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Du langage au travail, à la formation des employés Introduction

2. Le langage au travail : un objet de recherche

2.2. Présentation du réseau Langage et Travail

Depuis le milieu des années 1980, l'étude des échanges langagiers accorde au contexte et aux situations une place centrale. Le langage sur le lieu de travail est étroitement lié aux événements émergents, au matériel et aux actions. De ce fait, son analyse requiert la prise en compte de ces éléments. Comme le précisent J. Boutet & B. Gardin (2001), il s'agit d'aller « là où les rapports sociaux se fabriquent » et de prendre en considération l'organisation de l'entreprise, du service, du poste ainsi que les relations entre les différents acteurs (p. 99). Pour cela, il convient de définir et de préciser les objectifs de la recherche et de demander l'adhésion de la structure qui accueille les chercheurs. Ainsi, pour que la recherche se déroule dans de bonnes conditions, les responsables hiérarchiques doivent êtres informés et l’adhésion du personnel doit être recueillie. Comme nous l’évoquons au chapitre VII, nous avons dû également nous soumettre à cette même exigence. Parfois, nous avons effectué des démarches spécifiques comme, adresser un courrier à un responsable, précisant une clause de confidentialité (cf. annexe VII – 2).

Les auteurs précisent également que pour pouvoir accéder au monde de l'entreprise, la recherche doit avoir un objectif suffisamment élargi et orienté vers la situation de travail. Il ne doit pas seulement concerner la description langagière. L'objectif doit avoir un lien avec le contexte professionnel, comme contribuer à l'amélioration des postes de travail, de la relation

entre les services, ou des dispositifs de formation. Ainsi, dans une visée didactique, notre étude vise une contribution à l’amélioration de la formation linguistique des employés.

Dans la mesure où l’étude des interactions est élargie à celle du contexte dans lequel elles sont imbriquées, la « part langagière du travail » doit être appréhendée à partir de la réflexion issue de différents champs de recherche comme la sociologie, l'ergonomie ou la psychologie du travail. La linguistique procure des outils d'analyse qui permettent d'envisager le lien entre le langage et la situation professionnelle (Boutet & Gardin, 2001, p. 100). Cette approche de la situation de travail permet également d'effectuer une analyse approfondie du rôle, de la fonction et de l'usage du langage. Comme nous le présentons au chapitre VII, notre méthodologie s’inspire de la démarche ethnologique. Ceci afin de décrire les interactions de manière détaillée et située.

2.2.1. L’interdisciplinarité du réseau

Créé en 1986, le réseau Langage et Travail est constitué de chercheurs français et internationaux, issus de disciplines variées, dans le champ des sciences du langage et des sciences du travail (Borzeix, Boutet & Fraenkel, 2001). Ainsi, il est composé de linguistes, d’anthropologues, de psychologues, d’historiens, de sociolinguistes, de sociologues, d’ergonomes, de chercheurs en communication et en sciences de la gestion. Ces disciplines sont mises en réseau autour d’un objet d’étude commun : le langage au travail, sous l’angle des pratiques, de la communication et de l’activité. Le principal objectif de notre recherche est la mise au jour des compétences langagières de manière située. Ainsi, dans le même sillage que le réseau Langage et Travail, elle se situe au carrefour de l’étude des pratiques langagières et de l’activité. Notre méthodologie s’inscrit dans une démarche ethnologique.

Parmi les dimensions de recherche, présente dans les travaux du réseau Langage et Travail, notons tout d’abord celle de l’histoire dont nous nous inspirons dans ce chapitre. Ainsi, l’écrit au travail fait l’objet de réflexions historiques issues de travaux plus généraux, menés sur l’histoire du travail et des mouvements ouvriers (Dewerpe, 1992). Les résultats renseignent sur la place et le rôle de l’écrit dans les organisations, mais aussi sur les auteurs et sur la relation entre écrit et oral.

Une autre dimension, celle de la sociologie et plus particulièrement de la sociolinguistique est particulièrement représentée dans les travaux du réseau. Pour notre étude, retenons que l’approche variationniste initiée par le courant de la sociolinguistique permet d’envisager la question de l’illettrisme sous l’angle des représentations sociales et des

mutations économiques qui modifient le travail des employés (Boutet, 1991 ; Fraenkel, 1993 ; Fraenkel & Moatty, 2000).

L’ethnométhodologie est convoquée pour l’étude des interactions langagières orales. Cette dimension met en valeur une part de l’activité langagière spécifique aux professionnels au contact des usagers (Grosjean, 2001). Nous nous sommes inspirée de ces études pour recueillir nos données (enregistrement des interactions) mais également pour les analyser. Nous verrons au paragraphe 3.4. que l’étude des interactions verbales peut montrer l’imbrication de l’oral et de l’écrit et conduire à une analyse des places au sein des équipes (Grosjean & Lacoste, 1998).

Les travaux des ergonomes montrent l’intrication du langage dans l’action. Dans une recherche menée en milieu hospitalier, J. Theureau et M. Vion (1991) présentent une étude du langage en situation d’apprentissage. L’apprentissage se déroule au guichet d’accueil des patients. Les chercheurs ont opéré par observation des actions, enregistrement des échanges verbaux, relevé des traces des documents manipulés par les acteurs et verbalisation de l’action. Nous nous sommes inspirée de cette manière de procéder pour notre étude auprès des agents de service de nettoyage.

