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Prédicteurs du développement post-traumatique dans le champ du deuil

Chapitre 3 : Le développement post-traumatique et le deuil

3.3 Prédicteurs du développement post-traumatique dans le champ du deuil

Un certain nombre de facteurs contextuels semblent associés au développement post- traumatique : tout d’abord la nature de l’événement stressant (Currier et al., 2012) ou plutôt la perception de la sévérité de l’événement. Armstrong et Shakespeare-Finch (2011) ont en effet mené une étude auprès de 146 endeuillés ayant perdu soit un parent du premier degré, soit un parent du second degré, soit un ami non-apparenté ; ils ont d’autre part recueilli la perception de la sévérité du trauma chez ces personnes. Ce dernier facteur prédit positivement et de manière significative le niveau de DPT. Les participants ayant perdu un parent du premier degré montrent un DPT plus important que les deux autres groupes ; par ailleurs, ils rapportent la sévérité la plus importante, par rapport aux 2 autres sous-groupes. Il semble donc que plus la perte est sévère, plus le développement traumatique est potentiellement important. On pourrait aussi dire que pour que le DPT émerge, l’événement, ici la mort et la perte du conjoint, doit être traumatisant pour la personne. On peut s’interroger sur ce qui vient conférer à la perte d’un conjoint un caractère particulièrement traumatisant. La nature brutale et inattendue du décès, ou plutôt les éléments associés à des décès brutaux, comme la violence, le caractère souvent éminemment agressif de ceux-ci (mort par homicide, accident de la route, etc.) apparaissent accentuer cette nature traumatisante dans le champ du deuil (e.g. Calhoun, Tedeschi, Cann & Hanks, 2010). Comme le rappellent les auteurs, le décès d’un conjoint peut faire vasciller les croyances que chacun possède à propos de soi, des autres, et du monde en général (Janoff-Bulman, 1992 ; Parkes, 1988). Mais il convient d’explorer plus en détails en quoi la mort d’un proche est ainsi potentiellement traumatisante, tant cette question préside à la tendance actuelle de médicaliser (voire pathologiser) le deuil (Fasse, Flahault & Sultan, 2013b).

La littérature spécialisée commence à s’interroger de manière de plus en plus précise sur la question de la quantité de temps écoulée après l’événement traumatisant pour

qu’émerge le DPT. Là encore, les résultats demeurent imprécis. Si de nombreux auteurs ont avancé qu’il fallait attendre plusieurs mois, voire des années, pour que le développement post- traumatique se déploie (e.g. Tedeschi & Calhoun, 2004), des études plus récentes ont montré, soit que le temps écoulé n’était pas associé significativement avec l’apparition d’un DPT (Helgeson, Reynolds & Tomich, 2006), soit que celui-ci pouvait émerger très vite après l’événement traumatisant. Caserta, Lund, Utz et de Vries, (2009) mettent ainsi en relief que des conjoints récemment endeuillés (depuis deux à six mois) rapportent des niveaux de DPT significatifs. Il semble que des études longitudinales seraient plus à même d’investiguer chez les endeuillés la variabilité du développement post-traumatique en fonction du temps.

Concernant le rôle des variables sociodémographiques dans le phénomène du DPT, il semble que les femmes rapportent un DPT plus important que les hommes (Wortman, 2004). Un âge avancé paraît favoriser un développement post-traumatique, grâce à une propension à apprendre des expériences passées, et notamment des deuils antérieurs (e.g. Aldwin & Levenson, 2004; Schaefer & Moos, 2001). Néanmoins, une perspective alternative souligne que les personnes âgées sont plutôt résilientes, minimisant l’impact des événements difficiles sur leur existence. En effet, le DPT est moins susceptible de se déployer chez les personnes résilientes dans la mesure où l’impact traumatogène (par exemple d’un deuil) n’est pas autant expérimenté, la ‘lutte’ pour (se) reconstruire n’étant pas aussi difficile. Cette idée épouse la perspective selon laquelle les individus les plus jeunes ont tendance à percevoir les événements de vie difficiles comme plus stressants, ce qui exige des efforts d’adaptation conséquents, ces efforts entraînant une possibilité plus importante pour qu’émerge un développement post-traumatique ((Helgeson, Reynolds & Tomich, 2006).

