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L’existentialisme : recyclage moderne du personnalisme

Dans le document Québec athée (Page 115-118)

avec une sensibilité sociale

2.10. L’existentialisme : recyclage moderne du personnalisme

L’existentialisme est un culte de la lucidité. L’homme est condamné à prendre conscience de son existence. Il sait qu’il mourra et il sait qu’il doit faire des choix d’actions pour définir sa vie. Il est condamné à être libre. Il a beau essayer de se lobotomiser avec le conformisme social, l’hypercon- sommation, les psychotropes ou la religion, ce sont ses choix et ses intentions qui définiront sa vie. Cette liberté prévaut sur les impératifs biologiques : notre biologie veut nous faire vivre, mais nous pouvons opter pour le suicide. L’existence précède l’essence et prévaut sur elle. En fait, il n’y a pas d’essence, puisque nous pouvons choisir de faire n’importe quoi. Il n’y a pas non plus de nature humaine, ni biologique, ni sociale, ni spirituelle, car nous pouvons toujours opter pour une autre voie. L’existentialisme se méfie donc autant de l’empirisme que du rationalisme pour en arriver à une théorie de l’éthique. Il préconise une troisième voie, celle de la phénoménologie. C’est un hypersubjectivisme par lequel, dans notre rencontre avec les choses et avec les hommes, on ne les traite pas comme des choses, mais comme des vécus personnels. On se dépouille donc de toute catégorisation utilitaire, ou temporalisante ou géographisante, c’est-à-dire contextualisante, et on laisse la chose envahir notre intimité dans le ici et dans le maintenant. Cette façon d’appréhender le monde fut élaboré surtout par Edmund Husserl (1859- 1938). En matière d’éthique, l’analyse phénoménologique a dégagé de véritables perles de réflexion. Prenons l’exemple du remords. Tout le monde a vécu des douleurs de conscience après un geste inopiné et causant du tort. Au premier degré, on devrait penser que ce sentiment désagréable devrait

pouvoir être balayé par un regret sincère, des excuses, et une pleine compensation pour le mal qui a été fait. Pourquoi alors, n’en est-il pas ainsi ? Pourquoi continue-t-on à souffrir ? Parce qu’on regrette d’être le genre de personne qui commet de tels actes répréhensibles et il y a bien peu que l’on puisse y faire, sinon au prix d’immenses efforts pour restructurer notre identité.

L’existentialisme s’oppose de front aux philosophies qui voudraient évacuer les valeurs de la conscience humaine et, à fortiori, qui voudraient évacuer la conscience humaine tout court. Au contraire, l’humain est d’abord et avant tout conscient et il carbure aux intentions en poursuivant des valeurs. Cette conscience existentielle n’est pas une connaissance parfaite, c’est plutôt une façon d’être au monde, commandée par les intentions que nous choisissons à chaque instant, guidée par les valeurs que nous favorisons librement à chaque instant. On comprend que la valeur centrale d’une telle éthique risque de ressembler à quelque chose comme l’authenticité. En nous référant au cadre intérieur que nous avons créé pour nous définir, dans une circonstance sociale, nous pouvons faire des choix éthiques tout à fait irrationnels, imprévisibles pour les autres, non conformes à quelque doctrine que ce soit de la nature humaine. Nous pouvons vivre pour autre chose que notre plaisir, que notre survie, que notre harmonie, ou que quoi que ce soit qui puisse être prescrit systématiquement. Cela fait porter un lourd fardeau à l’individu qui en subit une sorte de nausée, l’angoisse découlant d’un trop-plein de liberté. Comme l’existentia- lisme laisse toute sa place à l’autodéfinition, à la spontanéité et à la subjectivité, il n’est pas étonnant de constater que les plus célèbres des éthiciens existentialistes ( Husserl, Heidegger, Kierkegaard, Gide, Nietzsche, Camus, Sartre) furent très différents les uns des autres. L’athée Sartre (1905- 1980) me paraît le plus intéressant et le plus riche d’entre eux. Il souligna que la condition humaine, contrairement à celle des choses, comporte la souffrance de l’incomplétude,

c’est-à-dire que l’humain ne peut jamais se dire complet, ni croire à sa nature, car elle est toujours en friche. L’éthique existentialiste est, bien entendu, un personnalisme, mais morose, et même tragique. Une personne ne peut devenir un en soi qu’en abdiquant son humanité. Il n’y a pas de raison, pas de nature, de sens, de finalité au monde. Le monde, et à fortiori la vie, n’ont aucun sens préétabli. Toutefois, selon Sartre, la personne est responsable de ses choix. La conscience existentielle de soi est aussi la conscience existentielle des autres. Nos choix touchent les autres. Dans la mesure où il y a un minimum d’intelligence et de rationalité dans la démar- che phénoménologique, on doit être de bonne foi, et on doit être authentique.

La principale déficience de l’existentialisme est son extrême subjectivisme et son pessimisme. L’existentialisme a connu un très grand essor dans le contexte double de l’Holocauste et de la chute du communisme : la morosité des intellectuels européens atteignit alors son comble et l’existen- tialisme devint populaire.

Il reste une grande famille de théories éthiques à décrire : la famille humaniste. On a tendance, dans les cercles philo- sophiques, à ne pas reconnaître l’humanisme comme une théorie, à lui refuser le statut de position philosophique. On ne trouve l’humanisme comme cursus d’aucun cours universitaire. Le seul lieu académique où on trouve le terme est dans les écoles de psychologie, la psychologie « humaniste » étant considérée comme une approche idéologique et technique à l’appréhension de l’être humain, mais pas du tout une philosophie éthique.

Chapitre III

Dans le document Québec athée (Page 115-118)