynamisme de ces sites qui peuvent espérer des rentrées d’argent. Pour les sites de presse sénégalais, les annonceurs occupent des espaces assez importants. En témoigne l’exemple de la société nationale Bagages Express, spécialisée dans le Fret aérien, elle-même filiale de World Baggage Network, présente sur le site de www.nettali.net, ou de The book edition, une société web basée à Lille (France), qui permet technologiquement d’éditer, de publier et de distribuer des livres à la demande sur le site de www.sudonline.sn et d’autres types d’annonces allant de l’inscription vers des écoles ou universités hors du Sénégal, à la promotion des billets d’avion par les agences de voyages, etc.

L’utilisation du papier, bien que nécessaire pour la presse écrite, mobilise beaucoup d’énergie, de temps, d’espace, mais surtout d’argent. La publication en ligne, avec une diffusion instantanée, ne mobilise pas la même énergie. Même si elle existe, elle permet de déduire les coûts de distribution. L’abonnement en ligne ne connaît pas de frontières et les internautes les plus éloignés pourront lire leur journal au moment même de sa publication. Ne connaissant pas d’invendus, l’économie en termes de papier est considérable. Mais, pour un pays comme le Sénégal où l’internet n’est pas accessible à la majorité, ce phénomène sera moins apprécié.

156 Toutefois, l’accès communautaire par le biais des télécentres ou centres communautaires dans les villages, permettra aux populations qui ne peuvent se procurer l’édition du jour de se concentrer sur le journal en ligne en espérant que le lieu soit connecté au réseau. Cela pose un autre problème lié à la gratuité, les sites de presse sénégalais qui, pour l’instant, fonctionnent sur le modèle économique du tout gratuit, pourront-ils résister face aux dépenses et coûts engendrés par la mise en ligne ?

2. Quand les quotidiens sénégalais prennent d’assaut le