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De l'illettrisme à la littéracie : le point de vue de la recherche

1. Origines et dimension sociale de l'écriture

Longtemps réservé à une élite, l’écrit s’est progressivement démocratisé. Notre étude s’intéresse à la place de l’écrit dans le milieu professionnel. Nous montrons d’abord que

l’évolution des supports et des systèmes d’écriture a contribué à sa propagation dans l’organisation sociale. Nous présentons ensuite l’évolution du statut et de la fonction de l’écrit dans la vie sociale et professionnelle.

1.1. Naissance et propagation de l’écriture

Les premières traces d’écriture remontent au quatrième millénaire avant J.-C. (Tomassone, 2001). On parle d’écriture dès lors que les représentations graphiques présentent des régularités et peuvent être analysées. L’écriture désigne l’ensemble des systèmes de représentations graphiques ainsi que les caractères qui les composent. Certains systèmes d'écriture étaient associés à un événement et à un support particulier. C'est le cas du vieux-perse utilisé uniquement pour transcrire la parole royale sur la pierre. De même, l'écriture cunéiforme est représentée sur les tablettes d'argile et les hiéroglyphes égyptiens, sur le papyrus. Ainsi, les supports varient en fonction des usages, des cultures et des périodes de l'histoire.

Le papier apparaît en Chine, au IIIème siècle avant notre ère. Les Arabes se l'approprient au VIIIème siècle. Ils le transmettent peu à peu à l'occident où il se propage considérablement au XIVème siècle, du fait de l'invention de la typographie. La fabrication du papier s’industialise au XIXème siècle. L’essor de ce support est associé au développement économique des pays, de leurs ressources et de leurs besoins. Le papier a largement contribué à répandre l'usage de l'écrit, de même que l'évolution des différents systèmes d'écriture. J. Goody souligne à ce propos que « chaque système d'écriture a sa propre histoire » (Goody, 2006, p. 69). Il peut varier d’une région à l’autre et donc d’une culture à une autre. Lorsque l’on étudie l'écriture, il convient alors de l’envisager sous l’angle de la variation, notamment pour mesurer son impact sur le fonctionnement des sociétés.

1.2. Évolution des systèmes d’écriture

L'expression originelle, sous la forme graphique, évolue dans le temps vers l'usage de signes plus élaborés tels que les pictogrammes. Ceux-ci peuvent représenter des formes ou des êtres. Cependant, pour relater des événements plus éloignés des formes et du corps, on a besoin de mobiliser un grand nombre de signes. On voit apparaître à la fin du quatrième millénaire, un système d'écriture plus complexe. Basée sur l'usage des logogrammes, l'écriture peut désormais désigner une notion abstraite. C'est essentiellement depuis l'apparition d’un système fondé sur la transcription des phonèmes que la langue écrite a pu fixer la parole dans

le temps et dans l'espace. En effet, leur transcription a tout d'abord permis d'écrire les noms de personnes et les mots entendus dans d'autres langues. Ce système se structure ensuite peu à peu et c'est entre 1 500 et 1 000 avant J.-C. qu'il se précise et que les plus petites unités de sons peuvent être transcrites. Il reste toutefois difficile à manipuler. De ce fait, l’usage de l’écrit est réservé à une élite qui conserve ainsi un rôle social important, que ce soit dans l'administration, le commerce ou la religion. Ces systèmes plus ou moins phonétiques co-existent jusqu'à l'adaptation progressive par les grecs de l'alphabet phénitien (Briquel-Chatonnet, 2005). En effet, l'alphabet consonnantique des phéniciens n’est pas adapté à la langue grecque. Les grecs introduisent donc des voyelles pour noter les sons de leur langue et l'écriture alphabétique contribue à étendre l'usage de l'écrit dans les sociétés, notamment à travers la diffusion des textes religieux.

