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La préfixation lexicale en russe en tant qu’opération de subordination lexicale

2.5 Syntaxe – l(exicale) des constructions résultatives complexes

2.6.3 La préfixation lexicale en russe en tant qu’opération de subordination lexicale

préfixés en russe est essentiellement la même que celle des résultatifs anglais du type to paint the door green. Ils analysent les deux phénomènes comme des occurrences de la subordination lexicale.

(La notion de subordination lexicale a été introduite par Levin et Rapoport 1988, qui analysent la phrase ‘Jane run to the store’ comme signifiant ‘Jane got to the store by running’, où la manière par laquelle Jane s’est retrouve dans le magasin– by running - est subordonnée à l’interprétation basique de changement de lieu ‘Jane got to the store’).

Dans cette analyse, les résultatifs transitifs sont considérés comme un type particulier des causatifs où le prédicateur (predicator) syntaxique secondaire représente l’événement noyau (core eventuality) et donc le prédicat sémantique primaire. Le verbe est alors subordonné comme une clause de manière ou de moyen dans une structure lexicale conceptuelle (SLC). Dans to paint the door green, même si syntaxiquement green est un prédicateur secondaire, il exprime la prédication sémantique primaire ou noyau, tandis que to paint est un prédicat sémantique subordonné

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secondaire, et l’expression signifie ‘cause to become green by painting’. Ainsi, le verbe est subordonné au prédicat primaire et cette subordination prend la forme d’une clause subordonnée dans une représentation lexicale des constructions résultatives, notamment la SLC.

La structure sémantique consiste donc en une prédication noyau (core predication) qui exprime le changement d’état et une prédication subordonnée décrivant la manière par laquelle ce changement intervient. Ainsi, dans la SLC des constructions résulatives, l’objet transitif ou le sujet intransitif sont simultanément l’argument sémantique des deux prédicats, qui sont liés d’une certaine manière, à savoir par un opérateur de subordination.

La prédication noyau est réalisé par un préfixe, une particule ou un adjectif gradable et la prédication subordonnée par le (radical/thème (stem) du) verbe. Le sens du complexe dérivé est déterminé conjointement par les deux prédicats, souvent d’une manière non-compositionnelle. Par conséquent, les composants de la SLC résultative suivent tous le même pattern ‘(cause to) change state to X by Y’.

Dans les constructions résultatives (y compris les verbes à particule et les verbes préfixés), le sens du prédicat noyau peut être spécifique, avec une prédication secondaire adjectivale ou prépositionnelle, ou très vague, comme dans les combinaisons verbe-particule/préfixe. Le prédicat noyau doit indiquer la fin d’un trajet ou l’état résultant, qui doit se produire au moment où s’arrête l’action dénotée par le verbe. Là où le contenu sémantique du prédicat noyau est particulièrement vague, il se réduit à un constat qu’un point terminal a été atteint, se confondant avec un simple marqueur aspectuel de télicité (comme dans to eat one’s porridge up), mais les particules en anglais ne sont pas des véritables marqueurs d’aspect puisqu’elles exigent que l’objet subisse un changement d’état.

Effectivement, au moins superficiellement, les verbes à particules exemplifient essentiellement le même type de construction que les résultatifs parce que le prédicat secondaire doit nécessairement exprimer un changement d’état ou de lieu de l’objet. Par contraste avec les exemples en (298a et c), les objets en (298b et d) ne subissent aucun changement, ce qui rend ces exemples agrammaticaux : (298) a. She broke the planks apart.

b. *She walked the street across.

c. She wiped the table clean.

d. *She described the accident terrifying. (Spencer et Zaretskaya 1998 : 2 (5), 3 (6)) Spencer et Zaretskaya utilisent un modèle - structure lexicale conceptuelle SLC (suivant Jackendoff 1990) - où le prédicat a une représentation sémantique qui doit refléter tous les aspects du sens lexical qui sont reflétés dans la morphosyntaxe, d'une manière ou d'une autre (« LCS representation is a representation of the grammatically relevant aspects of semantic structure, not a complete semantic representation. »), qui est ensuite mappée sur la structure syntaxique via une gamme de règles de linking (éventuellement via la médiation d’un niveau séparé de structure argumentale du prédicat). Une structure lexicale conceptuelle peut être réalisée morphosyntaxiquement soit par un mot morphologique simple ou complexe, soit par un constituant/groupe syntaxique, soit par une expression morphosyntaxique qui montre certaines propriétés d’un mot et certaines d’un groupe (comme par exemple, les préverbes du hongrois, les verbes à particules dans les langues germaniques et les constructions à verbe léger dans le coréen, le japonais, etc.)

