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Les athées sont des êtres pourvus de morale L’athéisme fut longtemps perçu par un nombre important

Dans le document Québec athée (Page 94-101)

Chapitre II Les éthiques athées

2.2. Les athées sont des êtres pourvus de morale L’athéisme fut longtemps perçu par un nombre important

de non-athées comme un immoralisme. L’athée était à leurs yeux celui ou celle qui refuse de s’astreindre à une discipline de vie, qui prise sa liberté individuelle plus que tout, qui ne répond en rien de ses propres actes, qui est individualiste, amoureux de lui-même, autocomplaisant. Si Dieu n’existait pas, tout serait permis, disaient-ils (pas tous, heureusement). Le fond de ce raisonnement doit être le suivant : lorsqu’on croit en Dieu, on se comporte moralement pour plaire à cet être suprême à qui rien n’échappe. Ainsi, on ne cherchera jamais à tricher. L’athée peut bien être plein de bonne foi, mais lorsque se présentera une opportunité très gagnante de tricher sur le contrat social, il pensera que personne ne pourra lui demander des comptes… Il sera expliqué plus loin dans ce chapitre que cette vision de la moralité est infantile et primaire, et qu’elle ne correspond pas dans les faits à la moralité de la plupart des adultes.

Il existe un autre argument qu’on entend très souvent de la part des théistes concernant l’immoralité des athées. Dans l’État soviétique, la doctrine officielle était athée. Or, ce fut le goulag et les massacres. Donc, l’athéisme mène à l’immoralité. Dans le débat sur l’existence ou l’inexistence de Dieu, ou sur l’intérêt de croyances déistes ou athées, il est tout aussi ridicule de démoniser l’athéisme d’État de l’ancienne Union soviétique que de faire de même pour le christianisme officiel de l’Allemagne nazie. Les SS portaient l’emblème Gott mit uns sur la boucle de leur ceinture…

Encore aujourd’hui, dans les pays dont la doctrine officielle est religieuse (le Canada en est un, puisque la suprématie de Dieu est bel et bien inscrite en toutes lettres dans le préambule de sa Constitution), les gens continuent à croire que les athées sont immoraux, et s’inventent de fantastiques histoires pour les vilipender. Les gens igno- rants, simplistes et haineux de l’ancienne Union soviétique devaient aussi penser que les chrétiens étaient méchants…

Ce qu’il faut retenir du contraste de pays avec doctrines d’État religieuses ou athées (l’URSS, l’Allemagne entre 1939 et 1945, ou le Canada) est que la religiosité et l’athéisme ne sont pas des élans qui peuvent être instaurés ni démantelés en une ou deux générations. Ces élans sont assez imperméables aux diktats des États, ils résistent longuement aux systèmes d’éducation, et ils ne changent pas dramatiquement, ni l’un ni l’autre, la nature humaine.

Rien ne justifie donc la haine des athées, ni des théistes, par ailleurs, sauf l’ignorance. Les athées sont des gens comme les autres. Dans les pays non communistes, surtout, ce sont des gens généralement plus éduqués que la moyenne ( rappelons-nous que c’est la variable qui distingue le plus fortement les athées des théistes selon les études sociologiques). Dans des pays comme le nôtre (aux États-Unis, par exemple), la déchéance morale (indexée par la crimi- nalité dans les études sociologiques) est corrélative, selon les recherches empiriques sur la question, avec l’intensité des croyances religieuses. Une seule étude a comparé la qualité du raisonnement moral des athées et des théistes (des chrétiens en l’occurrence). À éducation égale, on ne retrouve pas de différences entre les deux groupes (Hauser et Singer, 2006). Mais n’oublions pas que les athées sont généralement plus éduqués que les théistes…

Comment est-il possible que les croyants se compor- tent objectivement de façon moins morale que les athées ? C’est tout simple à comprendre. Les plus grands chercheurs sur le développement moral furent sans conteste les deux psychologues Jean Piaget, le précurseur, et Lawrence Kohlberg. Nul besoin d’insister sur le fait que ce furent deux athées. Piaget a fait une observation que personne ne conteste. Le jeune enfant présente d’abord un raisonnement moral à caractère hétéronome. Si on lui demande « pourquoi ne faut-il pas voler des biscuits ? », il répond « parce que maman ne veut pas » ou « parce que si on le fait on sera puni ». Le principe d’action est donc externe à l’identité de l’enfant,

