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L’INTERDICTION DE LA VENTE ET DE L’ACHAT EN LIGNE DES PRODUITS DU TABAC

§2 : CONCILIATION DE LA VENTE DE CERTAINS PRODUITS DANGEREUX AVEC LA SANTÉ DU CONSOMMATEUR

A. L’INTERDICTION DE LA VENTE ET DE L’ACHAT EN LIGNE DES PRODUITS DU TABAC

133. – L’intervention la plus radicale du législateur est celle relative aux produits du tabac, puisque sont interdits aussi bien leur vente en ligne que leur acquisition en ligne. La liberté d’entreprendre le commerce électronique dans ce domaine est anéantie.

1. Bref historique

134. – Depuis Jean Nicot, qui avait fait parvenir en France quelques plants de tabac dans l’espoir de soigner différents maux, la perception de cette plante a évolué. De la loi Veil119 à la loi Evin120, l’Etat a choisi de mener campagne contre l’excès de consommation de tabac, l’herbe à Nicot étant reconnue responsable de nombreux cancers et autres pathologies, cardiovasculaires notamment : les statistiques rendent compte de 6 millions de décès dus au tabagisme dans le monde, dont 73 000 en France chaque année. Selon l’OMS, l’urgence s’impose d’inverser la progression des chiffres, ce que les Etats devraient prendre en compte, mais les intérêts clairement divergents des puissantes sociétés manufacturières du tabac se heurtent à la protection de la santé publique, que le code de la santé publique, dans sa partie « lutte contre le tabagisme », défend pourtant contre la pression constante des intérêts commerciaux des sociétés de tabac.

119 Loi n°76-616 du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme, dite loi Veil.

135. – Pour atteindre l’objectif de diminution de la consommation de tabac, première cause de mortalité française, véritable drogue121, et compte tenu de la volonté du Ministre des affaires Sociales de faire baisser le nombre de fumeurs de 10 % sur 5 ans, un rapport public annuel 2016122 de la Cour des Comptes recommande l’augmentation du prix du tabac dans ce but de santé publique. L’entrée en service du paquet neutre, d’abord préconisée par cette même Cour avant sa mise en œuvre en mai 2016, concourt au même objectif de réduction de la consommation, lequel ne saurait s’accommoder d’une vente libre.

136. – Si l’on excepte la période révolutionnaire, pendant laquelle sa vente fut libre, le commerce du tabac a toujours fait l’objet d’un monopole de l’Etat, au prix d’un encadrement précis, lui-même justifié par une explication tant fiscale que de santé publique : le commerçant, dénommé débitant de tabac, exerce sa profession comme préposé de l’administration des douanes et droits indirects123, ce qui assure le contrôle de la fiscalité perçue sur le produit ; par ailleurs, au nom de la préservation de la santé publique, le nombre de points de vente est restreint, afin de ne pas inciter à la consommation. Les règles d’exploitation d’un débit de tabac figurent dans un décret du 28 juin 2010124 et l’organisation de la vente du tabac est régie par le Code général des impôts. Même si le commerçant est libre d’organiser son fonds de commerce, il n’en reste pas moins dépendant de l’Administration pour toutes les autorisations nécessaires au cours de son activité professionnelle (ouverture, vente à des revendeurs…).

137. – La faculté pour la France d’élaborer une règlementation particulière en matière de vente de tabac a été reconnue par la Commission des Communautés Européennes : les Etats membres ont la faculté de réglementer la vente au détail des tabacs manufacturés nationaux et importés, cette réglementation devant être basée sur des critères objectifs et non discriminatoires.

138. – Ainsi, compte tenu de la dangerosité et de la spécificité de la distribution des produits du tabac, exclusivement prévue par le contrat de gérance conclu entre le débitant et l’administration, le législateur a interdit, d’une part, la vente en ligne du tabac et, d’autre

121 GODEAU Eric, « Comment le tabac est devenue une drogue ? La société française et le tabac de 1950 à nos jours », Vingtième siècle, Revue d’histoire, 2009/2, n°102, p.105-115, disponible sur cairn.info.

122 Cour des Comptes, févr. 2016, Rapport public annuel 2016 : tome II : la lutte contre le tabagisme : une politique à consolider, consulté sur www .ccomptes.fr-@Courdescomptes

123 CGI, art. 568.

part, son achat en ligne, ce qui conduit, évènement rarissime, le consommateur à commettre lui-même une infraction s’il acquiert ainsi ces produits du tabac.

2. Le droit interdit la vente et l’achat en ligne des produits du tabac.

139. – La Directive européenne du 3 avril 2014125 prévoit que les États membres peuvent interdire la vente en ligne de produits du tabac : ils restent souverains quant à leur position sur l’autorisation ou non de leur vente en ligne. Les détaillants qui procèdent à la vente à distance transfrontalière de produits du tabac ne peuvent fournir ces produits aux consommateurs dans les États membres où cette forme de vente a été interdite.

