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LA LIBERTÉ DU COMMERCE ÉLECTRONIQUE FRAGILISÉE PAR UNE CONCURRENCE FAUSSÉE

356. – La liberté d’entreprendre entretient une relation étroite, comme une franche proximité, avec la libre concurrence288. Leur concours réciproque permet le développement du commerce en encourageant l’innovation et la venue sur le marché de nouveaux acteurs économiques. La concurrence saine profite aux consommateurs qui disposent d’une offre plus large à des prix plus abordables.

357. – Si nous avons établi que le législateur assure le libre accès et le libre exercice à l’activité numérique dans le respect du consommateur, nous démontrerons qu’il a du mal à jouer son rôle de régulateur en matière de concurrence, en particulier dans deux domaines, rapportant à la fiscalité et à la nouvelle économie issue des plateformes numériques. Cette double carence s’explique autant par le souci des auteurs de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, dite directive sur le commerce électronique, de ne pas intervenir en matière de fiscalité, que par l’apparition des plateformes numériques, nouveaux acteurs du commerce électronique.

358. – Les caractéristiques spécifiques du commerce électronique289, en particulier la non-localisation des activités de l’entreprise, s’accordent mal avec les règles fiscales, lesquelles s’appuient essentiellement sur des principes cherchant à déterminer un lieu géographique où taxer l’entreprise.

359. – Le lieu d’implantation physique d’une cyber-entreprise ne revêt pas, à la différence du commerce « classique », une importance majeure. Le cybercommerçant, qui ne conditionne pas l’exercice de son activité à la proximité avec les consommateurs de tel ou tel Etat, peut choisir de relever de la loi fiscale de tel ou tel pays, selon son intérêt bien compris. La technique de l’optimisation consiste à privilégier tel Etat, plutôt que tel autre, pour sa législation fiscale jugée plus favorable.

360. – Or ce choix engendre une concurrence faussée entre les entreprises qui ont les moyens d’opter pour un Etat à faible fiscalité - nous les désignerons symboliquement

288 MESTRE J., TIAN-PANCRAZI M.E., TAGLIARINO-VIGNAL N. et al, Droit commercial, 30e éd., LGDJ Lextenso, 2016.

289 CHARRIE Julia, JANIN Lionel, « Fiscalité numérique », France stratégie, note d’analyse mars 2015, n°26

sous le vocable, plus que réducteur, de GAFA pour exprimer leur puissance mondialisée - et les autres, soumises à l’impôt de l’Etat dans lequel elles sont installées - pour des raisons d’implantation historique, par exemple en Europe. Cette interrogation ne se pose donc pas à tous dans les mêmes conditions. L’optimisation par les uns, dans le but unique de réduire l’impôt, permet, par nature, de dégager des fonds et des budgets dont ne disposent pas les autres, ceux qui n’optimisent pas, pour financer l’innovation et la créativité de l’entreprise. Or, dans le monde numérique, si l’innovation, technique ou organisationnelle, est le moteur du développement, elle est aussi un aspirateur inlassable de ressources financières : lui en procurer davantage confère un avantage déterminant sur le marché à celui qui en bénéficie. Par ailleurs, moins d’impôt permet aussi à l’entreprise de proposer des biens ou des services à des prix réduits par rapport à ses concurrents. En cela, la concurrence faussée menace, puis élimine à terme, les entreprises n’optimisant pas, faute d’innovation et de prix compétitifs.

361. – Si la concurrence est le corollaire de la liberté du commerce, il ne devrait pas s’agir, selon la théorie économique libérale, d’une concurrence de nature fiscale, mais seulement fondée sur les qualités intrinsèques du produit ou du service, telles que reconnues par le marché. C’est pourquoi des corrections s’imposent pour adapter les textes au nouveau mode de commerce par voie électronique. Si des dispositions en matière d’impôt indirect, principalement, ont déjà fait l’objet de substantielles modifications ayant rendu la concurrence plus juste, d’autres restent cependant à définir afin qu’elle ne soit pas faussée par la fiscalité (Chapitre 1).

362. – A la suite de la première révolution née de l’émergence du commerce électronique et des pratiques qu’elle a induites dans les façons de vendre et de consommer, une autre révolution a consacré l’apparition d’un acteur d’un nouveau type au sein de la transaction commerciale, n’ayant historiquement reliée jusque-là que le commerçant à son client. Il s’agit de la plateforme numérique, ou place de marché. Aux prémices du développement du commerce électronique nul ne pouvait préjuger de l’essor fulgurant de ce nouvel entrant. Qu’il s’agisse des plateformes ayant un rôle d’intermédiation, mettant simplement en contact un vendeur et un consommateur, ou de celles jouant un rôle complémentaire d’organisateur de la transaction au point de devenir prestataires de services, elles assurent toutes, par leur visibilité unique, celle du commerçant. Certaines de ces plateformes sont devenues, en quelques années, à ce point incontournables que leur poids leur procure, dans cette nouvelle relation commerciale, un avantage important, pouvant laisser redouter des pratiques qualifiées d’anticoncurrentielles : abus de position dominante,

déséquilibre significatif dans la relation commerciale. Favoriser, au sein du marché, son propre écosystème ou réduire la visibilité d’autres acteurs nuit à une concurrence saine donc à la liberté du commerce, en freinant l’émergence de nouveaux intervenants. Or le droit peine à réguler ces pratiques en s’appuyant sur les règles de concurrence établies, peu adaptées à ce cadre nouveau, donc délicates à mettre en œuvre. Aussi, face au risque de pratiques anticoncurrentielles de certaines plateformes numériques, mettant en danger la liberté du e-commerce, le législateur européen construit un projet de Règlement imposant plus de transparence dans la relation commerciale entre la plateforme et son utilisateur professionnel (Chapitre 2).

CHAPITRE 1

UNE CONCURRENCE FAUSSÉE PAR UNE FISCALITÉ