1.3. L’écriture : un marqueur de la position sociale

L'imprimerie multiplie la diffusion du livre dans la seconde moitié du XVème siècle. C'est également à cette période que l'écrit se démocratise. Toutefois, en France, au Moyen-Âge, seule une petite partie de la population détient l'usage de l'écrit : les riches marchands, les banquiers et une élite formée dans les universités (Lahire, 1999). L'enseignement permet une plus large diffusion à partir du XVIème siècle. Il subsiste cependant des inégalité d'accès à l'écrit entre les hommes et les femmes, les religions, la ville et la campagne et les activités professionnelles. L'usage de l'écrit est favorisé dans les villes où se trouvent les administrations et les lieux d'enseignement. De même, certains métiers requièrent la rédaction de chartes professionnelles, de textes de loi ou la tenue d'une comptabilité. C’est ainsi que les artisans qualifiés comptent parmi la majorité des personnes alphabétisées. Jusqu’au XVIème siècle, l’écrit est réservé à une minorité, principalement composée d’hommes, et à ceux qui exercent le pouvoir. Aujourd’hui encore, certains métiers impliquent un usage prégnant et spécialisé de l’écrit (les notaires, les journalistes, les enseignants), contrairement à d’autres (comme les commerçants ou les artisans) pour lesquels l’écrit n’est pas utilisé pour l’activité principale mais de manière indirecte, pour la gestion, les démarches administratives ou les transactions.

1.4. Oralité, écriture et pouvoir

A l’époque où l’oral prédomine, la forme écrite s'impose peu à peu comme forme de preuve ou d'autorité (Chartier, 2005). C'est ainsi que l'écrit prend le pouvoir sur l'oral.

L'arrivée de l'imprimerie contribue à cette évolution. De nouveaux moyens de paiement et de communication sont mis en place, en particulier dans les villes. Cette arrivée des documents écrits dans la vie urbaine modifie peu à peu la relation à l'écrit de la population (Chartier, 2005). L’écrit se démocratise, les habitants entrent peu à peu en contact avec l’écrit à travers la manipulation des billets, des quittances ou des formulaires, mais aussi avec les textes affichés dans les espaces publics.

Au cours du XVIIème siècle, l'écrit entre dans la vie quotidienne des personnes issues des milieux aisés, en grande partie par la lecture. Un siècle plus tard, les imprimés et formulaires sont de plus en plus utilisés par les administrations et invitent les usagers à inscrire des informations sur les documents. Au XVIIIème siècle, l'écrit s'installe dans les relations sociales des particuliers (Chartier, 2005). Il s’agit des faire-part et des annonces. A la fin du XIXème siècle l'instruction, rendue obligatoire pour tous les enfants, procure officiellement la possibilité de l’accès à l'écrit à l'ensemble de la population.

Conclusion partielle

L'histoire montre que l'écrit est longtemps resté le privilège d'une minorité, et que la propagation des livres et des imprimés a contribué à démocratiser son usage. L'enseignement de la lecture puis de l'écriture a contribué à sa diffusion. Les habitudes se modifient et l'écrit entre peu à peu dans la vie publique, d'abord dans les villes puis, dans les zones rurales. Le papier, qui constitue une preuve (remise en cause au XVIIIème siècle, à une période où les faux prolifèrent), contribue à attribuer une préférence à l'écrit par rapport à la parole. De même, certaines activités professionnelles ou qualifications (maîtres artisans, marchands, clercs, apothicaires) se servent de l'écrit dans l'exercice de leur profession : chartes, livres de comptes, registres, textes de loi et formulaires. La fonction de l’écrit dans le cadre professionnel est alors associée à la tenue des comptes, à la mémorisation, aux textes de loi et aux démarches administratives. Aujourd’hui, il est utilisé pour réglementer, instaurer des procédures (qualité) ou définir des cahiers des charges. Les écrits se mêlent à l’activité professionnelle, à chaque niveau de la hiérarchie. Comme nous le montrerons au chapitre IX, l'écrit peut constituer un élément de rapport de pouvoir et un « principe de hiérarchisation sociale » (de Certeau, 1990).

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