140. – L’article 568 ter du Code Général des Impôts, qui prohibe la vente en ligne du tabac, a connu quelques évolutions sensibles : une loi du 30 décembre 2009126 a interdit la commercialisation à distance de produits du tabac manufacturé en France métropolitaine et dans les départements d'outre-mer, puis une loi de finance rectificative du 29 décembre 2014127 est venue renforcer la protection du consommateur en étendant cette interdiction à

l’achat de tabac sur internet128. Le législateur français a ainsi clairement pris la position de supprimer la liberté du commerce électronique - pour ces produits - afin de tenir compte des intérêts du consommateur, et plus particulièrement de sa santé.

141. – A l’appui de cette interdiction l’Etat a pourvu son administration des douanes des moyens de faire appliquer ces textes pour vérifier les colis provenant d'un autre Etat, colis postaux ou acheminés par les entreprises de fret express. Le tabac retrouvé dans ces colis est présumé avoir fait l'objet d'une opération interdite de vente sur internet, sauf preuve contraire. Selon le Monde129, les douanes ont vu leurs saisies croître considérablement : en 2007 ont été saisies 8 tonnes de cigarettes contre 21 en 2008. L’administration des douanes, dans son rapport 2014, déclare avoir saisi 422,7 tonnes de cigarettes dont 4,2 % (soit plus de 17 tonnes) concernant le trafic via internet. Ces chiffres peuvent être interprétés de plusieurs façons : soit le service des douanes est de plus en plus efficace, soit la « contrebande de

125 Directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes.

126 Loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificatives pour 2009.

127 Loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 de finances rectificatives pour 2014.

128 CGI. Art. 568 ter, modifié par la loi du 29 décembre 2014 : « La vente à distance de produits du tabac manufacturé, y compris lorsque l'acquéreur est situé à l'étranger, est interdite en France métropolitaine et dans les départements d'outre-mer. L'acquisition, l'introduction en provenance d'un autre Etat membre de l'Union Européenne ou l'importation en provenance de pays tiers de produits du tabac manufacturé dans le cadre d'une vente à distance sont également interdites en France métropolitaine et dans les départements d'outre-mer ».

tabac » est de plus en plus répandue, éventuellement facilitée par la vente par voie électronique.

142. – Malgré les sanctions130 mises en place en cas de violation de l’article 568 ter du Code général des impôts, le commerce illégal de produits du tabac sur internet perdure : si les sites français de vente sont fermés dès la connaissance de leur existence, les consommateurs achètent ces produits illégaux sur des sites étrangers, évidemment dépourvus de toute habilitation légale à vendre sur le territoire national… En 2004, le site e-tabac.com avait été fermé par les services douaniers pour vente illicite de tabac. La veille internet, la cyber-douane créée en 2009, démantèle fréquemment des ventes sur la toile : en octobre 2015 du tabac était expédié illégalement, via un site belge, à des particuliers français131 et Pascal Montredon, le président de la confédération des buralistes, indiquait, dans un courriel à l’AFP, qu’il s’agissait - « enfin » - de la première mise en application de l’interdiction d’acheter du tabac en ligne « alors que le commerce illégal de tabac ne fait que se développer sur les sites de vente en ligne et les réseaux sociaux, comme peuvent le constater quotidiennement les douaniers dans les centres de tri postaux ».

143. – Si l’administration des douanes joue un rôle considérable par ses veilles des sites illégaux, qu’elle fait fermer en urgence, le constat s’impose néanmoins de l’augmentation de la vente illégale de tabac sur le net du fait de l’insuffisance des moyens qui lui sont attribués, et qu’il est peu probable de voir augmenter par temps de politique budgétaire serrée. Par ailleurs il faut regretter que deux amendements à la loi « pour une République numérique » aient été rejetés par le Sénat lors des débats du 30 avril 2016 proposant, face à la montée de l’achat illégal du tabac en ligne, la prise de deux mesures sans doute utiles : le rapport d’information sur le rôle des douanes en matière de commerce en ligne présenté le 23 octobre 2013, établi au nom de la Commission des finances132, préconisait d’une part que le Fournisseur d’accès à internet (FAI) indique au consommateur que l’achat de tabac sur le net est illégal et, d’autre part, que les banques s’engagent à refuser les paiements sur des sites de e-commerce proposant du tabac en infraction avec la loi. Les difficultés techniques de mise en place de tels systèmes ont justifié ces rejets.

130 Les acheteurs contrevenants s’exposent comme les vendeurs à des amendes administratives, une peine d'un an de prison voire cinq ans en cas de bande organisée, outre les confiscations des produits saisis.

131 www.lemondedutabac.com

132 DE MONTGOLFIER Albéric et DALLIER Philippe, Les douanes face au commerce en ligne : une fraude fiscale importante et ignorée, Rapport d’information au nom de la Commission des finances, n°93 (2013-2014) du 23 octobre 2013, consulté sur

144. – En conclusion, le droit interdit le commerce électronique de tout produit du tabac, aussi bien sa vente - qu’elle soit le fait d’un débitant, d’un tiers non agréé ou de pure

players - que son achat. La liberté du commerce électronique est sur ce point bannie, dans

l’intérêt du consommateur.

