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Pourquoi faire connaître l’athéisme et les athées ?

Dans le document Québec athée (Page 31-36)

Ce livre n’en est pas un de revendication, d’anticléricalisme. Il n’est pas non plus un exposé de la vision matérialiste du monde, vision qui est aussi inépuisable que la science elle-même. Il a une perspective beaucoup plus spécifique : l’inexistence de Dieu, vue dans le contexte québécois, et exprimée par les plus inspirants des athées québécois eux-mêmes. L’athéisme, dont la formulation philosophique est le matérialisme en ontologie, le réalisme en épistémologie et l’humanisme en éthique, est un univers culturel, moral et intellectuel. Cet univers est immense : il englobe l’ensemble de la philosophie (une philosophie d’inspiration théiste n’est pas une philosophie, et si elle se dénomme ainsi, elle est une imposture), la littérature et la poésie, les sciences (les vraies : celles qui interpellent la matière et le réel), et tout autre aspect de la culture. L’athéisme mérite à tout le

moins d’être envisagé, par les Québécois en particulier — question de compléter leur Révolution tranquille, qui est loin d’être terminée.

Quelle différence est-ce que ça peut bien faire, au Québec, de croire ou de ne pas croire à Dieu ? On mène sa vie, on travaille, on s’accouple, on élève ses enfants, on s’offre quelques loisirs et on meurt. N’est-ce pas ? Bien justement, non ! Ça fait une grande différence d’assumer pleinement l’athéisme. On vit sa vie intensément, car on sait que ce sera la seule vie qu’on aura. Lorsqu’on est athée, on ne travaille pas pour gagner son ciel, on travaille pour gagner sa vie. Lorsqu’on est athée, on ne s’accouple pas par devoir, mais par amour. Lorsqu’on est athée, on prend plaisir à la vie, car toute la magie et le mystère de l’univers sont là, dans chacune des petites et grandes choses qui nous touchent. Ou serait-ce l’inverse ? Deviendrait-on athée parce qu’on prend plaisir à vivre ? Pourquoi se tourmenter sur la mort et l’après-vie et les obligations absolutistes quand il y a tant de plaisir à connaître ? Lorsqu’un athée meurt, il regarde sa vie et fait le bilan : réussie ou ratée ? Il sait qu’il n’en tenait qu’à lui de réussir sa vie, que toute vie a une durée limitée, et que lorsque c’est terminé, sa vie ne peut continuer que par ses œuvres, sa progéniture et dans le souvenir de ceux qu’il aura marqués. Si au Québec, sa fille ne risque pas de se faire assassiner pour insubordination mineure, si son fils ne risque pas de servir de chair à canon dans une guerre d’agression inutile, si on ne risque pas l’ostracisme à cause d’une innocente opinion, c’est parce que nous vivons dans une société relativement laïque, pacifiste et progressiste, plutôt qu’une théocratie. Ce ne fut pas toujours le cas. Nous nous en sommes bien tirés, en partie grâce à la sophistication et à l’humanisme de nos conquérants, les Anglais, et en partie grâce aux Lumières de nos ancêtres français. L’Église catholique nous a peut-être préservés de l’extermination par les Anglais. Si c’est le cas, merci l’Église, et adieu… sans rancune… Mais en réalité, les Anglais ne nous auraient probablement pas exterminés.

Les Patriotes auraient peut-être réussi à faire de nous un peuple viable, plutôt qu’assimilé et à genoux. Quoi qu’il en soit, nous nous sommes collectivement désenglués de l’Église catholique à la sueur de notre front, inspirés par l’intelligence d’une poignée de nos intellectuels et humanistes — dont une proportion importante était athée.