Enfin, la dimension linguistique s’attache à l’analyse des corpus oraux et des écrits professionnels. L’étude du vocabulaire peut donner lieu à une catégorisation et montre qu’il existe des termes spécifiques aux métiers (Boutet, 2001c). Dans notre étude, nous analysons le vocabulaire relevé sur les postes de travail à partir des notions de « vocabulaire technique » et des « argots du travail » initiées par J. Boutet (2001c, p. 190). Dans cette même perspective, J.-M. Colletta (1993) montre que le vocabulaire professionnel peut être un marqueur identitaire qui délimite les contours d’une profession. Son étude s’appuie sur l’analyse d’entretiens recueillis lors d’auditions ou d’audiences auprès de juges pour enfants et de travailleurs sociaux. Il montre que le vocabulaire technique, employé par les professionnels (les juges et les travailleurs sociaux) peut entraîner des difficultés de compréhension pour les profanes (les mineurs et leur famille). Nous verrons au chapitre X que certains de nos témoins partagent un vocabulaire commun au sein de leur équipe, ce qui peut être rapproché de cette notion d’identité professionnelle. Notre étude s’appuie également sur des classifications établies à partir des recherches menées sur les écrits professionnels (Boutet, 1993 ; Fraenkel, 2001b).

L’étude de l’écrit au travail donne également lieu à une analyse du point de vue sémiotique, rédactionnel et discursif (Boutet, 1992 ; Fraenkel, 1992 ; Pène, 1992). Nous entendons par sémiotique, l’étude des éléments conçus comme phénomènes signifiants. Ainsi,

dans la lignée des travaux du réseau, nous avons relevé des traces de cet univers sémiotique, comme, les pictogrammes, les logogrammes et autres marqueurs qui relèvent de la raison graphique.

2.2.2. Les secteurs professionnels étudiés par le réseau

Le réseau Langage et Travail s’intéresse à tous types d’activités, quelle que soit la qualification des employés. Il réunit donc des travaux qui portent sur le droit, le travail scientifique, les activités de service, le milieu hospitalier, industriel, le travail social, le secteur public (Borzeix, Boutet & Fraenkel, 2001).

L'étude des écrits du monde du travail est inégalement répartie dans les secteurs d'activité économique (Fraenkel, 2001b). Le secteur primaire (agriculture, pêche, exploitation forestière et minière) est peu exploré. Le secteur secondaire (transformation des matières premières issues du secteur primaire) est davantage représenté à travers les enquêtes réalisées dans les usines, à la suite de la mise en place de la certification qualité (ISO 900010). En contrepartie, le secteur tertiaire (service, conseil, enseignement, grande distribution et tourisme) est plus particulièrement représenté. Des études ont été menées dans le domaine de la santé (Balcou-Debussche, 2004 ; Fraenkel, 2001b – Grosjean & Lacoste, 1998, 1999), de l'enseignement et du secteur social (Delcambre, 1997). Les études portent soit sur une entreprise, soit sur un service, soit sur la comparaison du fonctionnement de plusieurs structures ou équipes. Il s'agit de comprendre l'organisation à travers le rôle, la place et la circulation des écrits. Ainsi, comme nous l’avons souligné dans la partie précédente, le nombre croissant d’études relatives au secteur tertiaire peut être rapproché du contexte économique dans lequel le secteur d’activité du tertiaire est en expansion, entraînant des mutations dans le travail.

2.2.3. La méthodologie de recherche issue des travaux du réseau

L’interdisciplinarité du réseau a permis de mettre en commun des méthodologies issues de différents champs. Ainsi, les « linguistes empruntent à l’ergonomie la distinction entre le travail réel et le travail prescrit » et l’ensemble des disciplines, « à l’ethnologie, ses méthodes d’observation » (Borzeix, Boutet & Fraenkel, 2001, p. 13). Il s’agit donc de

10 Désigne un ensemble de normes relatives à la gestion de la qualité publiées par l'Organisation Internationale de Normalisation.

recueillir et d’analyser des données issues de l’activité et de rendre compte des pratiques langagières telles qu’elles sont mobilisées dans la réalité du travail.

Les données recueillies proviennent de sources authentiques. Pour recueillir les données orales, les chercheurs procèdent par enregistrement audio et audiovisuel. Il s’agit des « échanges téléphoniques », des « interactions de guichet », des « dialogues entre collègues » ou « d’annonces sonores » (Borzeix, Boutet & Fraenkel, 2001, p. 16). Ces données sont complétées par des entretiens menés par les chercheurs auprès des employés. Ils sont réalisés à posteriori, sous la forme d’entretiens d’explicitation ou de situations d’auto-confrontation, à partir d’une trace audiovisuelle enregistrée durant l’action. Les documents authentiques qui circulent dans l’entreprise constituent les données écrites : extraits de « cahier de transmission d’un malade » et « formulaires de non-qualité » qui consigne des réclamations (p. 16).

Conclusion partielle

Cette étude des travaux de recherche sur le langage au travail nous permet de retenir les éléments suivants.

Les travaux des sociolinguistes montrent la nécessité d’étudier le langage en contexte pour appréhender la variation. Les études du réseau Langage et Travail s’inscrivent dans ce sillage. L’entreprise devient un terrain de recherche.

La mise en commun des travaux portant sur l’étude du langage au travail permet de retenir une démarche méthodologique spécifique, dont nous nous sommes inspirée pour notre étude. Ainsi, la phase de prise de contact est un élément essentiel au bon déroulement de la recherche. Il convient de retenir l’adhésion de la hiérarchie et de déterminer un objectif proche des préoccupations de l’entreprise.

A l’instar de l’interdisciplinarité qui caractérise le Réseau, notre méthodologie de recherche s’inscrit dans la démarche ethnologique, notamment pour notre immersion sur le terrain. Nous avons retenu les notions de travail réel et prescrit issues des travaux des ergonomes. Ainsi, nous avons observé les pratiques langagières durant l’activité des employés. Enfin, le point de vue sociolinguistique nous a permis d’étudier des variations, notamment dans l’usage du vocabulaire professionnel.

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