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Dans ce modèle, les composants de la structure lexicale conceptuelle des constructions résultatives (y compris les verbes à particule et les verbes préfixés) suivent le même pattern « (cause to) change state to X by Y ». Plus précisément, pour les verbes transitifs et pour les verbes inaccusatifs, la construction résultative aurait des représentations de la structure lexicale conceptuelle comme en (299a et b), où W est le prédicat résultatif noyau et V est le prédicat d’activité subordonné :

(299) a. [[CAUSE [ACT (x)], BECOME [W(y)]], BY [V(x)]

b. [[BECOME [W (x)], BY [V(x)]

Par exemple, pour ‘She paited the door green ‘ et ‘The river froze solid’, les représentations auront la forme en (300) :

(300) a. [[CAUSE [ACT (they)], BECOME [GREEN(door)]], BY [PAINT(they)]

b. [[BECOME [SOLID (river)], BY [FREEZE(river)]

Il y a des contraintes sur les types de la structure. Ainsi, les structures du type de (302), représentant des phrases transitives comme en (301), pour lesquelles une lecture résultative n’est pas disponible, sont impossibles, puisque dans une SLC résultative bien-formée les prédicats BECOME [W (x)] et ACT(x) ne doivent pas s’appliquent à la même variable, mais à deux variables différentes, notamment celles du verbe transitif V (x, y). Il s’agit de la restriction sur le choix du sujet de la prédication secondaire résultative, notamment la DOR, qui dit que la prédication résultative ne s’applique qu’aux seuls objets transitifs (et certains sujets intransitifs):

(301) a. Shei dug the ditch exhaustedi.

b. Shei painted the picture satisfiedi. (Spencer et Zaretskaya 1998, 6 (14)) (302) *[[CAUSE [ACT (x)], BECOME [W(x)]], BY [V(x, y)]

Les prédicats secondaires adjectivaux dans les exemples en (301) ne peuvent s’interpréter que comme des dépictifs, qui ne sont pas soumis à cette contrainte. L’introduction d’un objet réfléchi non-sélectionné peut introduire une lecture résultative, par exemple : ‘She dug herself into the ground’.

Pour qu’un verbe inergatif comme to sing puisse se produire dans une construction résultative, il faut introduire un objet réfléchi non-sélectionné : ‘She sang herself hoarse’. Sans pronom, pour ‘She sang hoarse’, l’interprétation résultative n’existe pas : le prédicat secondaire hoarse n’est interprétable que comme dépictif. Cela signifie que sans médiation d’un objet non-sélectionne (puisqu’il s’agit du verbe inergatif), la représentation SLC en (303) ne peut pas être projetée sur une représentation syntaxique bien-formée, puisque encore une fois BECOME et ACT utilisent la même variable, notamment celle du sujet:

(303) *[[CAUSE [ACT (x)], BECOME [W(x)]], BY [V(x)]

Pour faire intervenir l’objet, il faut que l’unique argument de la prédication subordonnée corresponde au participant de CAUSE, mais non à l’argument de l’inchoatif BECOME. Changée de cette manière, la SLC conviendrait pour représenter tous les cas avec un objet non-sélectionné,

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comme dans ‘They drank the pub dry’. Cette construction aurait la représentation en (304), qui est en effet conforme au pattern général répété en (305) :

(304) [[CAUSE [ACT (they)], BEC0ME [DRY (pub)]], BY[DRINK (they)]]

(305) [[CAUSE [ACT (x)], BECOME [W(y)]], BY [V(x)]

