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vulnérable Situer le choléra dans une écologie des risques

1. Le pêcheur et le planteur Les destins parallèles des pionniers du littoral

1.1. Poussés à la mer

Le rapport de l’Afrique à la mer a bien souvent été minimisé dans la littérature, de nombreux auteurs estimant que le véritable contact des sociétés africaines avec la mer est dû à l’arrivée des Européens. Par exemple, Law (1989 cité par Overa 2001 p. 8) estime que du fait du phénomène de la barre86, il semble improbable que le commerce maritime ou la pêche maritime se soient

développés avant l’arrivée des Européens. En contrepied de cette vision, Jean-Pierre Chauveau a démontré sur le temps long la pluralité des pratiques africaines de la mer. En effet de nombreux matériaux et témoignages rapportent l’usage des pirogues, y compris a plusieurs lieues de la barre, en pleine mer, pour la pêche, le cabotage, la guerre. Des activités qui semblent manifestement précéder l’arrivée des Européens. Par exemple l’utilisation des filets en mer est rapportée au 15e siècle par l’explorateur Pereira, qui donnera notamment le nom de Cabo das redes (lit. le cap

des filets) à une crique situé à proximité de l’actuel Accra (Chauveau, 1986, p. 192). Les grands foyers maritimes du 15e siècle, qui recouvrent les actuels Sénégal, Ghana et Libéria sont encore de

nos jours les lieux les plus actifs dans la pêche piroguière maritime et les « exportateurs » de pêcheurs migrants (Duffy-Tumasz, 2012).

L’expansion Fante

Les Fante sont l’un des groupes ghanéens les plus investis dans la pêche piroguière. L’histoire de l’expansion de la pêche maritime ghanéenne, et fante en particulier, au-delà de la Gold Coast repose sur l’établissement préalable de réseaux de commerces le long de la côte au moins entre le 18e et

le 19e siècle. Ainsi Aného dans l’actuel Togo, représente à la moitié du 18e siècle, l’une des plus

anciennes installations des pêcheurs Fante hors de l’actuel Ghana. En Côte d’Ivoire, l’installation de Ghanéens sera plus tardive, on compte des réseaux de commercialisation du caoutchouc dès les années 1850, mais c’est surtout à partir du 20e siècle que des communautés de Ghanéens vont

s’installer dans le pays et pratiquer des migrations circulaires (K. Delaunay, 1991 p. 653). Les pirogues, l’équipage et les femmes accompagnant les maris pêcheurs étaient alors transbordés par cargo (Overå & Overa, 2001 p. 12).

La deuxième moitié du 20e siècle va connaitre un véritable essor de la pêche piroguière le long de

la côte, avec l’incorporation des moteurs hors-bord aux pirogues monoxyles. Au Ghana, cette incorporation est aidée par une politique gouvernementale visant à la modernisation des pêcheries piroguières (Clark, 2013 ; Kwei, 1961). Celle-ci, si elle s’avéra désastreuse économiquement et manqua son objectif de faire abandonner les pirogues au profit d’embarcations plus modernes, permit cependant aux companies87 (unités de pêche) d’agrandir leur aire d’influence sur des

pirogues de plus grandes envergures. Ainsi les années 1960 marquent une véritable explosion de la pêche piroguière le long de la côte ouest-africaine avec l’introduction et l’appropriation des moteurs hors-bord par les piroguiers. Depuis lors la pêche Fante se constitue comme un champ social qui s’étire de la Mauritanie à la République Démocratique du Congo (K. Delaunay, 1991 ; Overå & Overa, 2001). La migration (adoom) effectuée au sein des unités de pêche (companies) est un outil d’accumulation de ressources et à bien des égards, un rite de passage pour les hommes, mais aussi les femmes dans leurs parcours professionnels, autant qu’une manière de se valoriser et de se constituer un capital en dehors de son village d’origine (Overå & Overa, 2001 p. 2).

Les opportunités que les acteurs sociaux prennent en compte dans la décision de se rendre sur un lieu de pêche sont d’ordres multiples. Une première série de considérations peut être « biologique », il s’agit de la présence de bancs de poissons, fluctuant notamment en fonction des courants marins dits « d’upwelling » qui charrient des nutriments près des côtes et dont l’intensité suit généralement celle des saisons des pluies en Afrique de l’Ouest.

Mais les migrations dépendent avant tout de facteurs économiques et politiques. Il s’agit par exemple de la comparaison des prix de vente des poissons exercés à un moment donné entre différents marchés pris en considération et dans lesquels on possède plus ou moins de contacts. Il peut s’agir également du climat d’accueil des étrangers dans la locale donnée, de la préexistence

87 Les termes fante sont écrits en italique avec l’orthographe indiquée par mes interlocuteurs, un lexique est présent en

de campements connus dont certains résidents pourraient négocier l’installation (ou le passage), ou encore de la possibilité pour les femmes accompagnant les pirogues d’écouler elles-mêmes leur vente, ce qui n’est pas donné partout le long de la Côte. L’affaire est par exemple particulièrement ardue à Cotonou ou des réseaux de femmes « locales » accaparent ces activités (Overå & Overa, 2001 p. 27).

Notons enfin que les crises économiques ghanéennes et les effets des ajustements structurels ont été des éléments englobants supplémentaires, lesquels ont poussé à la migration à l’heure où les ressources administratives s’épuisaient et/ou les débouchés de vente s’amoindrissaient à mesure que se réduisait le pouvoir d’achat des consommateurs ghanéens.

Très tôt la Côte d’Ivoire attire par sa rapide croissance économique et les débouchés importants que représentent ses marchés. Mais c’est surtout la centralité de l’économie de plantation et le délaissement de l’exploitation des ressources maritimes qui représente une opportunité que vont saisir de nombreux pêcheurs fante, ga et éwé, regroupés dans l’ensemble « les Ghanéens ». L’économie de plantation ivoirienne va donc appeler le développement de cette pêche de deux manières : par la place vacante des activités au-delà de la barre dans un territoire focalisé sur la plantation, par les débouchés qui découlent de l’urbanisation et de la création de marchés côtiers où les captures en poisson s’écoulent rapidement et à des prix avantageux pour les pêcheurs.

1.2 La centralité de l’économie de plantation dans la société