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L’équation intellectuelle du chercheur

Chapitre 3: Etude quantitative longitudinale avant/après le décès Processus de deuil des conjoints de patients : description et analyse des déterminants de l’ajustement à la perte

21. J'accepte mieux d'avoir besoin des autres 58,3%

4.2 L’équation intellectuelle du chercheur

Celle-ci est composée de plusieurs éléments selon Paillé et Mucchielli (2012), éléments constitutifs d’un dialogue qui se construit entre la posture théorique et expérientielle du chercheur et les données d’enquête qu’il recueille en situation. Nous n’évoquerons pas ici d’éléments personnels, mais il est évident que l’histoire et la vie de l’investigateur déterminent, au moins en partie, le regard qu’il pose sur le phénomène étudié. D’un point de vue herméneutique, il s’agit en quelque sorte de la « ligne d’orientation préalable et provisoire rendant possible toute notre expérience », ou encore « une condition qui nous permet d’avoir des expériences et grâce à laquelle ce que nous rencontrons nous dit quelque chose » (Gadamer, 1996, p 36). Tout chercheur se situe ainsi à l’intérieur d’un univers interprétatif qui lui est propre, mais qu’il peut plus ou moins partager avec d’autres. Cet univers interprétatif est peuplé de différentes constellations (Paillé &Mucchielli, 2012) : des savoirs formels ou tacites, des constats issus de lectures, de rencontres, d’expériences professionnelles, de préjugés, etc.

Mon équation intellectuelle pourrait être ainsi définie : après des études de philosophie (avec une spécialisation en philosophie morale et politique, et en phénoménologie du XXe siècle), j’ai repris des études de psychologie en essayant de conserver une approche intégrative à l’égard des savoirs enseignés (même si la psychanalyse imprégnait largement les enseignements que j’ai reçus). J’apprécie particulièrement le théâtre et le cinéma ; différentes œuvres musicales, littéraires, cinématographiques m’ont profondément marquée et ont modulé, je pense, mon regard sur le deuil. Je citerai notamment Alex Beaupain (pour le deuil qui dévaste, le souvenir, le lien, la trace, la création qui peut sauver), Portishead (la mélancolie et la colère), Patti Smith et son éternel Robert Mapplethorpe, les films de Christophe Honoré (l’irrémédiable, le bouleversement, l’existence avec les autres, le lien au disparu qui reste) Solaris de Tarkovski, Sous le sable d’Ozon, L’histoire de Marie et Julien de Rivette, Shutter Island de Scorsese (pour la folie, et l’amour), Irène d’Alain Cavalier (comme une illustration de ce que serait le travail de deuil, détail par détail), All that jazz de Bob Fosse (pour les enfants orphelins, pour les phases du deuil et pour la danse qui subsiste), les films d’Almodóvar, les pièces de Jon Fosse, notamment Dors mon petit enfant, et Je suis le vent (pour nos fantômes et la non-existence), les tragédies de Sophocle (pour la culpabilité et le sublime).

Par ailleurs je suis psychologue à l’Institut Curie depuis quatre ans. Comme je l’ai évoqué plus haut, mon regard de clinicienne n’a pas ‘disparu’ totalement lors des entretiens. Je travaille très souvent avec l’Unité Mobile d’Accompagnement et de Soins Continus qui prend en charge des patients en phase palliative et mon activité de clinicienne me porte fréquemment auprès de personnes en fin de vie. Toute l’équipe de l’Unité de Psycho- Oncologie est confrontée à la souffrance morale et physique des patients et de leurs proches ; cette souffrance nous mobilise émotionnellement, et nous avons la chance de bénéficier d’une supervision régulière.

Objectifs généraux des études qualitatives

Afin de préserver la possibilité d’un regard non-pathologisant sur l’expérience des conjoints-aidants en amont et en aval du décès du malade atteint de cancer, regard non- pathologisant parfois difficile à conserver avec des outils quantitatifs, nous avons mené des entretiens de recherche aux deux temps d’évaluation. Il ne s’agit pas ici d’affirmer que les études quantitatives ne peuvent appréhender que des aspects objectifs et généralisants d’un phénomène, tandis que les études qualitatives en recueilleraient la dimension subjective et unique. En effet l’analyse quantitative approfondie de la variabilité inter- et intraindividuelle peut mener à la compréhension d’une expérience subjective.

Néanmoins le recours à des outils quantitatifs d’évaluation, pour nécessaires qu’il soit, peut conférer un aspect lissant aux résultats. Surtout, ces outils ne permettent pas toujours de saisir les mécanismes qui sous-tendent le fonctionnement des personnes, dans une perspective intégrative. Les études phénoménologiques interprétatives que nous avons menées ont donc pour objectif à la fois d’explorer des domaines que nos mesures quantitatives n’investiguent pas : notamment à T1 : les relations conjugales, la communication avec les médecins et soignants, les besoins et attentes des conjoints-aidant. A T2 : le déploiement au fil des semaines des réactions de deuil, les représentations du défunt, les éléments de la mémoire autobiographiques. Ces études visent également, dans une perspective non plus seulement complémentaire des analyses quantitatives, mais dans un but d’approfondissement de ces dernières, à investiguer certains mécanismes cognitifs et émotionnels sous-tendant les réactions de deuil, mécanismes qui se ‘donnaient à voir’ dans le discours des endeuillés.

Ainsi, plus particulièrement, la première étude qualitative vise à explorer la perception de conjoints endeuillés concernant l’évolution de leurs réactions de deuil au cours du temps. Au-delà de cette exploration de la mise en sens des conjoints, nous souhaitions également étudier la manière dont les endeuillés parlaient de cette évolution potentielle, afin d’établir des profils de discours, en utilisant ainsi l’une des étapes préconisées par Smith, Flowers et Larkin

(2009) : la mise en relief des similitudes et des divergences entre les différents récits. Enfin le dernier objectif est d’identifier d’éventuelles représentations subjectives d’un mieux-être, d’une amélioration (recovery) dans le vécu de deuil.

La seconde étude qualitative a pour objectif d’analyser les liens entre l’attachement craintif-évitant (ou désorganisé), et une éventuelle symptomatologie psychopathologique, lien médié par les processus de mise en sens.

4.3 Etude qualitative 1: 'Un pas en avant, un pas en arrière'. Perception subjective de

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