Spencer et Zaretskaya font le choix de ne pas faire figurer dans la SLC dans la clause subordonnée introduite par le prédicat BY de manière l’argument thème du verbe, c’est-à-dire de le représenter exclusivement comme un verbe d’activité inergatif ou transitif inergativisé dans le but de réunir sous le même pattern général les objets sélectionnés et non-sélectionnés. Le choix est justifié dans la mesure que les verbes transitifs et les verbes inergatifs appartiennent essentiellement à la même classe de verbes, ceux où la tête verbale V prend un complément nominal N (dans l’hypothèse que l’argument externe est introduit séparément, dans la projection suivante). Les inergatifs sont donc des transitifs cachés puisque leur complément s’incorpore dans la tête verbale. Ce complément peut correspondre soit à l’argument sélectionné (objet sous-catégorisé des transitifs et objets cognate des inergatifs) ou à l’argument non-sélectionné dans les constructions résultatives (pour les inergatifs et pour les transitifs inergativisés, c’est-à-dire, employés intransitivement). Selon Hale et Keyser 2002, la structure syntaxique-l des inergatifs (tête verbale V avec un complément DP) est typiquement associée avec le sens de création/production.

De plus, pour justifier leur choix de ne pas représenter l’objet du verbe dans la clause subordonnée de la SLC du pattern général représentant toutes les constructions résultatives, Spencer et Zaretskaya remarquent que dans les cas de l’objet non-sélectionné par un verbe inergatif (to sing oneself hoarse) ou un verbe transitif employé inergativement (to drink the bar dry), l’option d’une lecture

« accidentelle » est toujours présente. Cette lecture apparaît puisque le prédicat subordonné dénote une activité généralisée sans objet spécifique (to sing) ou avec un objet (to drink) mais qui n’est pas le même que l’argument du prédicat BECOME, à savoir the bar, entité non-buvable, dans to drink the bar dry. Il y a, bien sûr, des prédicats subordonnés dans les constructions résultatives qui dénotent des changements d’état survenus intentionnelement, comme par exemple, to paint the door green, mais ce n’est pas une nécessité conceptuelle. La possibilité d’une lecture « accidentelle » existe toujours, puisque la phrase comme ‘She painted the door green’ n’est pas exclue dans une situation où la porte devient verte par accident, résultant, par exemple, de la peinture d’un mur à côté.

En comparant les SLC des verbes préfixés en russe, par exemple en (306), avec celles de la construction résultative et des verbes à particule en anglais, Spencer et Zaretskaya remarquent qu’ils appartiennent au même type du prédicat complexe, notamment ils instancient tous le même pattern général en (305), cf. la discussion des exemples (280) et (281) ci-dessus. Se basant sur le fait que les trois constructions ont la même structure sémantique et qu’en russe les DPs qui suivent le verbe préfixé ont toutes les propriétés d’un objet direct régulier, ils soutiennent que les objets DPs (pour lesquels ils récusent l’appellation « faux », en insistant qu’il est plus justifié de les appeler « non-sélectionnés ») dans les trois constructions sont d’authentiques arguments du prédicat complexe.

(306) Ona is-pisala svoju ručku.

she IZ-write her pen-ACC

‘Her pen has run out of ink.’ (lit. She has written her pen out (of ink))

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En russe, le statut argumental des compléments des verbes préfixés transitifs ne fait aucun doute, parce qu’ils ne montrent pas de différences avec tous les autres objets directs. Ils sont marqués par l’accusatif, prennent le génitif dans les contextes négatifs, peuvent être passivisés, sont sujets de surface dans les constructions réfléchies moyennes et objets dans les nominalisations déverbales.

Quant aux verbes à particule à l’anglais, pour pouvoir définir leur objet comme sélectionné ou non-sélectionné, il faut choisir les combinaisons verbe-particule où un verbe, en se combinant avec une particule, retient suffisamment son sens afin de comparer la sélection du verbe à l’état isolé et avec la particule. Or il n’est pas le cas que dans toutes les combinaisons verbe-particule le verbe retient son sens : par exemple, dans to run up a bill, peut-on appeler a bill un objet non-sélectionné ? Néanmoins, dans les cas où le verbe retient au moins une partie de son sens original dans les constructions à particule, le complément du verbe combiné avec la particule n’est pas celui que ce verbe aurait sélectionné seul :

(307) a. Fido dug a bone up. vs *Fido dug a bone.

b. He ran Fido over. vs *He ran Fido.

c. He wrote his car off. vs *He wrote his car.

d. They drew a list up. vs *They drew a list.

(Spencer et Zaretskaya 1998 : 10 (33-36)) Dans ces exemples, les objets des verbes à particule (phrasal verbs) ne peuvent qu’être d’authentiques arguments directs.

