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DEUXIEME PARTIE: APPROFONDISSEMENT DE CONCEPTS THEORIQUES CLEFS

Chapitre 1 : Théorie de l’attachement, théorie interpersonnelle majeure de la perte (Stroebe, M., Schut & Stroebe, W, 2006).

1.1 Attachement et relations amoureuses

Le concept d’attachement a été appliqué aux relations amoureuses, et plus particulièrement conjugales, par Hazan et Shaver (1987). Chaque conjoint, au sein de la relation qui l’unit à son partenaire, agit et réagit en fonction de son style d’attachement construit durant l’enfance avec sa figure d’attachement. Le conjoint peut devenir une figure d’attachement majeure, Hazan et Shaver (1987) ayant montré que l’attachement entre un jeune enfant et sa figure d’attachement primaire et l’attachement amoureux entre deux adultes, partageaient nombre de points communs. Dans les deux cas, on observe un sentiment de sécurité lorsque l’autre est présent et attentif. Le partage des découvertes avec la figure d’attachement, le jeu et l’adaptation avec les caractéristiques des mimiques faciales de l’autre, la fascination et les préoccupations mutuelles entre les deux individus constituent d’autres points communs.

En s’appuyant sur ces parallélismes, Hazan et Shaver ont donc souligné que les relations amoureuses à l’âge adulte étaient partie intégrante du système comportemental d’attachement, aussi bien que les systèmes motivationnels qui engendraient le caregiving et la sexualité. Les styles d’attachement semblent stables dans le temps, ancrés dans le fonctionnement de l’individu grâce aux modèles internes opérants qui régissent les modalités d’attachement et les relations interpersonnelles, modèles construits à partir des interactions précoces avec les figures d’attachement durant l’enfance (Fraley, 2002).

Trois implications majeures émergent de cette conclusion. Premièrement, si la relation amoureuse est une modalité inhérente au système d’attachement de l’individu, il est donc possible d’identifier des styles d’attachement au partenaire amoureux similaires à ceux qui ont été mis en relief chez le jeune enfant face à sa figure d’attachement. Deuxièmement, les mêmes facteurs liés à l’attachement qui favorisent (ou gênent) les processus exploratoires d’un enfant (par exemple avoir un caregiver attentif et réactif), favorisent l’exploration de l’adulte. De la même manière, les mêmes caractéristiques qui rendent une figure

d’attachement ‘désirable’ peuvent être retrouvées dans une relation amoureuse : disponibilité et réactivité notamment. Enfin, l’attachement sécure ou insécure d’un adulte est le reflet, plus ou moins complet, de l’attachement qui était le sien durant sa prime enfance, puisque les modèles internes opérants, cristallisant le style d’attachement, sont stables dans le temps (Bowlby, 1980), même s’ils peuvent faire l’objet de remaniements durant l’existence.

Brennan, Clark et Shaver (1998) en passant en revue les questionnaires et modélisations de l’attachement amoureux à l’âge adulte ont montré que ce dernier pouvait être conceptualisé selon deux dimensions : l’attachement anxieux et l’attachement évitant. La conceptualisation de Brennan, Clark et Shaver (1998) fait maintenant largement consensus dans la littérature spécialisée (Fraley & Shaver, 2000; Shaver & Milkulincer, 2002). Ces deux sous-dimensions sous-tendent toutes les mesures d’auto-évaluation de l’attachement amoureux à l’âge adulte et sont cruciales pour capturer la variabilité interindividuelle dans l’attachement amoureux. (Brennan, Clark et Shaver, 1998). Ainsi, chaque individu présente à la fois un attachement anxieux et évitant ; en fonction des interactions précoces, de sa personnalité, des aléas de son histoire, une personne peut avoir un attachement très anxieux et peu évitant, ou l’inverse, ou bien un style d’attachement très peu marqué par l’anxiété et l’évitement. Certaines personnes, enfin, présentent un attachement très anxieux et très évitant.

La théorie de l’attachement fait état de processus comportementaux, émotionnels, cognitifs et attentionnels, distincts selon le style d’attachement.

Attachement anxieux

Les individus présentant une anxiété importante dans l’attachement (une anxiété d’abandon) ont une représentation d’eux-mêmes assez négative : ils se considèrent comme peu dignes d’être aimés et doutent de l’amour et de l’intérêt des autres. Ils ont par ailleurs peur d’être délaissés ou rejetés, notamment par leur partenaire amoureux. Lorsque le système d’attachement se trouve menacé (à la perspective d’une séparation par exemple), ces personnes ont tendance à vouloir se rapprocher de leur partenaire, dans un besoin excessif de réassurance, pour apaiser leur détresse. Les individus au style d’attachement anxieux sont souvent hypervigilants, voire interprétatifs, face à tout signe de rejet ou d’éloignement. Dans leurs rapports amoureux, ces personnes se sentent bien lorsqu’elles perçoivent une grande proximité physique et émotionnelle : elles redoutent la solitude (Hazan & Shaver, 1987). Elles sont souvent insatisfaites du soutien offert par l’autre. Les stratégies d’autorégulation émotionnelle que nous avons évoquées plus tôt (recherche de proximité) entraînent

