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Les constructions résultatives de changement d’état vs. celles de changement de lieu :

2.4 Analyse des constructions résultatives en termes de structure événementielle

2.4.4 Les constructions résultatives de changement d’état vs. celles de changement de lieu :

Tous les exemples qui contredisent (au moins, à première vue) la DOR, à savoir, ceux avec les verbes transitifs où le résultatif prédique à propos du sujet, répétés en (222) sont des constructions résultatives de changement de lieu, et non de changement d’état. Malgré le fait qu’ils partagent certaines propriétés, un changement de lieu et un changement d’état représentent deux notions fondamentalement différentes: le second est plus complexe conceptuellement que le premier. Or si ces deux types de changement sont différents, on ne peut pas analyser de la même manière les constructions qui les mettent en place.

En guise de rappel : dans une construction résultative standard, le verbe dénote une activité et le groupe résultatif dénote un état atteint résultant de l’activité. La contrainte DOR dit qu’en anglais, le XP résultatif prédique toujours à propos de l’objet syntaxique. Sauf l’objet sous-jacent des verbes inaccusatifs et passifs, cet objet peut se réaliser de trois manières différentes : en tant qu’objet sélectionné par un verbe transitif, mais aussi en tant qu’objet non-sélectionné ou comme un « faux » pronom réfléchi avec des verbes inergatifs et transitifs, employés intransitivement.

(221) a. Mary wiped the tablei cleani.

b. Philemon drank [the coffee pot]i emptyi. c. John screamed himselfi hoarsei.

En (221a), le XP résultatif est prédiqué à propos de l’objet thématique du verbe ; en (221b), le sujet de prédication de ce XP est un objet non-sélectionné, c’est-à-dire, non sous-catégorisé par le verbe ailleurs que dans cette construction; en (221c), le XP résultatif est prédiqué d’un « faux » réfléchi, qui est introduit, avec un verbe inergatif, pour satisfaire la DOR.

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Néanmoins, il existe des exemples des constructions transitives résultatives où, en violation de la Restriction DOR, le XP résultatif semble prédiquer à propos du sujet :

(222) a. The wise men followed [the star] out of Bethlehem.

b. John danced [mazurkas] across the room.

c. (you) Fly [American Airlines] to Hawaii for your vacation!

Il y a pourtant une différence importante entre les exemples en (221) et en (222) : les premiers expriment un changement d’état, et les secondes un changement de lieu. D’après Mezhevich 2003, les exemples en (222) ne violent pas la DOR puisque ce ne sont pas de « vraies » constructions résultatives, dénotant un changement d’état, mais, selon elle, des « constructions à PP de but ».

Malgré des similitudes conceptuelles, sémantiques et aspectuelles, le changement d’état et le changement de lieu ne relevant pas du même type de changement, ces deux types de construction sont susceptibles de recevoir des analyses différentes.

Les notions de changement d’état et de changement de lieu ont beaucoup de propriétés en commun : et le changement physique de lieu, et le changement abstrait d’état impliquent la notion de transition de l’état A/lieu A vers l’état B/lieu B et les deux types de construction expriment un changement résultant d’une activité. C’est pourquoi les deux constructions ont la même structure aspectuelle. Les XPs résultatifs et les PP de but affectent aspectuellement le prédicat de base de manière identique : ils dérivent des accomplissements à partir d’activités en délimitant l’événement dénoté par le verbe de base. En (223), l’adverbial de laps de temps in x time est possible s’il est précédé par un XP de résultat ou un PP de but :

(223) a. Terry watered her lawn [*in an hour].

b. Terry watered her lawn soggy [in an hour].

a’. John walked [*in an hour].

b’. John walked to the river [in an hour].

a’’. The wise men followed the star [*in an hour].

b’’. The wise men followed the star out of Bethlehem [?in an hour].

Néanmoins, il y a des différences importantes entre les deux types de construction. Dans la littérature, une distinction est faite entre les résultatifs « vrais » et « faux » (par exemple, Pustejovsky 1991; Rapoport 1999). Dans les vraies constructions résultatives en (224), le XP résultatif décrit un (sous-)événement – état résultant - non-spécifié lexicalement par le verbe, tandis qu’avec les « faux » résultatifs, comme en (225), le XP final pseudo-résultatif ne fait que modifier l’état final déjà lexicalement spécifié par le verbe.

(224) a. Terry watered the daffodils flat.

b. Birthdays provide the perfect excuse to flatter Libras silly.