Avec un peu de chance donc, on mènera sa vie, on travaillera, on s’accouplera, on élèvera ses enfants, on s’offrira quelques loisirs et on mourra avec un minimum de dignité et ce ne sera pas à cause de l’influence de la religion, mais bien à cause de l’influence de la laïcité et de l’humanisme. Malgré le haut niveau d’évolution de la société québécoise, les athées (et athées potentiels) ont une crainte de s’afficher, une peur de l’opprobre. Les exils semi-forcés, oui, la persécution, d’un Paul-Émile Borduas par exemple, d’un François Hertel, d’une Marcelle Ferron ne sont pas loin de nos esprits. Ceux ( artistes, commerçants, politiciens, etc.) qui dépendent de l’estime du public québécois (toujours à majorité catholique) pour gagner leur vie n’osent toujours pas s’afficher comme athées au Québec, ou si peu. Aucun parti politique n’ose remettre en question les privilèges immenses de l’Église catholique au Québec (elle nous coûte environ 14  milliards par année en exonération de taxes et d’impôts selon mon calcul publié il y a plusieurs années dans le bulletin du Mouvement laïque québécois). Il ne serait qu’élémentaire justice que les voix d’athées soient entendues jusque dans les bureaux du législateur. Les athées ne souhaitent pas « prendre le pouvoir », seulement que soit levé un lourd voile d’ignorance et de mépris qui aliène quelque 130 000 Québécois qui se déclarent athées. Ce livre se veut donc aussi une affirmation de la beauté de l’athéisme made in Québec, un événement festif, une célébra- tion de qui nous sommes et de ce que nous avons accompli.

Les choix politiques des athées se démarquent de ceux des croyants et la différence est très importante. Un monde athée serait différent du monde dans lequel on vit, à condition qu’il soit assorti d’une bonne dose de la morale

« naturelle » des athées, nommément l’humanisme séculier. Il ne faut pas oublier qu’un Québec athée serait le Québec de nous tous et de nos descendants, et cela inclurait forcé- ment cet héritage catholique « insecouable ». Dans un Québec athée, les hommes et les femmes seraient traités de façon plus égalitaire. L’avortement serait plus accessible, mais moins nécessaire puisqu’on y enseignerait pleinement les bénéfices de la contraception. La recherche sur les cellules souches serait florissante quoique bien encadrée par une législation, les institutions sociales seraient entièrement laïques (ex. : les milliards de dollars de privilèges fiscaux annuels de l’Église catholique du Québec seraient remis au peuple, il n’y aurait pas d’écoles privées religieuses financées par l’État), la peine de mort serait inconcevable, le racisme serait intolérable, nos minorités ethniques (autochtones en particulier) seraient émancipées, les populations seraient mieux éduquées, notre participation à l’Organisation des Nations Unies (ONU) serait vive, notre langue serait fière, et nous serions très hésitants à partir en guerre…

Les croyants et les athées sont aux antipodes quant aux valeurs sociales. Prenez les trois valeurs cardinales du christianisme : foi, espérance et charité. Ces valeurs semblent, de prime abord, tout à fait charmantes, mais à bien y réfléchir, elles se traduisent en immobilisme social, immobilisme social et immobilisme social.

Avant de permettre aux chômeurs de manger les délicieux sandwiches au béloné, on les force à se mettre à genoux, les bras étendus en croix, pendant qu’on prononce une évocation à l’être suprême pour le remercier des faveurs dont il les a comblés, pour exprimer leur reconnaissance à Notre Sainte Mère l’Église qui vient à leur secours, grâce à la charité. Quand, épuisés de fatigue, les malheureux laissent enfin tomber leurs bras, on les contraint à rester à genoux, les mains derrière le dos. Et là, pour jouir cruellement en véritable sadique théocratique, de sa

domination sur les opprimés, on place devant chacun d’eux l’un de ces fameux sandwiches sur une chaise, précisément où l’on pose le postérieur des gens. […] le crime de la charité a déjà assassiné de trop nombreuses personnes. (Albert Saint-Martin, Les sandwiches à la « shouashe », 1932)

Cette croix de Camargue illustre les valeurs cardinales du christianisme : la croix désigne la foi, l’ancre, l’espérance et le cœur, la charité.

À ces valeurs, l’athéisme oppose analyse critique, progrès et justice. Imaginez la différence que cela ferait si de telles valeurs étaient appliquées à l’échelle de l’humanité. On pour- rait vivre dans des sociétés mieux organisées et égalitaristes.

Non rien, ni vent, ni personne ne pourra m’empêcher de croquer la pomme, d’aller pécher sur l’autel du columbarium. (Pierre Lapointe, chanson éponyme de son disque Le columbarium)

Dans le document Québec athée (Page 31-36)