Certains facteurs intrapersonnels, relevant du fonctionnement psychologique de l’individu confronté à l’événement traumatisant, semblent jouer un rôle crucial dans l’occurrence du DPT, ou dans son intensité. Adoptant une approche assez classique, issue de de la théorie du stress et du coping, Ho, Chu et Yiu (2008) montrent auprès d’une population d’endeuillés (décès advenu dans les six années passées) que le développement post- traumatique est lié à la manière dont les personnes vont évaluer l’événement stressant. Plus précisément, le DPT serait associé avec le style explicatif des individus : les personnes ayant un style internalisant face aux événements positifs (attribuant comme causes à ceux-ci des motifs internes, globaux et stables) rapportent un DPT plus important que celles y attribuant des motifs externes, spécifiques et instables. Les auteurs font l’hypothèse que ce style interprétatif internalisant face aux événements positifs favorise, à long terme, les processus de

mise en sens lors du deuil, processus qui, à leur tour, facilitent l’émergence du DPT. Le style explicatif face aux événements négatifs n’est en revanche pas lié au DPT (Ho, Chu & Yiu, 2008). Cette perspective selon laquelle des mécanismes cognitifs liés à la mise en sens de la perte et des retentissements de la mort d’un être cher, favorisent le développement post- traumatique, est riche de perspectives thérapeutiques. Aguirre (2009) montre ainsi que la capacité à trouver une cohérence (entre la perte et les représentations antérieures de la personne endeuillée sur elle-même, le monde, les autres), un sens à son deuil et à son existence, la possibilité de réinterpréter positivement l’expérience douloureuse, étaient corrélées positivement au DPT, quels que soient la cause de la mort et le temps écoulé depuis le décès.

Cadell, Regehr et Hemsworth (2003) soulignent, quant à eux, que le soutien social perçu et surtout la spiritualité (pratiques spirituelles au sens large et référence à une entité supérieure, pas nécessairement dans le cadre d’une religion), sont positivement associés au développement post-traumatique, chez des personnes ayant perdu leurs conjoints des suites du VIH de un an à 18 ans plus tôt. Caserta, Lund, Utz et de Vries (2009) mettent en lumière des résultats semblables (ici plus précisément du recours à la religion) quant à l’apparition du DPT chez les endeuillés. Les styles de coping paraissent également déterminer la manière dont le développement post-traumatique va se déployer. Dans une recherche auprès d’enfants et d’adolescents endeuillés (âgés de 8 à 16 ans) d’un de leurs parents, Wolchik, Coxe, Tein, Sandler et Ayers (2009) montrent que le coping interpersonnel des participants (recherche de soutien venant des parents, de proches adultes, de la fratrie ou des pairs) est fortement lié au DPT. Ce style de coping prédit de manière significative les relations aux autres, l’émergence de nouvelles possibilités et la conscience des forces personnelles, le temps écoulé depuis la mort, la cause du décès, et l’âge de l’endeuillé étant contrôlés.

Si l’on investigue plus spécifiquement le DPT après un décès, les styles de coping de deuil ont là aussi été identifiés comme des prédicteurs importants de son occurrence. En effet, dans l’étude que nous avons précédemment évoquée, menée auprès de conjoints récemment endeuillés, Caserta, Lund, Utz et de Vries (2009) ont mis en évidence que plus les personnes étaient engagées dans des processus centrés sur la restauration (faire face aux nouvelles exigences de la vie courante sans le défunt par exemple), plus elles rapportaient un développement post-traumatique important ; cette association étant modérée par la religion (elle devient alors plus forte, lorsque les endeuillés rapportent une croyance religieuse plus importante). Ce résultat met en évidence que le fait de se tourner de manière marquée vers

tout ce qui concerne ‘l‘après sans le défunt’ peut faciliter l’ouverture vers de nouvelles possibilités, comme l’accès à de nouvelles compétences. Il semble important de préciser que ce mouvement n’est pas incompatible avec les processus tournés vers la perte : les deux mouvements peuvent coexister. Mais il paraît nécessaire que la personne endeuillée soit, au moins à certains moments, engagée dans les processus centrés sur la restauration, pour rapporter un DPT. Là encore, des études longitudinales permettraient de mesurer quelle oscillation (et à quelle période, selon quel rythme) est nécessaire entre les deux processus, pour favoriser le DPT.

Quelques études récentes commencent à envisager les styles d’attachement comme prédicteurs du développement post-traumatique. En effet, il paraît crucial d’étudier cette variable dans le champ du deuil, où l’attachement joue un rôle si important (e.g. Stroebe & Schut, 1999). Evoquons brièvement le raisonnement concernant le lien entre attachement et DPT, par le biais de la mise en œuvre réussie du système d’exploration de l’individu. Selon la théorie de l’attachement, les éléments positifs consécutifs à une situation négative et difficile peuvent être compris comme les résultats d’une mise en jeu du système d’exploration (Field & Filanosky, 2010). Lorsqu’un individu a recours de manière efficace à une figure d’attachement comme base sécure, la mise en œuvre de son système exploratoire est facilitée, ouvrant la voie au développement de nouvelles compétences et possibilités (Bowlby, 1968). Bratkovich (2011) met en évidence auprès de 131 collégiens ayant perdu un camarade, qu’un style d’attachement préoccupé (caractérisé par une angoisse de perdre l’autre, par un besoin d’être rassuré quant à l’attachement de l’autre) et un style d’attachement sécure, étaient tous deux positivement corrélés au développement post-traumatique. On peut faire l’hypothèse que le décès d’un être cher représente, pour des personnes insécures préoccupées, un événement mettant considérablement à mal leur base sécure. Le défi que constitue alors pour elles le retour à un fonctionnement plus apaisé laisse la place à l’émergence du DPT. Nous retrouvons ici l’idée selon laquelle plus la détresse est marquée, et plus le DPT est potentiellement important. Les individus sécures, quant à eux, sont plus à même que les insécures de déployer des mécanismes cognitifs liés à la mise en sens de la perte. Ces processus favorisant alors le développement post-traumatique.