(225) a. John cut the bread into thick slices.

b. Mary melted the snowman into a puddle. (Mezhevich 2003 : 169)

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En (224), il n’a rien dans le sens lexical des verbes to water et to flatter qui suggère que les actions dénotées par ces verbes résultent en états d’aplatissement ou de niaiserie, respectivement. En revanche, en (225) quand un objet est coupé ou fondu, il finit inévitablement en plus d’une pièce ou en état liquide, respectivement.

Même si la distinction peut sembler subtile, seuls les XPs résultatifs dans de vraies constructions résultatives change l’aspect lexical du prédicat, contrairement aux XPs finaux pseudo-résultatifs : (226) a. Terry watered her lawn [*in an hour]. vs.Terry watered her lawn soggy [in an hour].

b. Smith melted the statue (into a puddle) [in five minutes].

Cette différence entre le XP résultatif en (226a) et le XP pseudo-résultatif en (226b) vient de la différence dans la configuration syntaxique de ces éléments : le premier est complément, le second – adjoint optionnel. Ainsi, même si les constructions avec un vrai XP résultatif et un XP pseudo-résultatif décrivent une activité et le résultat auquel l’activité aboutit, les constructions avec le deuxième ne sont pas des vraies constructions résultatives puisque le XP pseudo-résultatif ne décrit pas un (sous-)événement lexicalement indépendant, mais ne fait que détailler l’état résultant, lexicalement encodé par la variante causative du verbe de changement d’état to melt. Parallèlement, les constructions à PP de but en (222) ne sont pas de vraies constructions résultatives puisque leurs PPs de but ne décrivent pas des (sous-)événements indépendants, mais seulement des lieux résultants, c’est-à-dire, les points d’arrivée du mouvement dirigé.

En plus du fait que dans de vraies constructions résultatives, l’activité et le résultat dont l’activité est la cause décrivent deux (sous-)événements indépendants, l’ajout d’un vrai XP résultatif affecte seulement la classe lexicale aspectuelle du verbe principal qui ne change pas de sens et préserve sa structure argumentale. En revanche, dans les résultatifs de changement de lieu, l’ajout d’un PP de but affecte le sens du verbe, puisque son interprétation change. Par exemple, les verbes de mouvement to run ou to dance sont ambigus entre deux lectures : de manière pure de mouvement et de mouvement dirigé. Ces verbes suivis d’un XP résultatif dénotant un changement d’état, gardent leur ambiguïté : en (227), la phrase continue d’être ambiguë entre les deux lectures :

(227) Jane danced her feet black and blue…

→ dancing around the room mouvement dirigé

→ dancing on the spot manière de mouvement

En revanche, le même verbe suivi par un PP exprimant un changement de lieu n’a plus de lecture de manière de mouvement. Le PP de but n’est pas compatible avec la lecture de manière de mouvement :

(228) Jim danced Agnes into the hallway…

→ dancing across the room mouvement dirigé

→ # dancing on the spot manière de mouvement

De plus, seuls les verbes interprétés comme des verbes de mouvement dirigé peuvent figurer avec les PPs de but. Par exemple, le verbe to push est un verbe de transmission de force qui peut, ou ne peut pas, résulter en un changement de lieu de l’entité dénotée par l’objet direct. Le PP de but est

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compatible seulement avec les objets compatibles avec une lecture de changement de lieu, c’est-à-dire, avec un objet qui se déplace :

(229) a. Terry and Bonnie pushed the elevator button/the piano.

b. Terry and Bonnie pushed *the elevator button/the piano into the room.

(Mezhevich 2003, 169)

Revenons aux contre-exemples à la contrainte DOR, qui expriment toujours un changement de lieu, jamais un changement d’état, répétés en (230)

(230) a. The wise men followed [the star] out of Bethlehem.

b. John danced [mazurkas] across the room.

c. (you) Fly [American Airlines] to Hawaii for your vacation!

En s’appuyant sur ces exemples, Levin et Rappaport Hovav 2001 et 2004 rejettent la Restriction DOR et proposent une analyse événementielle des constructions résultatives, qui, selon elles, peuvent avoir une structure événementielle simple ou complexe. Les événements avec une structure complexe impliquent deux événements temporellement indépendants : l’événement dénoté par le verbe commence avant la progression vers l’état résultant et ne s’étend pas jusqu’à ce que le résultat soit atteint. Par exemple, en (231a), Philemon et Mary ont pu devenir étourdis seulement après avoir fini de danser et en (231b) le bébé a pu s’endormir 15 minutes après avoir fini de pleurer:

(231) a. Philemon and Mary danced (#themselves) dizzy.