fréquemment une plus faible disponibilité envers le partenaire, comme si les individus anxieux étaient davantage centrés sur leurs propres besoins (Feeney & Collins, 2001). Lorsqu’ils se sentent menacés, dans un contexte insécure, les individus dont l’attachement est marqué par l’anxiété vont avoir tendance à demander fréquemment à leur partenaire si celui-ci les aime, à chercher souvent un rapprochement physique ou des contacts (par téléphone par exemple) et vont réclamer de passer plus de temps avec l’autre. Ils peuvent aussi se montrer exigeants et réagir avec colère lorsqu’ils ont le sentiment que leurs besoins ne sont pas comblés par leur partenaire amoureux (Lorange, 2011). En bref, ils hyperactivent les réponses émotionnelles liées au système comportemental d’attachement (Daniel, 2011). En l’absence de l’être aimé, les personnes à l’attachement anxieux vont non seulement éprouver une détresse importante, mais celle-ci va être activée plus fréquemment par des rappels quotidiens (physiques et psychologiques) de l’absence de la figure d’attachement.

Attachement évitant

La seconde dimension de l’attachement mise en avant par Brennan, Clark et Shaver (1998), l’évitement de la proximité, renvoie à une tendance à vouloir échapper aux situations intimes liées à l’attachement et à l’expression émotionnelle de celui-ci. Les personnes dont l’attachement est marqué par l’évitement ont des représentations des autres comme peu ou pas disponibles. Lorsqu’elles se trouvent menacées par un risque de séparation, elles désactivent le système de comportements d’attachement : elles adoptent des stratégies de repli sur soi et demandent rarement de l’aide en cas de détresse, niant souvent celle-ci ou leur besoin d’être en relation avec leur entourage. Les individus évitants feront face à ces événements menaçants en se repliant sur eux-mêmes, en se retirant de la situation, c’est-à-dire en se désengageant de la relation (Shaver & Milkulincer, 2002).

Dans leur relation amoureuse, les partenaires caractérisés par un attachement évitant (évitement de la proximité élevé) sont davantage à l’aise dans une relation impliquant une certaine distance et une autonomie mutuelle (Hazan & Shaver, 1987). Puisque ces partenaires présentent des comportements s’apparentant à du détachement en cas de détresse et qu’ils considèrent très négativement la dépendance affective, ils ont tendance à se retirer lors de situations conflictuelles, à peu exprimer leurs émotions et à peu demander du soutien au partenaire (Feeney & Collins, 2001; Lorange, 2011). De même, ils se montrent peu enclins à offrir un soutien émotionnel aux autres, minimisant leurs besoins émotionnels et du même coup ceux des autres (Feeney & Collins, 2001). Lorsque le système d’attachement de ces

personnes est menacé (comme lorsque le conjoint est gravement malade), elles s’expriment peu, banalisent la situation, le sentiment d’insécurité qui les traverse et peuvent être tentées de poursuivre d’autres activités hors de la relation (comme s’investir davantage au travail).

Attachement et variabilité interindividuelle

De nombreuses recherches ont montré que les femmes tendent à présenter un attachement anxieux plus élevé que les hommes (Ben-Ari & Lavee, 2005; Brassard, Shaver & Lussier, 2007; Luo & Klohnen, 2005). Ce constat renvoie à l’idée communément admise selon laquelle les femmes cherchent davantage la proximité émotionnelle et physique de leur partenaire. Les hommes, quant à eux, présentent des modalités d’attachement plus évitantes que les femmes, suivant là encore un stéréotype social selon lequel les hommes sont encouragés à ne pas reconnaître la dépendance affective et l’attachement en général. (Brassard, Shaver, & Lussier, 2007).

Même si ces deux dimensions sont stables dans le temps, une certaine variabilité en fonction de l’âge a été identifiée : plus les personnes sont âgées, et plus leur attachement est marqué par l’évitement et moins d’anxiété. Cette variabilité en fonction de l’âge est néanmoins très faible (Fraley, 2005)

Il est très important de souligner à nouveau que ces deux dimensions d’attachement (anxieux et évitant) se présentent sous forme de continuum. Comme le soulignent les auteurs spécialistes de ce champ, cet aspect dimensionnel et non catégoriel est crucial tant en termes conceptuels que méthodologiques (Shaver & Fraley, 2008; Stroebe, Schut & Stroebe, 2005). Fraley et Waller (1998) ont montré qu’il n’y avait pas de données empiriques faisant état d’une réelle typologie ‘fixe’ de l’attachement; les styles conceptuels sont plutôt des régions dans un espace bi-dimensionnel (attachement anxieux/évitant). Une perspective strictement typologique (et catégorielle) et non pas dimensionnelle (grâce au score continu des échelles), entraînerait un manque de précision. Par ailleurs, et comme nous l’avons évoqué, chaque individu peut posséder des caractéristiques des deux dimensions de façon plus ou moins importante.

Figure 2. Modèle bi-dimensionnel des différences individuelles de l’attachement chez l’adulte

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