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Retour sur la problématique, présentation de la recherche Introduction

1. Méthodologie générale

Notre problématique est centrée sur l’étude du langage en situation professionnelle. Après en avoir rappelé les principaux éléments, nous tentons de définir les termes d’anthropologie, d’ethnologie et d’ethnographie, afin de clarifier nos choix terminologiques. Nous montrons ensuite en quoi notre démarche est issue de l’ethnologie : nos emprunts et nos prises de distance par rapport à celle-ci.

1.1. Retour sur la problématique : mise au jour des compétences empiriques

Notre problématique trouve son ancrage dans le champ de la formation des adultes. Les contextes professionnel et législatif sont en mutation. L’évolution de l’économie de marché (montée du chômage, accroissement de la concurrence, mise en place des nouvelles technologies et des normes de qualité) modifie les postes de travail. Cette évolution s’accompagne de nouvelles exigences qui s’imposent aux salariés auxquels on demande d’être autonome, de s’adapter au changement, de communiquer (cf. chapitre VI). Parallèlement à la mutation économique, comme nous l’avons présenté dans notre premier chapitre, l’évolution du droit du travail donne la possibilité à tous les salariés de prétendre à une formation générale. La loi du 4 mai 2004 prévoit que les formations générales de type « compétences clés » peuvent être financées par les plans de formation des entreprises, par le droit individuel à la formation (DIF) ou par le congé individuel à la formation (CIF). De plus, le Code du travail, entré en vigueur au 1er mai 2008 (art. L6111-2), fait explicitement référence à la lutte contre l'illettrisme et attribue une responsabilité aux entreprises quant à la formation de leurs employés.

Dans la perspective de l’insertion professionnelle et du maintien à l’emploi des salariés et notamment des moins qualifiés, une place prépondérante est accordée à l’amélioration des compétences langagières. Des parcours sont proposés par les organismes de formation. Dans la visée d’une didactique centrée sur le sujet, qui prend en considération les compétences issues de l’expérience, nous interrogeons les contenus de ces formations sous l’angle des besoins des salariés.

Rappelons que, par compétences langagières, nous entendons l’ensemble des savoirs et savoir-faire mobilisés lors de la réception et de la production orales et écrites. Les compétences qui relèvent de la littéracie intéressent plus particulièrement notre étude car elles font l’objet de nombreux débats autour de la notion d’illettrisme. Ces éléments de contexte sont à l’origine de notre questionnement et constituent le point de départ de notre réflexion. Plus précisément, nous nous posons les questions suivantes :

-­‐ Quelles compétences langagières, en particulier de littéracie, sont mobilisées sur le lieu de travail ?

-­‐ Comment les employés utilisent-ils ces compétences langagières, au travail ? -­‐ Quelles solutions sont proposées par les organismes de formation ?

-­‐ Quels sont les points de convergence et les éventuels écarts entre ce qui est proposé par les formations et les besoins (et les attentes) des formés ?

Les études montrent l’impact de l’écrit sur notre vie quotidienne. Aussi, nous avons orienté notre recherche sur les effets de l’écrit dans l’activité des salariés concernés par les formations aux apprentissages langagiers. Dans le prolongement des travaux du réseau Langage et Travail, il était pertinent de mener notre enquête sur le lieu de travail. En effet, comme le soulignent les chercheurs, non seulement le langage fait partie du travail mais langage et activité se combinent. Les employés sont conduits à communiquer sur leur lieu de travail, à verbaliser leur activité, à interagir avec leurs collègues, la hiérarchie ou des clients.

L’observation de l’environnement de travail peut donc apporter des précisions sur la nature des compétences langagières et sur la manière dont elles sont mobilisées. Il s’agit notamment d’étudier les lieux pour appréhender la place et le statut de l’écrit sur les postes de travail. Les machines, le matériel et les produits utilisés par les agents de service constituent aussi des éléments de l’environnement de travail qui peuvent donner lieu à l’usage de l’écrit. Enfin, l’environnement peut fournir des informations sur les interactions langagières. Il s’agit des interactions avec les collègues, la hiérarchie, les clients et les usagers.

Nous avons retenu la branche professionnelle de la propreté en raison des spécificités qui caractérisent le métier des agents de nettoyage. En effet, nous avons montré que dans ce métier, les employés travaillent parfois pour plusieurs employeurs, avec des horaires atypiques et que la durée des interventions est réduite par rapport aux tâches demandées (cf. chapitre VI). On constate aussi que les conditions de travail sont difficiles et nécessitent des capacités d’adaptation et d’anticipation. Ces particularités font que la gestion du temps et de l’espace apparaissent comme des éléments essentiels au métier d’agent de nettoyage. On peut donc émettre l’hypothèse que des stratégies spontanées, issues de l'expérience sont mises en œuvre par les employés, pour une gestion efficace de leur activité. Ces manières d’agir, issues d’un savoir-faire empirique, ne sont pas nécessairement valorisées, ni remarquées, car elles ne sont pas considérées comme légitimes (Calvet, 1984). En effet, la norme scolaire met avant tout en valeur les compétences liées à la maîtrise de l'écrit, au détriment de celles qui sont issues de l'expérience. L’objectif de notre étude est donc de décrire les usages de l’écrit, les interactions langagières et les gestes professionnels.