d’où le qualificatif « hétéronome » pour décrire le raison- nement. Le petit enfant n’a pas de proprium moral. Il n’a pas encore créé pour lui-même de repères identitaires lui permettant de repousser certaines de ses pulsions. Le tout petit enfant ne se comporte de façon socialement acceptable que pour obtenir des récompenses et pour éviter des punitions ou, moins bêtement, pour assurer l’affection de ses parents et éviter leur opprobre. C’est ce que tous les spécialistes du déve- loppement moral s’accordent pour nommer le stade le plus primitif du développement moral, le stade d’hétéro nomie. Rendue à l’âge adulte, la personne à qui on demande « Pour- quoi ne faut-il pas voler des biscuits ? » invoquera tout sauf l’éventualité d’une punition. Elle invoquera un principe qu’elle fait sien, un principe auquel elle adhère, un acte de volonté personnelle. Elle dira qu’il est injuste de voler, qu’il est souhaitable de partager équitablement, etc. Elle dira qu’il faut traiter les possessions des autres comme nous voudrions que les autres traitent nos possessions, et ainsi de suite. Piaget a bien observé cette mutation radicale des raisonnements moraux que font les gens lorsqu’ils passent à l’âge adulte. Il a dénommé ce type de raisonnement « autonome » et il a décrété qu’il appartient au stade de développement de « l’auto- nomie morale ». Personne n’a jamais contesté l’existence de ces deux stades de développement décrits par Piaget. Ce qu’a fait son successeur, Lawrence Kohlberg, a consisté à raffiner les observations de Piaget. Il en est arrivé à proposer une demi-douzaine de stades de développement du raisonne- ment moral. Toutefois, les deux catégories d’hétéronomie et d’autonomie n’ont jamais été remises en question : le passage du premier au second stade représente la grande mutation du développement du raisonnement moral.

Or, pensons maintenant à ce que serait une éthique purement limitée à ce qui se trouve dans des textes de révélation religieuse. Les textes de révélation religieuse (Bible, Coran, Torah) comportent de longues listes de ce qui doit être fait et de ce qui ne doit pas être fait, et assortissent ces

actions à des listes de récompenses et de punitions corres- pondantes). D’ailleurs, tous les systèmes de lois de tous les pays comportent aussi des listes de ce type. Ces systèmes sont de même nature, ils s’occupent de la gestion des capacités éthiques minimales des populations. Ils opèrent au niveau du stade de développement hétéronome de l’être humain. Ils répondent à la fonction morale infantile qui se trouve en nous tous. La moralité de révélation, ainsi que celle des lois, sont des moralités qui ne sollicitent mentalement que le tout petit enfant en nous.

La religion fait du reste vivre la relation père-enfant dans ce qu’elle a d’inachevé. C’est pourquoi toute religion est essentiellement infantilisante. Car on oublie que le rôle du père est de se nier comme père… Dans toutes les religions théistes, cette relation au père est explicite… On y observe le réflexe enfantin bien connu : « Mon père est plus fort que le tien. » (Yves Lever, jésuite québécois défroqué et athée)

Les deux plus importantes différences entre la moralité religieuse et la moralité légale sont que 1) les morales religieuses sont aussi archaïques que le sont leurs dates d’édition, et évidemment elles ne peuvent évoluer, contraire- ment aux codes de loi qui, eux, sont en évolution constante ; 2) les récompenses et punitions divines vont jusqu’au ciel et à l’enfer, et sont donc plus impressionnantes que les récompenses et punitions civiles. Ces dernières peuvent aller du droit à la liberté civile jusqu’à la peine capitale, mais cela n’est rien à côté de l’éventualité de la damnation ou du paradis éternels. Pas étonnant donc que ceux qui ne vivent que pour la religion, pour qui la religion est toute leur vie, qui vont à la messe tous les jours, soient moralement comme de tout petits enfants, c’est-à-dire moralement sous- développés. Heureusement, la plupart des gens ne sont pas hyper religieux. Dans un pays comme le Québec, la vaste majorité de la population adulte présente une moralité

supérieure à l’autoritarisme religieux. Ils ne pensent pas aux prescriptions religieuses lorsqu’ils doivent effectuer des choix à caractère moral.

Il existe, bien entendu, un deuxième degré de la morale religieuse, plus élevé, plus raffiné. Ce sont les textes religieux moraux plus contemporains, inspirés des textes d’origine, les modernisations, les interprétations, les systématisations. Au deuxième degré donc, la morale religieuse devient une scolastique. Que de rationalisation stérile et obsessionnelle ! L’interprétation de la morale comme une liste de vertus et une liste de vices est une absurdité. C’est une morale de machine, inventée pas des moines totalement déconnectés de la vraie vie, avec pour seuls compagnons une plume et une feuille de papier au fond de leurs sinistres monastères. On a codifié l’éthique en une très « didactique » hiérarchie de valeurs au sommet de laquelle on retrouve les vertus « théogoniques » (foi, charité, espérance). Ensuite, on s’est affairé à déterminer la liste des péchés « capitaux » ( avarice, colère, envie, gourmandise, luxure, orgueil, paresse). Franchement, ne faut-il pas être simpliste pour croire de telles sottises manichéennes ? Plutôt, chaque vertu forme une paire dynamique avec son vice antonymique. Tout vice, à petite dose, peut être vu comme une vertu. Chaque vertu poussée à l’extrême peut être conçue comme un vice. À l’avarice s’oppose la mentalité dépensière, à la colère s’oppose l’aplatventrisme, à l’envie s’oppose la suffisance, à la gourmandise s’oppose l’anhédonie, à la luxure s’oppose la pudibonderie, à l’orgueil, la pusillanimité et à la paresse, l’épuisement. Le bonheur est dans l’équilibre et la flexibilité de tous les traits humains. Ne sera-t-on pas une meilleure personne si en plus d’être capable de saisir une occasion pour son plus grand plaisir, on sait s’en tenir fermement à des principes de discipline personnelle le moment venu ? Le désir déluré n’est-il pas tout aussi nocif que l’indifférence ? L’excès de chasteté n’est-il pas le pire ennemi de l’amour romantique ? Tout ceci avait pourtant été parfai- tement compris par Aristote quatre siècles avant la naissance