Dans les constructions résultatives, il est beaucoup moins aisé de démontrer que l’objet non-sélectionné est un vrai argument du verbe, Puisque, normalement, l’objet non-non-sélectionné dans les constructions résultatives basées sur les verbes inergatifs ne passe pas les tests standards de argumenthood, contrairement à l’objet sélectionné des verbes transitifs. Par exemple, les nominalisations du verbe accompagné d’une particule donnent des résultats inacceptables, ce qui semble indiquer que herself et the pub ne sont pas de vrais arguments :

(308) a. the painting of the door red b. *the singing of herself hoarse

c. *the drinking of the pub dry. (Spencer et Zaretskaya 1998 : 9 (27)) Néanmoins, pour aligner les objets non-sélectionnés des constructions résultatives en anglais avec les objets non-sélectionnés des verbes à particule en anglais et des verbes préfixés en russe, c’est-à-dire pour démontrer leur statut argumental, Spencer et Zaretskaya remarquent que, premièrement, tout réfléchi, même sélectionné par le verbe, est exclu en tant qu’objet de la nominalisation en –ing et, deuxièmement, le changement d’ordre des mots améliore leur acceptabilité : en (309), les nominalisations du résultatif et du verbe à particule semblent se comporter de la même façon:

(309) a. *the drinking of the pub dry vs ?the drinking dry of the pub b. *the wiping of the table down vs ?the wiping down of the table

(Spencer et Zaretskaya 1998 : 9 (27, 29), 10 (30))

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En ce qui concerne l’inacceptabilité des participes passifs adjectivaux formés sur les résultatifs avec les verbes inergatifs, quand ils sont placés après le nom modifié, ils deviennent acceptables :

(310) a. *a drunk dry teapot

b. The pub, drunk dry by an entire football team, looked a sorry place.

Le dernier et principal argument pour démontrer que la construction résultative est effectivement formée au niveau lexical comme un prédicat complexe, vient du constat que les résultatifs sont lexicalement restreints, c’est-à-dire seuls certains types de lexème peuvent réaliser le prédicat sémantique primaire/prédicateur syntaxique secondaire. Ainsi, la majorité d’objets non-sélectionnés comme par exemple, to work one’s fingers to the bone ou to drink the pub dry viennent des prédicats idiomatiques ou non-compositionnels. Même les résultatifs interprétés compositionellement ne sont pas productifs à cent pour cent, puisqu’il semble qu’il existe des restrictions lexicales apparemment arbitraires sur les prédicats qui peuvent y figurer : to wipe the glasses clean vs. *to wipe the glasses shiny. Spencer et Zretskaya concluent que les résultatifs en anglais sont également dérivés du pattern SLC en (305) où l’argument du prédicat inchoatif dans la SLC est projeté sur une position argumentale, irrespectivement du fait s’il est également un argument du prédicat subordonné, afin de pouvoir réunir dans le même pattern général les objets sélectionnés et non-sélectionnés.

Spencer et Zaretskaya plaident donc en faveur d’une analyse des constructions résultatives adjectivales, ensemble avec les constructions verbe-particule et verbe préfixé (avec une différence importante que les adjectifs résultatifs comme dry dans to drink the pub dry sont sémantiquement beaucoup plus spécifiques que les particules/préfixes, dont le sens est très vague) en termes de subordination lexicale, c’est-à-dire, en termes de prédicat complexe formé lexicalement avec une option d’être réalisé phrasally en syntaxe. Selon eux, les parallélismes entre les constructions résultatives, à verbe à particule et à verbe préfixé en anglais et en russe ne sont pas accidentels, mais s’expliquent par leur approche commune en tant que prédicats complexes formés par la subordination lexicale, au niveau de la représentation sémantique et non en syntaxe. Spencer et Zaretskaya defendent l’analyse unifiée des résultatifs anglais, des verbes à particule anglais et des verbes lexicalement préfixés russes puisqu’un phénomène commun à ces trois constructions est l’objet non-sélectionné, dont l’existence même peut être mieux compris si les verbes à particule et les verbes préfixés partagent le même pattern SLC avec les résultatifs.

2.6.4 Groupes résultatifs, préfixes lexicaux et particules séparable et la structure

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