b. The baby cried (*itself) to sleep. (Mezhevich 2003 : 172 (22)) En revanche, la structure événementielle simple consiste en deux événements temporellement dépendants : la progression vers le résultat commence simultanément avec l’événement dénoté par le verbe qui s’étend jusqu’à ce que le résultat ne soit atteint :

(232) a. Tracy danced to the other side of the stage.

b. Kelly ran to the library. (Mezhevich 2003 : 173 (23)) L’approche en termes de structure d’événement explique le contraste entre les résultatifs basés sur les verbes intransitifs avec le pronom réfléchi (le pattern réfléchi) en (231) et sans pronom (le pattern à XP résultatif nu) en (232) : les résultatifs avec le pronom réfléchi ont une structure événementielle complexe et ceux sans pronom – une structure simple. Le postulat essentiel dans l’analyse de Levin et Rappaport Hovav est que la situation du monde décrit par une construction résultative avec un XP nu est toujours construit linguistiquement comme un événement simple. Couplé avec la condition Argument-per-Subevent, qui dit qu’il doit y avoir au moins un argument XP dans la syntaxe par chaque sous-événement dans la structure événementielle, cela signifie que le pronom réfléchi doit être présent quand l’événement est complexe, puisque le verbe et le XP résultatif dans une structure événementielle complexe doivent chacun prédiquer à propos d’un constituant syntaxique distinct.

Par conséquent, même si les contre-exemples pour la DOR sont basés sur les verbes transitifs avec d’authentique objets directs, ils ont une structure événementielle simple où le verbe et le XP résultatif prédiquent à propos du même constituant syntaxique, à savoir, le sujet.

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Selon Mezhevich 2003, le problème avec cette explication est que les vrais résultatifs et les constructions à PP de but se comportent différemment dans les deux patterns - à pronom réfléchi et à XP nu - , et cela indépendamment des caractéristiques temporelles de la construction.

D’un côté, seul le pattern réfléchi est possible avec les vraies résultatifs : to sing oneself hoarse vs *to sing hoarse ; to party oneself out of a job vs *to party out of a job ; to read oneself into an inferiority complex vs *to read into an inferiority complex. Pourtant, il est facile d’imaginer une situation où ces résultatifs auraient une structure d’événement simple : par exemple, on peut devenir enroué exactement au moment quand on finit de chanter. Si la présence vs. l’absence du pronom réfléchi avait été déterminée par la relation temporelle entre les deux sous-événements, les deux patterns (avec ou sans pronom) auraient été disponibles en fonction de la situation décrite par la construction en question, mais ce n’est pas le cas. De l’autre côté, les deux patterns existent pour les constructions à PP de but, mais ici aussi la présence (vs. l’absence) du pronom réfléchi ne reflète pas la relation d’indépendance temporelle entre les deux sous-événements, mais a plutôt un effet pragmatique. Par exemple, en (233a et b), où le pronom est présent, l’agent est décrit comme surmontant un obstacle dont le franchissement demande beaucoup d’efforts et une véritable intention de se retrouver dans un lieu souhaité (ce qui suggère apparemment son statut en tant qu’argument externe dans une configuration inergative), par comparaison avec les mêmes phrases sans pronom (où, par opposition, il s’agirait d’une configuration inaccusative):

(233) a. The boy walked [himself] thirty-seven blocks to the emergency room. vs a.’ The boy walked thirty-seven blocks to the emergency room.

b. After school I marched [myself] down to the public library. vs

b’. After school I marched down to the public library. (Mezhevich 2003 : 175 (29, 30)) Selon Mezhevich, tout cela suggère que les vraies constructions résultatives et les constructions à PP de but ne peuvent pas recevoir d’analyse unifiée basée sur la différence des propriétés temporelles entre deux types de structure événementielle, simple et complexe. Si la distinction entre les deux types de structure d’événement des constructions résultatives semble correcte, la relation temporelle entre les deux (sous-)événements n’est pas pertinente pour cette distinction et la présence comparée à l’absence du pronom réfléchi ne reflète pas l’indépendance comparée à la dépendance temporelle entre les (sous-)événements. Quant à la complexité par rapport à la simplicité de la structure événementielle de la situation correspondante, ce n’est pas la relation temporelle entre les sous-événements qui compte, mais la relation entre le changement et l’activité à l’origine de ce changement.

