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COMPORTEMENTS ABUSIFS ET PRATIQUES RESTRICTIVES DE CONCURRENCE

§2 : DES RISQUES POTENTIELS IDENTIFIÉS

SECTION 2 – LA RECHERCHE D’UN JUSTE ÉQUILIBRE CONCURRENTIEL ENTRE LA PLATEFORME ET SON CONCURRENTIEL ENTRE LA PLATEFORME ET SON

B. COMPORTEMENTS ABUSIFS ET PRATIQUES RESTRICTIVES DE CONCURRENCE

510. – L’autorité de la concurrence a rappelé398que « la plupart des pratiques susceptibles d’être qualifiées d’abus de dépendance économique sont également susceptibles d’entrer dans le champs des interdictions de l’article L 442-6 du code de commerce (c’est le cas en particulier des pratiques de déréférencement ou d’octroi d’avantages sans contrepartie ».

511. – L’article L 442-6 I, 2e du code de commerce, spécificité du droit français, condamne les relations disproportionnées entre professionnels sans obligation de démontrer la position dominante de l’une des parties. Il permet de sanctionner les pratiques restrictives pendant la relation commerciale, comme lors de sa rupture brutale. Constitue une pratique restrictive de concurrence le fait de « soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire

396 Les 35 pays membres que l’OCDE compte à l’échelle de la planète se consultent régulièrement pour identifier les problèmes, en discuter, les analyser, et promouvoir des politiques pour les résoudre

V. http://www.oecd.org/fr/apropos/histoire/

397 OCDE, 2012, The digital Economy , consulté sur http://www.oecd.org/daf/competition/The-Digital-Economy-2012.pdf.

398 ADLC., avis n°15-A-06 du 31 mars 2015 relatif au rapprochement des centrales d’achat et de référencement dans le secteur de la grande distribution.

commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».

512. – La place de marché numérique399 noue une relation commerciale avec son utilisateur professionnel. C’est au sein de cette relation que les notions de « soumission », de « partenaire commercial » et de « déséquilibre significatif » trouvent encore quelques difficultés à s’appliquer dans le monde du commerce électronique : si la jurisprudence judiciaire est venue préciser certains points, il n’en demeure pas moins une difficulté certaine à appliquer la réglementation. La Cour d’Appel de Paris400 a jugé que la soumission d’un opérateur est établie du fait des rapports de force existants sur un marché à forte concentration. Ainsi, la notoriété cruciale de la place de marché peut être retenue comme induisant une soumission au partenaire commercial. Plus délicate est la question du déséquilibre significatif entre les parties, dont la Cour d’Appel de Paris a précisé qu’il peut être caractérisé par l’absence de réciprocité ou la disproportion entre les obligations des parties401.

513. – Des clauses contractuelles insérées dans les contrats de la plateforme « hotels.com » ont été jugées non conformes sur le fondement de l’article L 442-6, I, 2e du code de commerce402 : elles révélaient un déséquilibre entre les parties en visant à l’obtention automatique au seul profit de la plateforme, des meilleures conditions tarifaires, au détriment de plateformes concurrentes.

514. – Dans l’affaire Booking.com, précédemment évoquée, le Tribunal de Commerce de Paris avait été lui aussi saisi par le Ministère de l’Economie et des syndicats d’Hôtellerie, après que l’Autorité de la Concurrence se soit prononcée sur le constat d’un abus de position dominante engendrée par des pratiques anticoncurrentielles. Cette procédure, différente de celle menée devant l’Autorité de concurrence, a abouti à une condamnation de la société Booking.com pour avoir inséré certaines clauses créant un déséquilibre significatif (absence de contrepartie suffisante), au sein de ses conditions

399 Les plateformes, ou places de marché, sont dites fermées quand elles sont réservées à un nombre limité de commerçants, appelés adhérents, choisis au préalable, ce qui implique que, selon des critères objectifs, certaines entreprises pourront être refusées. Il est plus aisé et souvent plus efficace pour un cybercommerçant d’intégrer des places de marché dite ouvertes, telles Amazon ou YouTube, qui lui procurent une visibilité incomparable par leur notoriété et le nombre de consultations qu’elles suscitent. Ces plateformes sont souvent issues de sites marchands purs qui, par souci d’amélioration de leur profitabilité, ont préféré faire évoluer leur activité initiale, exclusivement commerciale, vers celle de plateformes numériques, plus rentables.

