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Attachement et caractéristiques du discours

EVITEMENT ELEVE

1.2 Attachement et caractéristiques du discours

Les études soulignant des associations entre style d’attachement et caractéristiques dialogiques restent rares. A fortiori dans le champ du deuil (M. Stroebe, Schut, & Stroebe, W., 2006).

La manière dont nous parlons et dont nous mettons en sens notre expérience existentielle semble influencée par notre style d’attachement (Fonagy & Target, 1997 ; Main, 1995 ; Main, Goldwyn & Hesse, 2002) ; en effet « la forme de notre discours sur nous-mêmes et sur nos vies, bien plus que le contenu de ce discours, constitue l’architecture de notre monde interne » (Holmes, 2010, traduction personnelle, p. 49).

Selon Main (1995), les caractéristiques discursives des récits sécures sont la fluidité narrative et l’autonomie : ni pas assez, ni trop élaborés, ils oscillent de manière appropriée entre affects et cognitions (qui restent entrelacés) en fonction du contexte. Ces récits sont pleins de sens, au contraire du discours insécure qui peut être vide de sens, ou au contraire excessivement saturé, dans des rationalisations ‘coupées’ de l’univers affectif du sujet. Holmes (2001, 2010), dans le cadre de considérations sur la relation thérapeutique, parle de ‘compétence autobiographique’ pour évoquer cette fluidité où s’entrelacent les émotions et les cognitions, et pour rendre compte de la richesse polysémique propre aux récits sécures. Se déploie une véritable mise en sens, plus laborieuse pour les personnes insécures, mise en sens partagée dans l’instant de la relation. C’est bien le processus de mise en sens, bien plus que le contenu signifiant, qui peut être associé à la nature sécure ou insécure de l’attachement.

Ces caractéristiques, fonctions du style d’attachement, peuvent être identifiées dans toutes les modalités communicationnelles (et pas seulement entre un patient et un thérapeute). S’appuyant sur la théorie de l’attachement et sur le paradigme de la situation étrange (Strange situation, Ainsworth, Blehar, Waters & Wall, 1978), des chercheurs ont établi une évaluation de l’attachement chez l’adulte, grâce à un entretien standardisé (Adult Attachement interview, AAI, George, Kaplan & Main, 1984; Main, Goldwyn & Hesse, 2002 ; Main, Hesse &

Goldwyn, 2008). Cet entretien permet d’étudier le fonctionnement psychique d’un individu par le biais de son style d’attachement. Sont investiguées ses modalités d’attachement durant sa prime enfance, ses relations interpersonnelles précoces puis au cours de son existence. Nous retrouvons ici le principe selon lequel la manière dont nous parlons reflète, au moins en partie, notre style d’attachement, et plus largement, notre fonctionnement psychique. Le système de cotation et de classification permet d’identifier 3 types de fonctionnement - et donc de discours - qui recouvrent les catégories d’attachement que nous avons précédemment évoquées. Les trois types de récits diffèrent tout d’abord au niveau de la productivité verbale. Holmes (2001, 2010) souligne que les entretiens sécures sont équilibrés, ouverts et cohérents. Les entretiens ‘détachés’ sont excessivement courts et dépourvus d’émotion ; ils sont par ailleurs empreints d’une contradiction, entre des évaluations positives généralisantes concernant les expériences d’attachement pendant l’enfance, et une absence de souvenirs ou d’exemples précis liés à ces expériences positives. Les entretiens préoccupés, quant à eux, sont des récits interminables et confus, marqués par un imbroglio émotionnel constant.

Quelques études ont identifié certaines caractéristiques narratives chez les personnes présentant un type d’attachement craintif-évitant. Holmes (2001) écrit ainsi : « Lorsqu’elles évoquent leur perte, les personnes ‘craintives-évitantes’ [ou désorganisées] montrent des écarts frappants dans le fil de leur raisonnement ou de leur discours […]. Elles tombent de silences prolongés en panégyriques [du défunt] » (p.8, traduction personnelle). On retrouve dans cette évocation le caractère excessivement ambivalent (on pourrait même parler de clivage) et chaotique de l’intégration de la perte et de l’expression du deuil chez les personnes ‘craintives-évitantes’. Buchheim et Mergenthaler (2000) ont mené une étude linguistique assistée par un logiciel informatique sur 30 entretiens portant sur l’attachement, en se basant sur la classification de l’AAI (style sécure, style insécure préoccupé, et style détaché) ; les auteurs ont codé les entretiens selon le nombre de termes émotionnels, selon le degré d’abstraction, et selon « l’activité référentielle » (qui est une mesure de la concrétude narrative, de la spécificité et de la représentativité du récit). Pour ces trois mesures, les récits préoccupés obtenaient les scores les plus hauts, les récits sécures des scores intermédiaires, et les détachés les scores les plus faibles. Daniel (2011) a évalué l’attachement et les caractéristiques dialogiques chez des patients souffrant de troubles alimentaires et engagés dans un suivi thérapeutique. Les participants présentaient tous un attachement insécure (‘détaché’ ou ‘préoccupé’). Etudiant la productivité verbale et les processus narratifs des individus, elle a ainsi pu mettre en évidence que les individus ‘préoccupés’ prenaient

davantage d’initiatives discursives, parlaient plus (quantité de mots) et plus longtemps que les personnes ‘détachées’. L’auteur a également suggéré des tendances (non significatives) relatives aux processus narratifs : les patients ‘détachés’ peinaient à utiliser des processus référents à l’internalité (évocation des émotions, ou de toute expérience subjective interne), ils étaient centrés sur l’agir et la description de faits extérieurs et concrets, tandis que les individus préoccupés étaient focalisés sur l’expression de l’internalité.

Mikulincer et Nachshon (1991) ont montré que les personnes ‘sécures’ et les ‘insécures préoccupées’ dans la population générale (pas nécessairement les endeuillés) communiquaient plus sur elles-mêmes (self disclosure), et avec plus d’aisance que les personnes ‘détachées-évitantes’ (le sous-groupe ‘évitant-craintif’ n’a pas fait l’objet d’analyse spécifique dans cette étude). Le discours sur soi peut être défini comme l’ensemble des informations délivrées aux autres et faisant référence à des représentations de soi. C’est ce que l’on donne à voir sur soi, par le biais du langage. Le discours sur soi facilite la création de relations interpersonnelles, tandis que les défaillances de ce processus sont associées à une souffrance dans les relations aux autres, et à un sentiment de solitude (Mikulincer & Nachshon, 1991) Pistole (1993) rapporte les mêmes résultats pour les individus ‘sécures’.

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