En s’appuyant sur les travaux portant sur la continuation des liens (continuing bonds, CB), directement issus de la théorie de l’attachement (Bowlby, 1968), Field et Filanosky (2010) montrent que des liens internalisés sont positivement corrélés avec le développement post- traumatique. Ainsi, « le recours aux représentations mentales du défunt comme base sécure

facilitant l’intégration de la perte » est lié positivement au DPT (2010, p. 2, traduction personnelle). Quelques recherches investiguent des éléments en lien avec la nature de la relation au défunt : la satisfaction par rapport à la vie conjugale passée (Itzhar-Nabarro & Smoski, 2012), ou encore la possibilité d’accéder spontanément à des souvenirs positifs liés au défunt (e.g. Gamino, Sewell & Easterling, 2000). Or, il a été établi que ces deux issues (satisfaction maritale et appel mnésique de souvenirs positifs) étaient associées à un attachement sécure (e.g. Jones, Welton, Oliver & Thoburn, 2011 ; Kelleter, 2012). Néanmoins, l’investigation des styles d’attachement (et pas seulement des CB) pour comprendre le déploiement du DPT dans le deuil demeure très rare (Neimeyer, 2010).

De manière intéressante, de plus en plus d’études évoquent l’intérêt de choisir le développement post-traumatique comme cible thérapeutique (e.g. Little, Akin-Little & Somerville, 2011 ; Zoellner, Rabe, Karl & Maercker, 2011). Nous n’évoquerons ici que des résultats en lien avec le deuil. Wagner, Knaevelsrud et Maercker (2007) montrent dans une étude randomisée portant sur l’efficacité de thérapies de deuil par internet que le DPT peut être majoré par des interventions de type cognitivo-comportemental et basées sur l’écriture. Ces interventions ont comme objectif de diminuer les phénomènes d’intrusion et d’évitement, et de favoriser l’adaptation émotionnelle des endeuillés (par exemple en proposant des exercices de restructuration cognitive pour lutter contre des mouvements de culpabilité liés au décès). Les résultats de cette étude mettent en évidence que le niveau de DPT post- intervention est corrélé avec une diminution moindre de l’évitement après l’intervention. Les auteurs en concluent que le développement post-traumatique pourrait fonctionner comme une sorte d’illusion protectrice, très liée à l’évitement, comme cela a été souligné dans le modèle de Janus du DPT (Zoellner & Maercker, 2006).

A notre connaissance, le modèle le plus récent et le plus intégratif concernant le développement post-traumatique dans le deuil est celui de Calhoun, Tedeschi et collègues (e.g. Calhoun & Tedeschi, 2006). Nous en avons présenté dans les lignes précédentes les aspects centraux. La figure 2 présente ce modèle dont la pertinence a été testée empiriquement auprès de plusieurs populations d’endeuillés. Il possède également l’avantage de prendre en compte des facteurs tant dispositionnels (émotionnels et cognitifs notamment), que contextuels (nature du décès par exemple), et sociaux (culture de l’endeuillé) et ce de manière dynamique et dialectique. A la page suivante figure le modèle de Tedeschi et Calhoun (2008)

On remarquera que ce modèle accorde une place centrale aux préconceptions que tout individu entretient sur le monde (world assumptions, assumptive world beliefs), et à la mesure selon laquelle le deuil vient entamer ou détruire ces conceptions (Janoff-Bulman, 1992, 2006). Plus la mort met à mal ces préconceptions personnelles (par exemple : mort d’un enfant, ou brutalité et caractère inattendu du décès…) et plus la détresse, la symptomatologie post- traumatique et le développement post-traumatique, vont être importants. Lors des processus de (re)construction des conceptions sur soi et sur le monde, l’influence de mécanismes cognitifs tels que la rumination, mais aussi l’importance de la culture, du soutien social perçu, vont être déterminants.

En bref, plusieurs questions demeurent irrésolues concernant le développement post- traumatique. Si nous nous centrons sur la problématique du présent travail : des conjoints endeuillés après un cancer rapportent-ils un développement post-traumatique lié à leur deuil ? Comment ce phénomène s’articule-t-il avec leur adaptation émotionnelle ? Est-ce un processus, en quelque sorte un ‘moyen’ d’aller mieux, ou une issue, résultant des stratégies de faire face ? Le DPT se modifie-t-il au fil du temps ? Park et Helgeson (2006) ont montré que ces questions restaient sujet à débat, et que seules des études longitudinales prenant en compte des facteurs contextuels et dispositionnels pourraient apporter un éclairage pertinent.

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