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UNE IMPOSSIBLE RÉFORME ?

419. – La mise à jour de l’article 5 du Modèle de Convention fiscale de l’OCDE démontre une prise de conscience, au niveau international, des questions soulevées par l’optimisation fiscale. Néanmoins, l’établissement stable, référence géographique inadéquate pour déterminer l’imposition des bénéfices, n’est pas en remis en question.

420. – Au sein de l’Union européenne, la redéfinition du modèle actuel semble mal engagée en matière d’impôt direct et les diverses pistes envisagées sont abandonnées les unes après les autres. Après qu’ait été proposée, sans succès, une harmonisation relative aux taux de l’impôt sur les sociétés, l’idée de la création d’une taxe réservée à certains services de la société de l’information visant principalement les plateformes du type GAFA n’a pas connu meilleure fortune : les démarches successives ont toutes échoué.

421. – La Commission européenne a aussi proposé, le 16 mars 2011, de créer un impôt européen sur les sociétés, proposition relancée en 2015. Pour le Commissaire européen à la fiscalité, Algirdas Semeta, l’Assiette Commune Consolidée pour l’Impôt sur les Sociétés (ACCIS) permettrait la création d’un guichet unique qui deviendrait l’interlocuteur des sociétés pour toute l’Europe. Il serait alors possible de compenser bénéfices et pertes réalisés dans différents Etats. Cette proposition ne prévoit pas un taux unique d’impôt sur les bénéfices mais laisserait à chaque Etat le pouvoir de le fixer à sa convenance. Son intérêt repose sur une déclaration unique des résultats. L’assiette imposable serait répartie entre les Etats membres suivant une formule spécifique qui reste le point - délicat - à déterminer. L’inconvénient provient d’un taux de fiscalité qui ne serait pas unique : les résultats imposables consolidés d’un groupe seraient calculés en fonction des emplois, des actifs immobilisés et des chiffres d’affaires et rien dans ce procédé n’empêcherait une multinationale de défragmenter géographiquement des actifs, des

emplois, ou des parts des chiffres d’affaires, afin de soumettre la plus grande assiette à l’impôt de l’Etat européen le plus avantageux fiscalement.

422. – Le premier sommet consacré à l’économie numérique s’est tenu le 16 septembre 2017 à Tallinn entre les 28 ministres des finances européens335. A cette occasion la France, soutenue par 9 autres Etats membres, a proposé d’imposer les GAFA sur leur chiffre d’affaires dans chaque pays, afin de contrer la distorsion de concurrence issue de la pratique de ces cyber-entreprises qui commercent avec les consommateurs européens de tous les Etats membres, mais ne payent leur impôt sur les bénéfices que dans l’Etat de leur choix, celui dont la taxation est la plus faible – l’Irlande pour Airb’nb, les Pays-Bas pour Uber. Il était proposé de calculer le bénéfice des GAFA sur l’ensemble des territoires européens, puis de le répartir selon une clé, préétablie entre Etats membres, qui aurait pu prendre en considération, notamment, le nombre de salariés présents et le chiffre d’affaire réalisé Etat par Etat.

423. – Pour sa part, la Commission européenne a proposé une nouvelle réforme relative à l’impôt sur les sociétés applicable aux activités numériques, permettant aux Etats membres de taxer les bénéfices réalisés sur leur territoire, sans rechercher la présence physique des entreprises mais plutôt l’importance de leur interaction avec les utilisateurs par l’intermédiaire de canaux numériques336. Une plateforme numérique serait considérée comme ayant une présence numérique importante - donc une activité imposable - dans un Etat membre, dès lors qu’elle satisferait à l’un des trois critères suivants : générer plus de 7 millions d’euros de produits annuels dans un Etat membre, compter plus de 100000 utilisateurs dans un Etat membre au cours d’un exercice fiscal, compter plus de 3000 contrats commerciaux pour des services numériques avec les utilisateurs actifs au cours d’un exercice social. Les règles actuelles s’en verraient changées profondément, puisque les bénéfices imposés dépendraient du lieu où se trouve l’utilisateur au moment de la consommation.

424. – La réunion du Conseil des Affaires économiques et financières - Ecofin - de septembre 2018 a constaté l’échec du dernier projet européen de la taxe GAFA, quatre pays - l’Irlande, le Danemark, la Suède et la Finlande - préfèrant défendre l’idée d’une solution issue de l’OCDE plutôt que de l’Union. Compte tenu de la divergence d’intérêts - entre les Etats à la fiscalité réputée avantageuse et les autres - et de celle quant à la conception même

335 DANCER Marie, 16 sept.2017, Début de consensus en europe sur la taxation des géants du net, consulté sur https://www.la-croix.com/Economie/Monde/LEurope-cherche-taxer-multinationales-numerique-2017-09-16-1200877301

de l’Union - la France souhaitant un consensus européen sur la fiscalité, la Suède s’opposant à toute ingérence de l’Union à ce sujet -, l’adaptation des règles fiscales n’est pas en chemin au sein de l’Union. Ce blocage absolu laisse s’installer une concurrence fiscale entre les entreprises, pouvant devenir nuisible à la liberté du commerce, pour des motifs indépendants de la qualité des biens ou des services qu’elles proposent. C’est en cela que la concurrence peut être analysée comme « faussée ».

425. – La fiscalité est donc le talon d’Achille du législateur : les règles posées n’encouragent pas la concurrence saine au sein du marché, elles favorisent sur ce marché les acteurs qui la gèrent le plus subtilement. Au bout du compte, le paradoxe n’est pas mince : alors que le fondement du marché au sein de l’Union repose, depuis le tout premier Traité, sur le choix politique délibéré, appuyé sur le droit, d’une concurrence libre et ouverte entre acteurs économiques, ceux du commerce électronique se voient victimes de la concurrence fiscale à laquelle se livrent les Etats membres entre eux, ce même traité fondateur leur laissant, depuis l’origine, la pleine maîtrise de leur fiscalité nationale. Bref, les Etats, partisans inlassables de la concurrence entre entreprises - ils l’encouragent à tout va, au nom de principes inscrits dans le marbre, et lui attribuent nombre d’avantages - se livrent entre eux à cette même concurrence, mais, étrangement, certains n’y trouvent que des désagréments, à corriger…

426. – Le dilemme est insoluble : ce que les Etats à fiscalité élevée nomment un problème d’optimisation n’est, aux yeux de ceux à fiscalité réduite, qu’une opportunité concurrentielle indiscutablement compatible avec le Traité. Résoudre ce dilemme passerait, selon les premiers, par un taux unique d’impôt sur les sociétés au sein de l’Union, auquel les seconds n’ont évidemment aucune raison d’être favorables, sauf à accepter de scier, en quelque sorte, la branche sur laquelle ils sont assis. Modifier cette règle réclamerait un consensus politique, se traduisant par un vote du Conseil à l’unanimité, impensable à ce jour.

427. – Parce que la fiscalité est une prérogative exclusivement nationale, le choix de chaque Etat reste solitaire en la matière. La France, dont le taux d’impôt sur les sociétés à 33,33% est jugé élevé, pourrait être considérée comme pénalisant de fait les cyber-entreprises nationales face à leurs concurrentes, en l’absence d’évolution des principes fiscaux communautaires. La France souhaite donner l’exemple, ou faire cavalier seul, en adoptant une taxe GAFA dans l’esprit de celle qui n’a pas, à ce jour, été adoptée au niveau européen.

B. UNE PROPOSITION FRANCAISE : LA TAXE SUR LES