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Chapitre 3 : Le deuil compliqué

3.4 Facteurs de risque

Depuis quelques années, les études se multiplient pour tenter de proposer des perspectives de prévention, celles-ci impliquant l’identification de facteurs de vulnérabilité face au trouble du deuil prolongé. Néanmoins, l’étude de ces prédicteurs reste généralisante, sans se consacrer à un champ en particulier, soit pour le champ qui nous intéresse : le deuil du conjoint après un cancer. En effet, à notre connaissance, seules deux études (Lombardo et al. 2012 ; Schulz, Boerner, Shear, Zhang et Gitlin, 2006) s’attachent à investiguer ces éléments

dans un contexte spécifique : le deuil des caregivers de patients atteints de démences séniles. Notre revue de littérature (Fasse et al., 2013c) a souligné combien les études empiriques restaient peu spécifiques au deuil conjugal, et au contexte du cancer.

Une première classe de prédicteurs a trait aux expériences précoces de l’endeuillé, pendant son enfance ; en effet un style d’attachement anxieux, des deuils vécus pendant la prime enfance, le fait d’avoir été victime d’abus, sont autant d’éléments qui peuvent favoriser un TDP à l’âge adulte (Bonanno et al., 2002 ; Clark, Cole & Enzle, 1990; Li, Precht, Mortensen & Olsen, 2003; Lobb et al., 2010 ; Silverman, Johnson & Prigerson, 2000 ; Vanderwerker, Jacobs, Parkes & Prigerson, 2006 ; van Doorn et al., 1998).

Les facteurs associés à la relation entre le défunt et l’endeuillé semblent également très importants. Tout d’abord, le degré de proximité avec le défunt (parent, conjoint, frère ou sœur, ami…), est lié avec les réactions de deuil compliqué, plus l’endeuillé étant proche du défunt et plus le risque de TDP étant important (avec un risque majeur pour les parents endeuillés) ; d’autre part une dépendance marquée à l’égard du défunt, de même qu’une dépendance plus générale, comme trait de personnalité, représente également un facteur de risque (Bonanno et al., 2002).

Les éléments associés aux caractéristiques du décès marquent également le possible déploiement d’un TDP. Le caractère violent et inattendu du décès semble associé à un risque accru ; de même que la nature récente de celui-ci. (Barry, Kasl & Prigerson, 2002 ; Gana & K’Delant, 2011). Comme nous l’avons évoqué dans la revue de littérature, il semble que ce soit davantage les caractéristiques associées à une mort violente (souvent due à un homicide, ou à un accident), plus que la nature inattendue qui entraînent un risque de TDP. De même Smith, Kalus, Russel et Skinner (2009) suggèrent que l’association positive qui a été trouvée par les auteurs précédents entre le fait d’être préparés au décès d’un proche et une adaptation satisfaisante au deuil, ne soit pas directe, mais résulte plutôt de variables confondantes comme un soutien social perçu plus important, une résolution plus satisfaisante des préoccupations majeures avant le décès, ou encore la réduction des rappels concrets de la perte dans l’environnement immédiat, tous ces éléments étant facilités dans le cas où le proche a pu se préparer au décès. Par ailleurs l’idée très répandue, à la fois dans la littérature et dans l’opinion commune, selon laquelle un deuil serait plus difficile et douloureux à vivre lorsque la mort est inattendue, n’a pas été vérifiée par toutes les études empiriques. Ainsi Carr, House, Wortman, Neese et Kessler (2001) montrent que le fait d’avoir été averti (par une équipe médicale) du décès de son proche n’est pas lié à la dépression, ni au deuil 6 et 18 mois

après le décès. Plus encore, le nombre de mois consécutifs à un avertissement est corrélé avec des niveaux d’anxiété importants.