de Jésus (voir son Éthique à Nicomaque). L’enseignement de la morale par la catéchèse au Québec, pendant plus d’un siècle, a donc représenté une régression d’au moins 2 400 ans. Le risque de telles régressions n’est jamais bien loin d’ailleurs. À preuve, le gouvernement du Québec ayant récemment sécularisé ses commissions scolaires et son ministère de l’Éducation, suivant les conseils d’intellectuels comme Georges Leroux, créait en 2008 un programme « fusionné » d’enseignement des cultures religieuses et de l’éthique… (Éthique, culture religieuse, dialogue. Arguments pour un pro- gramme).

L’histoire nous montre que la haine et la misanthropie trouvent aisément leur place dans les religions pourvues de dieux agressifs, guerriers, punitifs, « contrôlants ». En plus, l’athée reprochera au judaïsme sioniste la notion répugnante et raciste de « peuple choisi » et de « terre promise », mais le sionisme est loin d’avoir le monopole du territorialisme guerrier… L’athée reprochera à l’islam, au christianisme et au judaïsme leurs doctrines prônant l’infériorité de la femme. L’athée reproche aux religions leurs obstructions à la liberté de conscience. Comme si le simple fait de ne pas connaître Dieu suffisait à exclure l’homme du paradis.

Il y a nombre de belles prescriptions dans chacun des textes sacrés des principales religions monothéistes, mais tout de même ! Lisez la Bible, le Coran ou la Torah avec l’œil d’un rationaliste. L’Ancien Testament, qui est la racine de ces trois religions, est une litanie d’horreurs. Si cela vous est trop pénible, lisez le Traité d’athéologie de Michel Onfray (2005) qui a fait pour notre bénéfice cet exercice incroya- blement fastidieux. Si vous ne vous y retrouvez plus, lisez donc quelque chose de plus positif, pour votre plus grand bonheur… Les textes sacrés, lus rationnellement, selon les barèmes d’une moralité moderne, sont tout simplement moralement révoltants.

Pour remettre les pendules à l’heure, comprenons que ce sont les athées qui ont le plus largement contribué au

développement de la pensée morale, et qu’ils ont commencé à le faire longtemps avant la naissance de Jésus et de Mahomet. Contrairement à l’idée reçue, l’athéisme n’est pas une mentalité qui fait le vide d’humanité. C’est le contraire. L’athéisme est riche d’idées morales, comme il est riche de tout l’acumen humain. Le croyant et l’athée n’ont ni l’un ni l’autre le monopole de la bonté, ni la recette du bonheur. Mais en matière de réflexion éthique, il n’y a aucun doute que ce sont les athées qui y ont le plus contribué, comme démontré dans les pages qui suivent. La raison en est fort simple : contrairement aux croyants qui cherchent et trouvent dans un seul livre les réponses à tout (comme les gardes rouges de Mao), les athées n’ont pas ce loisir. Ils sont condamnés à réfléchir à la condition humaine et à développer les solutions éthiques qui correspondent aux conditions de leur vie telles qu’elles se déploient dans un monde changeant.

Dans les pages qui suivent, on verra, en ordre historique, neuf doctrines morales complètes, pensées par des philosophes athées, et qui ont marqué le monde entier, et qui, encore aujourd’hui, inspirent moralement un grand nombre de gens.

Néron fut un enfant de cœur à côté du dieu chrétien : le premier brûla Rome par caprice tandis que le second anéantit toute vie sauf un couple de chaque espèce… aussi par caprice. (Anonyme)

La religion est l’opium du peuple, a dit Marx. Poudre calmante, certes… pour l’opprimé. Mais il faut y voir poudre aussi du point de vue de l’oppresseur, de l’ambitieux, du dominateur, du paranoïaque mégalomane : Jésus qui eut voulu être roi de Judée, Mahomet, calife d’orient, Constantin et Bush, empereurs d’occident, Smith, chef des mormons et candidat à la présidence américaine… Poudre aux yeux, de perlimpinpin, de canon à chair. (Anonyme)

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