400 Paris, 4e ch., pôle 5, 29 octobre 2014, n°13/11059. SARL Radio Nova c/ sté TSF Jazz.

401 Paris, 4e ch, pôle 5, 18 décembre 2013, n°13/11059.

générales d’utilisation, conformément à l’article L 442-6 du code de commerce: clause de parité, clause d’interdiction d’indiquer le numéro de téléphone et l’adresse de télécopie sur le site Booking.com, clause interdisant d’utiliser les données des clients (dites clauses marketing) et clause en matière de référencement privilégiant les clients « premium ». Certaines, que Booking.com s’était engagé à supprimer lors de la procédure devant l’autorité de la concurrence, ont été déclarées par le Tribunal de commerce de Paris contraires à l’article L 442-6 du code de commerce.

515. – Ainsi, les comportements litigieux semblent appréhendés de façon plus aisée et efficace par l’application de l’article L 442-6 du code de commerce403, aux fins de rééquilibrer les relations commerciales entre partenaires de puissances inégales, que par la référence aux pratiques anticoncurrentielles visées aux article 102 du TFUE et L 420-2 du code de commerce.

516. – Concernant la soumission, la Cour d’Appel de Paris404 a jugé que celle d’un opérateur est établie du fait des rapports de force existant sur un marché à forte concentration. C’est ainsi que la notoriété cruciale de la place de marché peut être retenue comme élément de soumission.

517. – La Cour d’Appel de Paris405 a encore précisé que le déséquilibre significatif pouvait été caractérisé par l’absence de réciprocité ou la disproportion entre les obligations des parties.

518. – Rappelons que l’article 1171 du code civil, modifié par l’ordonnance du 10 février 2016406, fait entrer les clauses abusives dans le code civil ; sur le fondement de ce texte peuvent être sanctionnées les clauses figurant dans un contrat d’adhésion, exclusivement, qui créent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Dans le monde numérique, de très nombreux contrats sont des contrats d’adhésion, qui ne permettent pas au professionnel de négocier ses conditions avec la plateforme quasi dominante : les contrats d’adhésion sont plus propices à la soumission. Ce

403 V. aussi T.Com. Paris, 22 juin 2017, Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih) et Groupement national des chaines hôtelières (GNC) c/ Expedia et Hotels.com.

404 Paris, 4e ch., pôle 5, 29 octobre 2014, n°13/11059.

405 Paris, 4ech., pôle 5, 18 décembre 2013, n°13/11059.

406 Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

nouveau texte de droit commun peut être un fondement nouveau pour sanctionner des pratiques abusives. Il convient de suivre son application par les tribunaux au fil du temps.

519. – En conclusion, le fondement des actions sur les pratiques restrictives visées à l’article L 442-6 du code de commerce semble plus efficace pour sanctionner des clauses créant un déséquilibre significatif entre les parties. Mais il est cependant décevant que le droit ne puisse que rarement appréhender les actes unilatéraux constituant des abus de position dominante au titre de pratiques anticoncurrentielles.

520. – Les comportements abusifs pratiqués par certaines grandes plateformes, quoique sanctionnées sur le fondement de textes traditionnels au prix de précisions jurisprudentielles, ont fait l’objet d’une attention toute particulière, récente, tant au niveau européen que national : des textes spécifiques relatifs aux plateformes numériques ont déjà été adoptés - la loi pour une République numérique - ou sont en projet - un règlement au niveau de l’Union européenne -, ces textes ayant pour objectif la relation entre la plateforme et le consommateur pour l’un, la régulation de la relation entre la plateforme et l’utilisateur professionnel pour l’autre.

521. – L’article L 111-7-II du code de la consommation, issu de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République Numérique, qui contraint les plateformes à apporter « au consommateur une information loyale et claire et transparente […] » s’adresse seulement à la protection du consommateur. L’auteur du texte souhaite maintenir une information loyale sur les modalités de référencement des plateformes mais ne prévoit rien en matière d’abus de position dominante ou de protection du cybercommerçant utilisant une plateforme.

522. – Néanmoins, les risques semblent être pris en compte et il convient d’évoquer la proposition de règlement de 2018 de l’Union européenne, en cours d’élaboration, ayant pour objectif l’équité dans la relation commerciale plateforme/utilisateur professionnel afin de réguler la concurrence faussée par certaines pratiques préjudiciables aux commerçants.

§2 : UNE PROPOSITION DE RÈGLEMENT EUROPÉEN POUR