1.2. Une approche méthodologique dans la lignée des travaux du réseau Langage et Travail

L’ethnologie relève de l’anthropologie. Cette dernière peut être définie comme l’étude de l’homme, de manière globale et sous ses différentes dimensions. L’ethnologie ou « l’anthropologie sociale et culturelle » est un courant issu de l’anthropologie

(Laplantine, 2001, p. 15). Elle s’intéresse plus particulièrement aux comportements sociaux de l’être humain dans leur diversité culturelle. Ainsi, l’ethnologie s’applique à l’étude de l’homme, dans son unicité et en prenant en considération les multiples situations sociales dans lesquelles il évolue. Cette approche implique l’immersion du chercheur sur le terrain pour une « observation directe de comportements sociaux » (Laplantine, 2005, p. 9). Notre objectif de recherche consiste à repérer des pratiques langagières et des savoir-faire empiriques, mobilisés en contexte professionnel. De ce fait, nous avons emprunté à l’ethnologie l’immersion et l’implication du chercheur sur le terrain. Toutefois, l’ethnologue construit le cadre théorique à partir du terrain. Or, notre démarche est ici différente car nous avons déterminé un cadrage théorique, en amont de notre recueil de données. Nous reviendrons sur cela dans la troisième partie de ce chapitre, au moment de présenter notre grille d’analyse.

Nous avons adopté la posture du chercheur qui consiste à se rendre « disponible et vacant », selon la méthode de « l’observation flottante », en particulier lors de la première visite sur un poste de travail (Pétonnet, 1982, p. 39). Cette méthode revient à ne pas mobiliser son attention sur un seul objet mais à tenter de l’élargir à l’ensemble des faits, en restant attentif à ceux qui ne sont pas prévisibles. Il s’agit aussi de rendre compte des micro-phénomènes et de relever les récurrences, de manière détaillée et rigoureuse. C’est à partir de l’ensemble de ces éléments qu’il devient possible de repérer des faisceaux de convergence. Ensuite, nous avons davantage focalisé notre attention sur les employés et sur la réalisation des tâches. Ainsi, nous avons procédé à des observations directes de manière « impliquée », dans la mesure où notre rôle était identifié par les témoins (Massonnat, 2005, p. 29). Bien que nous n’ayons pas interféré sur les conditions du travail, ni sur les tâches, la situation d’observation n’est pas sans impact sur les phénomènes observés. Nous les préciserons au paragraphe suivant, en présentant nos terrains.

« Ce qu’apporte le regard ethnographique, c’est le souci du détail, la volonté de ne pas considérer comme dénué d’intérêt ce qui peut sembler à priori banal, le fait aussi de s’intéresser aussi bien aux paroles échangées qu’à la gestualité, la disposition des corps dans l’espace, en les rapportant à la globalité de la situation observée. Plus fondamentalement encore, le regard ethnographique suppose la volonté de percevoir l’étrangeté qui repose dans ce qui nous est le plus familier, ou encore […] de repérer, sous d’apparentes singularités culturelles, des phénomènes similaires à ceux qui sont observés dans les familles françaises » (Grossmann, 2006, p. 19).

C’est dans ces termes que la description ethnographique, en tant qu’outil de l’ethnologie, façonne le recueil et l’analyse des informations récoltées sur le terrain. Il s’agit donc de la mise en forme graphique du regard de l’ethnologue. L’ethnographie consiste à

rendre visible, au moyen de l’écrit, les faits observés sur le terrain. Le type descriptif caractérise cette mise en mots. Cette transcription constitue la matière qui donne lieu à la mise en relation des phénomènes relevés sur le terrain avec les connaissances du chercheur sur l’objet étudié. Ainsi, au-delà de sa fonction descriptive, l’ethnographie consiste à étudier et à analyser des phénomènes relevés sur le terrain. Nous avons emprunté à l’ethnographie la méthodologie qui consiste à observer, décrire et analyser les phénomènes qui nous ont été donnés à voir (Laplantine, 2005). Ainsi, afin de rendre compte de manière minutieuse et précise, des lieux, des gestes et des paroles, nous avons effectué une description des faits pendant l’observation. Dans la lignée des travaux ethnographiques, nous avons utilisé le genre du récit. Nous avons décrit les faits dans l’ordre chronologique de leur déroulement. Pour cela, nous avons procédé à une prise de notes en direct et à un enregistrement audio durant toute l’observation. Parfois nous avons pu prendre des photographies. De même que la situation d’observation, le fait de prendre des notes et de tenir un enregistreur numérique ne sont pas sans conséquences. Nous avons observé quelques réactions que nous présenterons au paragraphe suivant.

Conclusion partielle

En conclusion de la présentation générale de notre méthodologie, nous pouvons retenir les éléments suivants.

Notre recherche s’intéresse aux compétences langagières et en particulier à celles qui relèvent de la réception et de la production écrite. Il s’agit d’étudier ces compétences au travail, notamment pour mettre en lumière des savoir-faire empiriques.

Pour cela, notre méthodologie est en partie issue des travaux des ethnologues. Nous employons le terme d’ethnologie pour présenter notre approche « terrain ». Notons que notre cadrage théorique nous en éloigne. Nous utilisons le terme d’ethnographie au moment où nous présentons les outils du recueil des données et de leur analyse.

2. Les terrains de recherche et les témoins : panorama du métier d’agent de

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