3. Le cas spécifique de la cigarette électronique et des e-liquides

145. – Une interrogation a porté sur le fait de savoir si une cigarette électronique, et le e -liquide servant à son fonctionnement, pouvaient être répertoriés parmi les produits du tabac, donc assimilés à ces produit dangereux interdits à la vente et à l’acquisition en ligne.

146. – La position de l’Etat français sur ce sujet a d’abord été floue. Certains pays européens - l’Autriche notamment - ont assimilé ces produits à des médicaments, la Belgique à du tabac, tandis que d’autres, notamment la France, ne se prononçaient pas. L’OMS, dans un communiqué du 9 juillet 2013, considère que tant que les cigarettes électroniques n’auront pas été considérées comme efficaces, sans danger et d’une qualité acceptable par un organisme national, il est conseillé aux consommateurs de ne pas les utiliser.

147. – La Cour de cassation a clarifié en 2014 la situation en affirmant nettement que les produits de vapotage ne sont pas des produits du tabac. Un arrêt de sa chambre criminelle133 a différencié la cigarette traditionnelle de l’e cigarette par le fait que, l’une émet de la fumée et l’autre de la vapeur. La consommation de la cigarette électronique ne peut donc, selon la Cour, être interdite dans les lieux publics, à la différence de la cigarette de tabac traditionnel.

148. – Différentes définitions relatives au tabac et produits du tabac ont été données par la Directive du 3 avril 2014134 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, et abrogeant la directive 2001135. Le considérant 48 de ladite directive indique qu’est laissée aux Etats membres la liberté de fixer la limite d’âge pour la consommation des cigarettes électroniques. La présentation de ces produits et la publicité faite à leur sujet ne devraient

133 Crim, 26 nov. 2014, n° 14-81.888, Gaz. Pal., janv. 2014, n°16, p.6, note PRIEUR Stéphane ; Gaz.Pal., 24 fév.2015, n°55, p.39, note DETRAZ Stéphane.

134 Directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 sur la fabrication, la présentation et la vente des produits du tabac et des produits connexes.

135 Directive 2001/37/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2001, relative au rapprochement des dispositions législatives , réglementaires et administratives des Etats membres en matière de fabrication , de présentation et de vente de produits du tabac.

pas promouvoir la consommation de tabac ni prêter à confusion avec des produits du tabac. Les États membres sont libres de légiférer en la matière dans les limites de leur propre juridiction et sont encouragés à le faire. Il est clairement affirmé que la cigarette électronique n’est pas un produit du tabac, la directive la définissant comme « un produit, ou composant de ce produit, utilisable avec un embout buccal pour la consommation de vapeur contenant de la nicotine ».

149. – L’ordonnance du 19 mai 2016136 a transposé dans le droit national la Directive européenne et a permis de clarifier partiellement le sujet en incorporant dans le code de la santé publique un nouveau chapitre intitulé « produits du vapotage ». La nouvelle ordonnance semble prendre position en faveur de la santé du consommateur, tant que l’absence de danger des produits de vapotage n’est pas clairement démontrée : elle interdit de faire de la publicité ou de la propagande pour les produits de vapotage - comme pour les produits du tabac -, elle interdit également le vapotage dans les lieux scolaires, dans les moyens de transports collectifs fermés, et sur les lieux de travail fermés. Cette nouvelle législation conditionne la vente des produits de vapotage à 18 ans, avec obligation pour le vendeur de demander au consommateur la preuve de sa majorité. Or la vente en ligne étant autorisée en la matière, la preuve de la majorité ne se matérialise le plus souvent que par une déclaration assurée d’un simple clic, dans la mesure où aucun autre moyen technique ne sait rendre, à ce jour, vérifiable cette déclaration de majorité, ce qui ne garantit en rien la protection du mineur sans la moindre vérification d’un quelconque document d’état civil.

150. – Cette réglementation n’assure pas pleinement la protection de la santé du consommateur, dans la mesure où la vente des produits du vapotage est librement autorisée sur internet - alors qu’elle est interdite aux mineurs - dans des conditions invérifiables : ses auteurs n’ont, selon nous, pas pris une position limpide sur la dangerosité du produit, ce qui autorise à s’interroger sur la question de l’efficacité de ce droit qui hésite à en tempérer la vente et devrait imposer de clarifier définitivement la nature juridique de l’e cigarette, ce que n’a pas permis le texte de 2016.

151. – L’alcoolisme reste, au XXIème siècle, un autre fléau de l’époque, notamment chez les plus jeunes137. Aussi, au nom de la prévention de la santé publique, le droit doit-il

136 Ordonnance n°2016-623 du 19 mai 2016 portant transposition de la directive 2014/40/UE sur la fabrication, la présentation et la vente des produits du tabac et des produits connexes.

137 BERLIVET Luc, « Les démographes et l’alcoolisme. Du fléau social au risque de santé », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 2007/3, n°95, p.93-113, disponible sur cairn.info.

assurer une stabilité, voire une baisse, de cette consommation inquiétante d’alcool, dans l’intérêt de celui qui serait son consommateur, à défaut d’interdire sa vente en ligne.

B. L’ENCADREMENT DE LA VENTE EN LIGNE DES VINS ET