• Aucun résultat trouvé

PRÉOCCUPATIONS CONCURRENTIELLES DUES AU FONCTIONNEMENT DE LA PLATEFORME

§2 : DES RISQUES POTENTIELS IDENTIFIÉS

A. PRÉOCCUPATIONS CONCURRENTIELLES DUES AU FONCTIONNEMENT DE LA PLATEFORME

467. – Si l’on se réfère à la puissance qu’elles ont acquise, les plateformes sont désormais devenues la clé de sésame de l’accès au e-commerce. Cette situation particulière explique que plusieurs risques d’abus concurrentiels aient pu être relevés, suscitant des inquiétudes concernant :

- la promotion de leurs propres services, intégrés à l’écosystème dont elles dépendent, au détriment de leurs concurrents,

- la promotion des produits ou services de leurs meilleurs clients, au détriment des autres,

- la promotion de leurs propres produits, au détriment des autres vendeurs.

468. – Certaines plateformes, dont la fonction première était l’intermédiation entre le client et le commerçant au service des intérêts des deux parties, empêchent désormais tout nouveau venu d’entrer et de progresser sur le marché, agissant comme une barrière au e-commerce - et non plus comme l’accélérateur attendu - alors qu’en « agrégeant les offres de nombreux sites marchands, et les comparateurs de prix, en renforçant la transparence pour le consommateur, elles sont en mesure de renforcer la concurrence sur internet » 358. Ces pratiques sont aussi préjudiciables pour les entreprises utilisatrices, privées de visibilité sur le net, que pour les consommateurs, privés de l’offre de ces « recalés du net» et donc réduits à un choix limité.

469. – De tels risques sont rendus possibles par l’application d’algorithmes tenus aussi secrets qu’opaques, ne pouvant être dévoilés afin de préserver l’innovation de chacun.

470. – Dans ce cadre, le flou des méthodes de classement et de présentation des offres des moteurs de recherches et des comparateurs de prix suscite certaines interrogations quant à la pratique possible consistant à promouvoir en première position soit le produit de

leurs meilleurs clients, soit leur propre produit, au détriment de ceux des autres, faussant ainsi la concurrence.

471. – 1/ Lorsque le consommateur veut recueillir une information, ne sachant ni où ni comment l’obtenir, il sous-traite généralementcette tâche à un moteur de recherche. Le résultat proposé guide le prospect vers le(s) site(s) supposé(s) pertinent(s). Ce guidage est l’opération capitale pour l’entreprise commerciale, puisque de lui dépend le nombre de visiteurs sur son site marchand, donc son chiffre d’affaires potentiel. Le rôle joué par l’intermédiaire - la plateforme en l’occurrence - à ce stade est crucial, en orientant le visiteur selon un choix parfaitement neutre et désintéressé, ou en l’adressant plutôt vers une entreprise dépendante de son propre écosystème, ou vers une autre avec laquelle il a établi des relations commerciales.

472. – Il s’avère que, pour apparaître en bonne place dans la longue liste des réponses proposées à l’internaute par les moteurs de recherche, c’est-à-dire profiter de l’emplacement qui assure la meilleure visibilité à la cyber-entreprise, celle-ci a le choix de faire confiance au référencement dit « naturel » du moteur ou d’opter pour un référencement « payant »359. Ces deux possibilités offertes pour le référencement, vital, proposées par l’intermédiaire, l’une gratuitement, l’autre non, peuvent conduire à des pratiques litigieuses, consistant à privilégier certaines entreprises par rapport aux autres sans justification.

473. – Le risque soulevé par l’Autorité de la Concurrence, dans un avis du 18 septembre 2012360, découle du favoritisme possible consistant à exposer en premier lieu, au sein des résultats affichés, les partenaires les plus rentables, ceux ayant opté, parmi tous les contrats proposés par la plateforme, en faveur des plus rémunérateurs pour elle. Le consommateur final ne disposerait alors pas d’une information loyale, tandis que le cybercommerçant qui n’aurait pas, par hypothèse, souscrit un contrat « premium », serait lésé face à un concurrent plus généreux. De telles pratiques fausseraient le jeu de la concurrence.