Enfin des facteurs individuels préexistants au décès peuvent être pris en considération dans leur lien avec l’émergence d’un trouble du deuil prolongé : un style d’attachement insécure, une aversion pour les changements de vie, un style défensif immature, une insomnie importante (Gana & K’Delant, 2011 ; Hardison, Neimeyer & Lichstein, 2005; Ogrodniczuk et al., 2003). Le trait de personnalité coopératif chez l’endeuillé et l’âge de la personne défunte prédisent négativement les symptômes de deuil prolongé (Gana & K’Delant, 2011). Les antécédents de troubles psychopathologiques constituent un facteur de risque pour les personnes endeuillées : à la fois au cours de leur vie, mais aussi pendant la période de caregiving ; comme Stroebe et Schut (2005) l’indiquent, un haut niveau de détresse pendant cette période est sans doute le meilleur prédicteur de la détresse ultérieure (Stoebe & Schut, 2001 ; Stroebe & Stroebe, 1991 ; van der Houwen et al., 2010). Par ailleurs, il semble que les femmes présentent un risque plus important de développer un TDP.

L’âge avancé a été identifié comme étant un facteur de risque pour développer des troubles de l’humeur et/ou des troubles anxieux, mais aussi un deuil compliqué, notamment dans le contexte d’un veuvage et lorsque la personne décédée souffrait d’une maladie grave telle que le cancer (e.g. Benight, Flores & Tashiro, 2001 ; Brazil, Bédard, Willison & Hode, 2003; Holtslander, 2008). Dans une étude quantitative récente auprès de 72 personnes âgées de plus de 65 ans, Gana et K’Delant (2011) montrent que le taux de prévalence du deuil compliqué était de 25 %, ce qui est supérieur à la prévalence du deuil compliqué dans une population plus jeune. Cependant, cette question d’une vulnérabilité émotionnelle et sociale accrue chez les personnes en deuil plus âgées reste débattue (Carr, 2008). En effet, Boelen, Van Den Bout, Keijser et Hoijtink (2003) ont montré dans une étude auprès de conjoints endeuillés que les scores au deuil compliqué étaient inversement corrélés à l’âge des participants : plus les personnes endeuillées étaient jeunes et plus leur symptomatologie de deuil compliqué était marquée. Pour Manor et Eisenbach (2003), ce sont les endeuillés les plus jeunes qui présenteraient un risque accru de mortalité par rapport aux plus âgés : chez les hommes, l’effet du deuil sur le taux de mortalité décroît linéairement avec l’âge, avec un risque de décès trois fois plus important pour les hommes les plus jeunes au début du veuvage. Stroebe, Schut et Stroebe (2007) soulignent également la vulnérabilité accrue des plus jeunes en matière de TDP, cette vulnérabilité étant encore plus importante chez les

hommes. Comme le précisent les auteurs, il convient néanmoins d’être prudent quant à ces résultats : les personnes âgées sont souvent sous-représentées dans les études sur le deuil, plus particulièrement les personnes âgées fragiles et déjà malades. Leur prise en compte viendrait sûrement pondérer les études précédemment citées. Fasse, Flahault, Brédart, Dolbeault, Sultan (2012) montrent des changements dans l’adaptation émotionnelle et sociale des endeuillés, en fonction de leur âge, et du moment de l’évaluation : si les conjoints les plus âgés (plus de 70 ans) semblent plus vulnérables en amont du deuil, ce sont les plus jeunes qui présentent des scores de dépression et de deuil compliqué plus élevés (six mois après le décès).

Dans une étude systématique récente des prédicteurs du deuil compliqué, Lobb et al. (2010) retrouvent les mêmes facteurs (avant le décès, liés au fonctionnement de l’endeuillé, à sa relation avec le défunt, et associés au contexte après le décès). Ils soulignent néanmoins les débats persistants quant à certains de ces facteurs : notamment des prédicteurs sociodémographiques tels que le genre et l’âge de l’endeuillé, mais aussi quant à la préparation au décès. Ils expliquent ces résultats parfois contradictoires par de nombreuses limites des études empiriques portant sur les prédicteurs du deuil compliqué : ces limites ont trait à l’évaluation du TDP (utilisant différents cut-off pour diagnostiquer ce trouble), au caractère hétérogène des échantillons, avec des participants d’âges très variés, dont les proches sont décédés de causes différentes. Par ailleurs, la plupart de ces études ont des taux d’abandon très importants. L’ensemble de ces éléments peut empêcher la généralisation des résultats.

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