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L'expérience du développement post-traumatique après un deuil

Chapitre 3 : Le développement post-traumatique et le deuil

3.1 L'expérience du développement post-traumatique après un deuil

Un nombre croissant d’études empiriques met en évidence l’importance d’émotions positives liées au deuil, l’émergence de mouvements de développement post-traumatique (DPT) consécutifs à la perte d’un être cher (e.g. Calhoun, Tedeschi, Cann & Hanks, 2010; Currier et al., 2012), notamment d’un conjoint (Caserta, Lund, Utz & de Vries, 2009 ; Itzhar- Nabarro & Smoski, 2012). La prise en compte de ce phénomène s’éloigne d’un regard strictement pathologisant, se concentrant sur l’existence d’une symptomatologie invalidante chez les endeuillés. Par ailleurs, cette attention au DPT nous permet d’être attentifs à d’autres indicateurs d’ajustement satisfaisant à un événement de vie difficile, que la disparition ou la diminution de la détresse émotionnelle (Field & Filanosky, 2010).

Le développement post-traumatique n’est pas seulement un retour au fonctionnement habituel ; il ne se confond pas avec une quelconque ‘récupération’ (recovery), ou avec la résilience (Gerrish, Dyck & Marsh, 2009). Ce phénomène correspond à l’accession à un état plus positif découlant d’un effort pour faire face à l’adversité (Gerrish, Dyck & Marsh, 2009 ; Tedeschi & Calhoun, 2008). A quels éléments positifs peuvent accéder les endeuillés ? La littérature évoque un goût accru pour la vie, un sentiment que la vie est précieuse, un rapprochement avec autrui, davantage de compassion, une volonté plus marquée de se tourner vers des valeurs spirituelles ou religieuses (Calhoun, Tedeschi, Cann & Hanks, 2010; Gerrish, Dyck & Marsh, 2009). Nous adoptons la définition de Tedeschi et Calhoun (2008) : le DPT désigne « l’expérience de changements psychologiques positifs résultant de la confrontation, de la lutte avec tout événement de vie défiant hautement les ressources de l’individu » (Tedeschi & Calhoun, 2004, p. 1, traduction personnelle). Ces chercheurs ont clairement défini le DPT et en ont investigué la nature et les déterminants par le biais d’études empiriques qui font maintenant référence (e.g. Tedeschi, Calhoun & Cann, 2007).

Tel qu’il a été conceptualisé et opérationnalisé par ces auteurs, le développement post- traumatique comprend 5 grands domaines que sont : l’appréciation de la vie (sentiment d’être chanceux, de profiter de la vie, etc.), les relations aux autres (plus investies, sources de davantage de plaisir, compassion accrue), le développement d’une force personnelle (sentiment d’être plus fort après une épreuve, d’avoir développé des compétences, etc.), le développement de nouvelles possibilités (avènement d’actions ou de situations ‘rendues

possibles’ par l’événement traumatique) et enfin le développement d’une spiritualité (qui ne se confond pas avec la foi religieuse, ce dernier domaine étant très lié au contexte socioculturel de l’individu), (Tedeschi & Calhoun, 2008). Des changements positifs dans ces 5 domaines sont rapportés par les endeuillés, ce qui souligne la pertinence de cette conceptualisation pour le champ du deuil (Calhoun, Tedeschi, Cann & Hanks, 2010; Stroebe, Hansson, Schut & Stroebe, 2008).