474. – Sans garantie de transparence sur le fonctionnement de l’algorithme utilisé par la plateforme, il n’est pas interdit de suspecter une possible manipulation des résultats de recherche par le moteur. Or le référencement naturel, gratuit pour le référencé, s’effectue suivant divers critères que fixe ledit moteur. Les algorithmes, éléments techniques majeurs,

359 Appelé encore « publicité ».

opaques et automatiques, permettant en l’occurrence de procéder au référencement, sont constitués d’instructions données par leur exploitant à une fin précise et ils varient suivant le type de moteur de recherche. Evaluer la neutralité d’un moteur de recherche semble dès lors hors de portée : tel algorithme, jugé neutre par certains, sera estimé injuste par d’autres361.

475. – Dans un rapport de mai 2014 sur la neutralité des plateformes, le Conseil National du Numérique a pris l’exemple des plateformes de réservation en ligne d’hôtellerie362. Ces plateformes distribuent (exposent) sur leurs sites des hôtels, rendus très visibles pour le consommateur. Cette visibilité peut leur apporter une progression considérable du chiffre d’affaires et, en contrepartie du service fourni, une commission d’environ 20% est réglée à la plateforme363. Mais la pratique et le fonctionnement réels pourraient être plus complexes, d’après le rapport évoqué, qui a constaté diverses infractions : ainsi certaines plateformes spécialisées fournissaient à l’internaute une information trompeuse, en affichant faussement les mentions « complet » ou « non disponible » en face du nom des hôtels ne souhaitant pas payer un référencement sur leurs sites, procédé aussi préjudiciable aux commerçants qu’aux consommateurs.

476. – 2/ Dans un écosystème puissant comprenant diverses activités

complémentaires, le risque existe qu’une plateforme dominante privilégie le référencement

des produits des entreprises dudit écosystème. Telle plateforme qui dispose elle-même de produits à vendre pourrait être tentée de les promouvoir en priorité. Ce type de pratique, qui empêche le développement de tous les concurrents, laisse l’écosystème seul maître du marché et des prix en trompant le consommateur sur les propositions que la plateforme lui soumet.

477. – Pour illustrer nos propos, l’écosystème développé par Google (Google Shopping dans la vente en ligne et en tant que comparateur de prix, anciennement Google Product Search, Google Adwords pour la publicité) a suscité une interrogation quant à la neutralité de son classement. Il a été avancé que Google pourrait favoriser ses propres services, notamment son comparateur de prix. Les sites comparateurs de prix donnent aux consommateurs la possibilité et l’avantage de juger des tarifs de produits référencés, vendus

361 WERY Etienne, 19 avril 2015, Google abuse-t-il de sa position dominante ? Décryptage du dossier, consulté sur https://www.droit-technologie.org/actualites/google-abuse-t-il-de-sa-position-dominante-decryptage-du-dossier/

362 OTAs : Online Travel Agencies ou DSI : Distributeur Sur Internet.

et distribués par des sites marchands concurrents. Selon certaines études 364 , un consommateur sur deux se dirigerait sur ce type de site avant de passer à l’acte d’achat, ce qui explique l’incontournable nécessité, pour les cyber-commerçants, d’y figurer, en souscrivant les contrats le leur permettant.

478. – L’affaire GOOGLE Shopping est un exemple de la problématique : une enquête avait été lancée par la Commission Européenne en 2010365 et, 7 ans après, se fondant sur l’article 102 du TFUE, la Commission a condamné, le 27 juin 2017366, GOOGLE à une amende de plus de 2 milliards d’euros pour abus de position dominante. La Commission a retenu que cette position sur le marché des moteurs de recherches a conféré « un avantage illégal à un autre de ses produits, son service de comparaison de prix GOOGLE Shopping »367.

479. – Selon la Commissaire à la concurrence, le fait pour une entreprise, Google en l’occurrence, « d’avoir élaboré des produits innovants ayant changé le cours de nos vies ne lui donnait pas pour autant le droit de priver les autres de la concurrence et d’innover»368 .

B. RISQUES DE PRATIQUES DÉLOYALES AU SEIN DE LA