Puisque dans le monde réel, le changement d’état peut ne pas suivre immédiatement l’activité à son origine, le lien entre le changement et l’activité à l’origine de ce changement n’est pas toujours évident, puisque déterminé pragmatiquement, non lexicalement. Le changement d’état peut ne pas suivre immédiatement l’activité à son origine. C’est pourquoi, le changement d’état est toujours conceptualisé comme un événement avec la structure complexe, indépendamment de la relation temporelle entre les deux sous-événements. Les vraies constructions résultatives, celles de changement d’état, sont donc toujours associées avec la structure événementielle complexe.

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En revanche, dans le monde réel, le lien entre le changement de lieu et l’activité qui l’a provoqué, c’est-à-dire le mouvement dirigé de l’entité en question, est toujours direct et immédiat : le changement de lieu ne peut que coïncider temporellement avec le mouvement qui l’a provoqué. Par conséquent, le changement de lieu est conceptualisé comme un événement simple et les constructions avec le PP de but sont toujours associées avec une structure événementielle simple.

Il faut se rappeler que le changement de lieu est le seul type de changement d’état qui peut être prédiqué à propos d’une entité (qui a les propriétés de l’) agent, avec les verbes de manière de mouvement. Le changement de lieu n’est pas exactement la même chose que le changement d’état : une entité peut changer sa position par ses propres efforts, sans avoir à agir réflexivement sur soi (il y a une différence entre les événements de se déplacer dans une pièce, par exemple, en marchant, et de se raser), c’est-à-dire, sans recourir au pronom réfléchi dans la syntaxe. De ce fait, dans cette seule situation, un XP résultatif peut exceptionnellement s’appliquer au participant qui correspond à l’agent du prédicat d’activité : ‘Kim danced ??(herself) out of the room’. Dans toutes les autres situations, on doit prédiquer un changement d’état du type qui peut arriver à un thème/patient seulement (le XP résultatif de changement d’état est toujours prédiqué à propos de l’entité thème ou patient), d’où la nécessité du pronom réfléchi dans la syntaxe : ‘Philemon and Mary danced ( ??themselves) dizzy‘ ou ‘The baby cried (*itself) to sleep’.

Dans les termes de proto-rôles thématiques de Dowty 1991, l’entité qui subit un changement d’état quelconque doit avoir plus d’implications (entailments) du proto-thème, que celles du proto-agent, sinon elle ne serait pas susceptible de subir un changement au cours de l’événement dénoté. Si cette entité est aussi un agent, alors les propriétés du proto-agent et les propriétés du proto-thème sont prédiquées à propos d’une seule et même entité. Cela serait possible seulement avec les prédicats de changement d’état si l’entité agit sur soi-même afin d’effectuer son propre changement d’état, produisant en syntaxe une construction réfléchie. Cela explique pourquoi le réfléchi ne peut pas être considéré comme un tenant-lieu syntaxique vide de tout contenu.

La seule exception est celle où le changement d’état est en fait le changement de lieu qui s’est produit grâce à la locomotion de l’agent lui-même. Une telle entité aurait suffisamment d’implications du proto-thème pour se définir comme une entité déplacée mais gardant en même temps son statut d’agent. En se rasant on traite son propre corps comme un thème, mais en se déplaçant soi-même, on a à la fois les implications du proto-agent et du proto-thème. C’est pourquoi les verbes de manière de mouvement (comme par exemple, courir) sous une lecture d’activité seraient, dans certaines langues germaniques et romanes, inergatifs (en jugeant par leur choix de l’auxiliaire), mais comme des verbes de mouvement dirigé, avec un complément directionnel, auraient les propriétés des verbes inaccusatifs.

Pour conclure, les constructions exprimant le changement d’état et les constructions exprimant le changement de lieu doivent être appréhendées différemment, en termes de structure d’événement complexe pour les premières et simple, pour les secondes. Cela signifie que les constructions avec les PP de but en (230), qui ne sont effectivement pas de vraies constructions résultatives et qui ne doivent pas être analysées comme telles, ne sont pas sous la portée de la DOR. Par conséquent, ces exemples ne violent pas cette contrainte. Si, effectivement, ces constructions correspondent à une structure événementielle simple, cela suggère une configuration inaccusative, malgré les apparences d’une configuration transitive de ces exemples, avec le groupe prépositionnel de but comme un

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adjoint optionnel. En outre, si le pronom réfléchi n’est pas présent dans les constructions résultatives pour distinguer un événement complexe d’un événement simple, dans les termes de l’(in)dépendance temporelle des sous-événements dans la construction résultative, la présence du pronom réfléchi, dans certaines résultatives, est alors due aux facteurs configurationnels, purement syntaxiques, autrement dit, à la Restriction sur l’Objet Direct.

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