Mais force est de constater que l’étude de ce phénomène reste parfois marquée par un certain flou théorique, tant le DPT peut être analysé comme un strict équivalent du phénomène de résilience, ou encore du développement post-stress (Stress-related Growth, e.g. Calhoun & Tedeschi, 2006; Park, Cohen & Murch, 1996; Tedeschi & Calhoun, 2004, 2008). Or, événement stressant et événement traumatisant n’ont pas les mêmes retentissements sur l’adaptation des individus qui y sont confrontés. Par ailleurs, le développement post- traumatique, s’il a fait l’objet d’études en psycho-oncologie auprès des patients eux-mêmes, n’est encore que peu étudié chez les proches endeuillés, ou plus spécifiquement chez les personnes ayant perdu leurs conjoints après un cancer1 Dans le champ du deuil, le DPT est étudié auprès de parents ayant perdu leurs jeunes enfants (e.g. Büchi et al., 2007 ; Engelkemeyer & Marwit, 2008 ; Polatinsky & Esprey, 2000), ou encore chez les aidants naturels endeuillés de malades atteints du VIH (e.g. Cadell, 2003, 2007). Le peu d’études empiriques portant sur le phénomène du développement post-traumatique chez les conjoints endeuillés (Wagner, Knaevelsrud & Maercker, 2007) nous incite donc à parcourir la littérature étudiant le DPT dans un contexte plus large que celui du deuil conjugal, pour mettre en évidence ses mécanismes, les facteurs qui y sont associés et les issues physiques et mentales liées à son émergence.

Si le développement post-traumatique est perceptible chez les proches endeuillés lorsqu’il fait l’objet d’une investigation spécifique, par exemple grâce à des questionnaires, ou grâce à des entretiens questionnant cette thématique, certains auteurs constatent que les personnes ne l’évoquent que rarement spontanément. Dans le contexte bien particulier du

1 Revue de littérature menée sur les bases de données PsycInfo et PubMed/Medline

- PsycInfo : 1/PTG & relatives & cancer : 4 études, portant sur le stress post-traumatique et non le DPT ; 2/ personal growth & relatives & cancer : 7 études, uniquement chez les patients eux-mêmes. 3/ Growth & relatives & cancer : 45 études, dont 40 chez les patients eux-mêmes. 4/ Growth, relatives, cancer & bereav* : 1 resultat (Bower, Kemeny, Taylor, & Fahey, 2003)

- PubMed/Medline: PTG and bereavement: 22 résultats. Aucun portant sur les conjoints endeuillés par cancer. Une recherche sur ces bases de données en utilisant les termes « développement post-traumatique », puis « croissance post-traumatique », n’a donné aucun résultat en langue française.

deuil par suicide, Smith, Joseph et Nair (2011) montrent, grâce à une étude qualitative, que les proches peinent dans un premier temps à reconnaître tout développement post-traumatique, se sentant coupables de ressentir des émotions positives consécutives à ce décès. Pourtant, lors des entretiens, les endeuillés évoquent le sentiment d’avoir de nouvelles perspectives sur l’existence, une meilleure connaissance d’eux-mêmes, des relations plus satisfaisantes et plus proches avec les autres (Smith, Joseph et Nair, 2011).

Une telle réticence n’a pas été retrouvée dans le champ des maladies somatiques (Currier et al, 2012 ; Gamino, Sewel, Hogan & Mason, 2009). La difficulté, mentionnée plus haut, à évoquer spontanément des mouvements positifs issus d’événements douloureux tient probablement à un biais de désirabilité sociale et à une stigmatisation touchant les proches de personnes décédées par suicide. Plongés dans une grande culpabilité, se sentant bien souvent responsables de la mort de la personne, ils ne peuvent que rarement sentir en eux-mêmes et encore moins reconnaître verbalement que des éléments positifs émergent ‘grâce’ à la mort de la personne (e.g. Harwood, Hawton, Hope & Jacoby, 2002).

Il semble que les bénéfices qu’un endeuillé peut trouver dans la situation de deuil ne sont pas tant liés à la mort elle-même (par exemple être soulagé de ne plus voir souffrir son proche malade), mais plutôt au constat de pouvoir faire face à cette situation difficile (Field & Filanosky, 2010). Une veuve peut ainsi se sentir grandie car elle se sent plus indépendante et compétente, ayant pu faire face aux nouvelles responsabilités matérielles qui lui échoient. Ce processus peut être résumé par l’énoncé apparemment paradoxal : « plus vulnérable, mais plus fort » (Calhoun, Tedeschi, Cann & Hanks, 2010).

3.2 Liens entre développement post-traumatique et santé mentale et physique des

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